TUNNEL SOUS LA MANCHE
Avec une longueur de quelque 50,5 kilomètres, le tunnel sous la Manche figure parmi les plus importantes constructions du xxe siècle, au même titre que le canal de Panamá (ouvert en 1914), le Golden Gate (achevé en 1937) et le haut barrage d’Assouan (mis en service en 1973). Avec 37,9 kilomètres percés sous la mer, cette réalisation possède la section sous-marine la plus longue du monde. L’ouvrage, stratégique pour l’Union européenne, a été inauguré le 6 mai 1994 par la reine Élisabeth II et le président de la République française François Mitterrand. Grâce à la liaison ferroviaire transmanche, la Grande-Bretagne est désormais rattachée à l’Europe continentale par une frontière commune et perd son caractère insulaire. Pour réaliser ce « chantier du siècle », des dizaines d’entreprises et 13 000 ouvriers, ingénieurs et techniciens se sont investis depuis 1987, accomplissant ainsi un rêve vieux de près de deux siècles.
Le tunnel : un projet ancien et ambitieux
La Manche, ce bras de mer (33 km dans sa plus petite largeur, au niveau du pas de Calais) qui sépare actuellement la Grande-Bretagne de l’Europe continentale, n’a pas toujours existé. En effet, ce n’est qu’après la dernière glaciation du Quaternaire, il y a environ huit à dix mille ans, que la Grande-Bretagne a été détachée définitivement du continent européen pour devenir une île. Peu profonde, la Manche n’en a pas moins constitué une protection inestimable contre les différentes tentatives d’invasions au cours des siècles.
Les pionniers : 1802-1867
L’idée de traverser la Manche par voie terrestre est ancienne. Sous le règne de Louis XV et de George II, le géologue et physicien français Nicolas Desmarets remporte en 1751 le concours lancé par l’académie d’Amiens pour améliorer les relations par le pas de Calais, en démontrant la similitude géologique de part et d’autre de ce détroit. Il aurait proposé un tunnel utilisable par des carrosses.
Le premier projet documenté de liaison fixe entre la France et l’Angleterre date de 1802. Pendant la brève paix d’Amiens (25 mars 1802-18 mai 1803), l’ingénieur français Albert Mathieu-Favier suggère au Premier consul Napoléon Bonaparte le percement d’un tunnel pour les malles-poste (voitures hippomobiles utilisées à l’origine pour le transport du courrier). Son ambition est de consolider la paix entre les deux pays par les liens du commerce, mais la reprise des combats y met un terme.
Avec le développement des chemins de fer et la réalisation des dessertes de Folkestone (1843), de Douvres (1844) du côté anglais, et de Calais (1849) du côté français, les projets se multiplient sous toutes les formes : tunnel foré ou posé sur le fond de la mer, ou encore immergé entre deux eaux, ponts ou viaducs, digues et jetées artificielles, etc. Ils sont tous largement utopiques. En 1856, le Britannique William Austin propose un double tunnel ferroviaire doté d’une galerie additionnelle, semblable à l’ouvrage d’aujourd’hui. De son côté, l’ingénieur français Louis Joseph Aimé Thomé de Gamond, qui consacrera sa vie à explorer la géologie du pas de Calais et à évaluer plusieurs des concepts suggérés pour relier les deux rives, propose à Napoléon III, le 20 avril 1856, un projet de tunnel foré. Ainsi est initiée la longue histoire politique et diplomatique du projet.
La première tentative : 1872-1883
À l’occasion de l’Exposition universelle de 1867, plusieurs promoteurs du tunnel sous la Manche, dont Thomé de Gamond, présentent leurs plans. William Low, ancien assistant de l’ingénieur britannique Isambard Kingdom Brunel, adopte une autre stratégie et obtient, le 17 avril 1867, une audience auprès de Napoléon III pour proposer un double tunnel foré entre Saint Margaret’s, au nord de Douvres, et les abords du cap Gris-Nez. Exploitant minier, Low est au fait des contraintes géologiques et de[...]
La suite de cet article est accessible aux abonnés
- Des contenus variés, complets et fiables
- Accessible sur tous les écrans
- Pas de publicité
Déjà abonné ? Se connecter
Écrit par
- Laurent BONNAUD : docteur en histoire
Classification
Médias
Autres références
-
CALAIS
- Écrit par Pierre-Jean THUMERELLE
- 1 035 mots
- 3 médias
Le développement de Calais, qui comptait 73 504 habitants en 2012 et 96 594 pour son agglomération, a presque toujours dépendu de sa position remarquable, au plus près des côtes anglaises. Ce n'est pas un hasard si le détroit, ou « pas » en langage picard, aujourd'hui traversé par un tunnel, qui...
-
CHEMINS DE FER
- Écrit par Jean-Philippe BERNARD , Daniel BRUN et Encyclopædia Universalis
- 12 423 mots
- 10 médias
La décision de construire le tunnel sous la Manche conduisait à devoir développer des rames à grande vitesse compatibles avec les infrastructures, classiques ou nouvelles, des trois pays concernés (France, Belgique et Royaume-Uni), mais qui devaient satisfaire en outre des contraintes spécifiques au... -
DÉTROITS ET ISTHMES
- Écrit par Nathalie FAU
- 6 042 mots
- 5 médias
...Europe où la mobilité des biens et des personnes est de plus en plus aisée, les détroits deviennent des maillons des transports à longue distance. Le tunnel sous la Manche, inauguré en 1994, a permis le raccordement des réseaux routiers et de trains à grande vitesse entre la Grande-Bretagne et la France,... -
TRANSPORTS - Transports et risques
- Écrit par Michel QUATRE
- 8 640 mots
- 7 médias
...devra donc disposer de scénarios issus de l'expérience (malheureuse), ou les imaginer pour un système tout à fait nouveau comme cela a été le cas pour le tunnel sous la Manche. L'exemple de l'ouvrage franco-britannique est particulièrement illustratif puisqu'un travail de groupe très élargi – comprenant...