TSVETAÏEVA ou TSVETAEVA MARINA IVANOVNA (1892-1941)
Sa poésie : définition, cris et partition
Tsvetaïeva ne parle jamais à voix basse. D'un lyrisme expressionniste (il y a chez elle un « jusqu'auboutisme » de la formulation), ses poèmes sont comme une partition appelant une puissante interprétation vocale, avec son mode majeur de l'exclamation :
Ghetto des élites ! Au trou ! Tiens ! Pas de pitié ! Que des gifles ! En ce monde-ci hyperchrétien Les poètes sont des Juifs !(Poème de la fin)
Ellipses syntaxiques, arythmie, procédé, central chez elle, du tiret : chaque syllabe est chargée d'intensité sonore.
... Mal vivre – qu'importe où,Où m'avilir, moi, ours polaire Sans sa banquise, je m'en fous !(Le Mal du pays)
Là encore, proche de Maïakovski par le bouleversement de la syntaxe et des rythmes traditionnels, par la violence de l'invective, Tsvetaïeva s'en distingue en conservant la strophe ; celle-ci est maintenue, mais dynamitée de l'intérieur par l'emploi d'enjambements systématiques et du tiret. Cette lutte interne entre le mètre classique et le rythme du discours parlé charge le vers de Tsvetaïeva d'une énergie détonatrice.
Sa poésie présente le paradoxe d'être extrêmement « fabriquée », construite, et de produire néanmoins un effet d'immédiateté et de spontanéité. Ainsi, Le Poème de la fin (un de ces longs poèmes lyriques – « poèma » –, genre très en vogue dans les années 1920 et très utilisé par Tsvetaïeva) est à la fois un chaos baroque (mélange de stylisation à partir du folklore russe, de drames très « parlés » entre le « je » et le « tu », d'intonations purement orales et de références livresques ou archaïques) et un ensemble élaboré, fortement structuré. Certains poèmes narratifs (Le Tsar-Demoiselle, Ruelles, Le Gars – traduit en français par l'auteur) ont pour base des contes populaires russes, réinterprétés par Tsvetaïeva dans un langage télescopé qui les rend difficiles d'accès, surtout pour un public ignorant de la référence folklorique.
La confession à haute voix, le vaste auto-portrait qu'est son œuvre ne se réduisent pas à la poésie proprement dite. Traductions (Pouchkine en français, Baudelaire en russe), prose lyrique (Ma mère et la musique, Le Diable, etc.), souvenirs (sur Brioussov, Biely, Belmont, etc.), correspondance, essais sur l'art (Le Poète et la critique [1926], L'Art à la lumière de la conscience [1932], etc.) ne sont que différents domaines du langage auxquels Tsvetaïeva portait la même attention créatrice. On reconnaît des accents nietzschéens dans sa conception de l'art, qui est à la fois force élémentaire de la nature et tribunal de la conscience.
« Je n'ai appartenu et n'appartiens à aucun courant poétique ni politique » affirme-t-elle dans sa réponse à l'enquête biographique que lui avait soumise Pasternak. Cette indépendance, cette solitude revendiquée ont placé Tsvetaïeva à contre-courant de son époque. N'étant rien que soi, elle a héroïquement soutenu le tragique de sa vie, toute au travail d'une voix où la hauteur d'esprit demeure parmi des cris de loup blessé.
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Écrit par
- Ève MALLERET : agrégée de russe, professeur au lycée Évariste-Galois de Sartrouville
Classification
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...le grain ne meurt..., 1920) et Tjažëlaja lira (La Lyre pesante, 1923). Émigrée de 1922 à 1939 par fidélité à la cause perdue des Blancs, Marina Tsvétaïeva (Cvetaeva, 1892-1941) reste au diapason des poètes de sa génération, et en particulier de Pasternak. Celui-ci, éclipsant son ancien compagnon...