TURBANS JAUNES
Premier mouvement de masse politico-religieux de la Chine, l'organisation révolutionnaire des Turbans jaunes (Huangjin), d'inspiration taoïste, contribua beaucoup, bien que noyée dans le sang, à l'établissement du taoïsme populaire et communautaire.
Les dernières décennies de la dynastie des Han (~ 206-220) paraissent avoir été une période de désintégration politique et sociale d'une ampleur inconnue jusque-là. La population paysanne, affamée et décimée par des épidémies de peste, quitte ses terres et cherche à survivre sous la forme de groupes itinérants (liumin). Des messies populaires, qui prétendent être des descendants, des représentants ou des incarnations de l'empereur Jaune (Huangdi) ou de Laozi, trouvent facilement un grand nombre d'adeptes. L'un de ces messies, dont le succès dépasse celui de tous les autres, se nomme Zhang Jue. Son mouvement naît dans la partie est de l'empire (provinces du Shandong, du Hebei et du Shānxi). Il guérit les gens par la foi. Investi par le Ciel, il écrit des talismans (fu) sur de la soie ou du papier. Il les brûle et en mélange les cendres à de l'eau qu'il donne à boire aux malades (cette pratique thaumaturgique existe encore de nos jours). En dix ans, les fidèles se comptent par dizaines, sinon par centaines de milliers. Il les enseigne et les organise selon les doctrines du Livre de la Grande Paix (Taiping jing), texte volumineux qu'un messager du Ciel lui a transmis. Les croyants s'habillent de robes et de turbans jaunes (qui donnèrent son nom au mouvement). Ils ne portent pas d'armes. Ils créent des phalanstères et des auberges où ils accueillent les masses itinérantes et où prévaut une organisation communautaire et strictement égalitaire. Au commencement d'un nouveau cycle cosmique (année Jiazi, correspondant à 184 de notre ère), Zhang Jue proclame le royaume de la Grande Paix. Il prend le titre de général-seigneur du Ciel (Tiangong jiangjun) et confère, respectivement, à ses deux frères les titres de général-seigneur de la Terre et de général-seigneur des Hommes. Il divise l'empire en trente-six régions (fang), à la tête desquelles il nomme des généraux.
Ce soulèvement fait oublier momentanément aux dirigeants Han leurs querelles internes. Une attaque armée de très grande envergure réussit à dompter les masses. Zhang Jue meurt cette même année 184, mais la révolte dure jusqu'en 186. Localement, la résistance se maintient jusqu'à la fin de la dynastie. Elle est alors habilement récupérée par Cao Cao, qui s'inspire des théories et se sert des milices populaires du mouvement pour établir la dynastie des Wei.
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Écrit par
- Kristofer SCHIPPER : directeur d'études à l'École pratique des hautes études (Ve section, sciences religieuses)
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