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TRYPANOSOMIASE AMÉRICAINE ou MALADIE DE CHAGAS

La domestication puis la grande migration de « Triatoma infestans »

Habitat susceptible d'héberger des triatomes - crédits : F. Noireau/ IRD

Habitat susceptible d'héberger des triatomes

Il est aujourd'hui possible de décrire précisément l'expansion de la maladie humaine au xxe siècle à l'ensemble des pays du Cône Sud qui ont été les plus durement frappés et les premiers à bénéficier d'un programme de lutte à échelle régionale. Cette expansion rapide a été très largement liée à la capacité d'adaptation du vecteur T. infestans à des environnements et des habitats différents, et surtout à sa grande aptitude à coloniser les maisons et les structures environnantes et à s'y multiplier. Très rapidement, les opérations de contrôle dirigées contre la punaise ont été un succès si l'on considère que, globalement, l'incidence de la maladie a chuté de 70 p. 100 après dix ans d'efforts. Néanmoins, les résultats sont très inégaux selon les régions et les pays, les indicateurs entomologiques restant très préoccupants dans les Andes boliviennes et le Gran Chaco. Or ce sont justement dans ces régions que des populations sauvages de T. infestans ont été trouvées et qu'est apparue récemment une résistance aux insecticides de synthèse chez le vecteur. La dissémination sur de vastes territoires des populations sauvages du vecteur, qui n'avait pas été prise en considération lors de la conception d'Incosur en 1991, est aujourd'hui un fait avéré et préoccupant. Dans les Andes boliviennes, les populations sylvestres ne se cantonnent pas à la vallée de Cochabamba comme on l'a longtemps pensé mais se distribuent dans de nombreuses vallées andines où l'altitude est comprise entre 1 700 et 2 800 mètres. Leur habitat est rocheux (rupicole) et les spécimens sylvestres sont morphologiquement indissociables des spécimens domestiques. Dans la partie aride du Gran Chaco (Argentine, Bolivie et Paraguay) vivent d'autres populations de T. infestans sylvestre, cette fois arboricoles et de couleur différente des populations domestiques. En 2005, de nouveaux foyers sylvestres de T. infestans ont été décrits dans les régions centrales du Chili (régions métropolitaine et de Valparaiso). La vaste distribution des populations sauvages du vecteur, qui pourrait compromettre la réussite de l'initiative Incosur, a brouillé les hypothèses classiques sur la domestication puis la dispersion du vecteur à l'ensemble des pays du Cône Sud. Selon ces hypothèses, T. infestans serait originaire des vallées andines de Bolivie (Cochabamba et Sucre) et son transfert du milieu naturel (principalement affleurements rocheux) vers l'habitat humain aurait été une conséquence de la domestication du cochon d'Inde (rongeur originaire des régions andines et considéré comme l'un des hôtes naturels du vecteur) par certaines civilisations précolombiennes ; enfin, sa très récente et rapide expansion dans la partie orientale du Cône Sud (T. infestans a été signalé pour la première fois en 1865 dans le sud de l'Uruguay et a pénétré dans le nord-est du Brésil au début des années 1970) serait due à des migrations humaines.

En fait, seule l'explication sur la récente expansion du vecteur par transport passif n'est pas remise en cause. Des études génétiques récentes renforcent l'hypothèse du « Chaco » plutôt que celle des Andes comme centre d'origine et de dispersion de l'espèce. La domestication de cette dernière aurait été multifocale, peut-être favorisée par la domestication du cobaye mais pas seulement. En effet, on a mis en évidence en Bolivie une forte identité génétique entre vecteurs sylvestres et domestiques au sein d'une même région. Connaissant la propension du vecteur à coloniser de nouveaux habitats, il est probable que les punaises ont envahi les habitations humaines dès l'implantation de l'homme dans leur milieu, que ce soit dans les Andes ou le Chaco. Dans la vallée du rio Caine (2 000[...]

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Écrit par

  • : médecin, directeur de recherche à l'Institut de recherche pour le développement, expert à l'Organisation mondiale de la santé, Organisation panaméricaine de la santé

Classification

Médias

<it>Trypanosoma cruzi</it>, agent de la maladie de Chagas - crédits : F. Brenière

Trypanosoma cruzi, agent de la maladie de Chagas

<it>Triatoma infestans</it>, vecteur principal de la maladie de Chagas - crédits : F. Noireau/ IRD

Triatoma infestans, vecteur principal de la maladie de Chagas

Traces laissées par les triatomes - crédits : F. Noireau/ IRD

Traces laissées par les triatomes

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