TUNNEL SOUS LA MANCHE
Conquête du marché transmanche et assainissement financier
La montée en charge de l’ouvrage se fait de manière progressive, bien en deçà des prévisions et dans un environnement en mutation rapide. Parallèlement, la gestion de la dette demeure une priorité constante du concessionnaire.
La croissance du trafic
Après la mise en service progressive du tunnel sous la Manche en 1994, les fréquences des navettes Eurotunnel et des trains Eurostar augmentent rapidement en 1995. Le trafic suit, avec une croissance de plus d’un tiers dans les quatre années suivantes, puis une phase de repli dans la décennie 2000, avant une période de reprise.
Les habitudes des voyageurs évoluent lentement : le ferry et l’avion restent les modes de transport privilégiés pour passer la Manche. Les compagnies aériennes, détenant 60 p. 100 du marché Paris-Londres en 1994 (soit 4,4 millions de passagers), vont ajuster immédiatement leurs capacités à la baisse. Il faudra un long et intense travail de marketing pour qu’Eurostar parvienne à séduire la clientèle d’affaires de British Airways. De plus, aucun analyste n’a anticipé la révolution des compagnies aériennes à bas coûts à partir de la fin des années 1990. Ce phénomène va restreindre l’essor du trafic ferroviaire transmanche au triangle Londres, Paris et Bruxelles.
Mais, au départ, les difficultés d’Eurostar tiennent surtout à l’absence de ligne à grande vitesse (LGV) entre le tunnel sous la Manche et Londres (soit 124 km), obligeant les trains à circuler à vitesse réduite sur cet axe. En effet, les voies ferrées britanniques n’ont pas été modernisées depuis la Seconde Guerre mondiale. Les normes techniques – alimentation électrique, gabarits – diffèrent donc de part et d’autre de la Manche et même entre les divers réseaux britanniques. Une mise à niveau coûteuse devient nécessaire. Il faut attendre le 28 septembre 2003 pour qu’une première section (ayant les mêmes caractéristiques que les LGV françaises) soit mise en service, réduisant le temps de parcours de vingt minutes (2 heures 35 pour Paris-Londres). L’effet sur la croissance du trafic est immédiat. Le système n’est achevé que le 14 novembre 2007, avec l’inauguration de la totalité de cette liaison à grande vitesse entre le tunnel et Londres, appelée High Speed 1. Celle-ci réduit le trajet de vingt minutes supplémentaires pour un coût de 5,7 milliards de livres. De plus, le transfert du terminus de la gare de Waterloo à celle, entièrement reconçue, de Saint-Pancras facilite l’accès des voyageurs à la capitale et aux correspondances. Ces améliorations mettent désormais Londres à 1 heure 20 minutes de la gare de Lille-Europe, à 1 heure 51 minutes de la gare du Midi, à Bruxelles, et à 2 heures 15 minutes de la gare du Nord, à Paris. Elles confortent la part de marché d’Eurostar, particulièrement auprès de la clientèle d’affaires, la plus rentable. En 2014, 10,4 millions de voyageurs ont emprunté la grande vitesse transmanche.
Avec 7,1 millions de voyageurs transportés, dont 4,4 par les shuttles, Eurotunnel contrôlait, en 1995, 17 p. 100 du marché du transport des véhicules de tourisme de part et d’autre du détroit. Pénalisé par les incendies de 1996 et 1998, il ne franchit les 40 p. 100 de parts de marché qu’en 2000, bénéficiant de la suppression des ventes hors taxes sur les compagnies maritimes : le nombre de voyageurs maritimes sur le pas de Calais atteint en effet un maximum de 23,8 millions en 1997. Les Britanniques représentent 80 p. 100 des clients des navettes passagers, qui ont transporté, en 2014, 10,6 millions de voyageurs, à comparer avec 13,3 millions de voyageurs martimes.
Pour le transport de marchandises, la liaison fixe directe porte de grands espoirs de transfert modal entre la route et le rail. En supprimant en effet la rupture de charge du pas de Calais, le tunnel[...]
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Écrit par
- Laurent BONNAUD : docteur en histoire
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