TYRANNIE, Grèce antique
La figure du tyran
Même dans la courte période pendant laquelle la tyrannie a disparu de la réalité politique grecque, la figure du tyran occupe une place centrale dans la pensée et la littérature, comme le montre en particulier la tragédie attique du ve siècle.
Dans le Prométhée enchaîné, Eschyle présente Zeus comme un « jeune tyran » qui vient d'imposer son pouvoir et l'exerce par la violence : le thème de la tyrannie s'introduit ainsi dans l'histoire même des dieux. L'Œdipe tyran de Sophocle (la traduction française habituelle du titre en Œdipe roi est inexacte) présente un destin exemplaire de tyran : la naissance d'Œdipe a été précédée de songes et d'oracles, il a été miraculeusement sauvé, puis il a débarrassé Thèbes de la Sphynge ; mais alors que, par une enquête menée avec assurance, il cherche à sauver la cité une seconde fois, il découvre que, régicide, parricide et incestueux, il est lui-même la souillure qui cause la perte de Thèbes. Quant au Créon de l'Antigone de Sophocle (441), il est le tyran le plus célèbre de tout le théâtre grec. Il n'a rien d'un fou ni d'un pervers, mais veut simplement faire appliquer de manière inflexible une décision rationnelle. Sa démesure est, à l'état pur, celle d'un pouvoir politique sans limites. L'écho d'inquiétudes plus immédiates est perceptible dans les Phéniciennes d'Euripide, représentées en 410 ou en 409. Étéocle y déclare que la tyrannie est le plus grand de tous les biens et qu'il est prêt à tout pour le garder ; Jocaste plaide en vain en faveur du partage et de l'alternance.
La tyrannie sert de référence pour analyser d'autres réalités, ou d'autres régimes. Périclès et Cléon, si l'on en croit Thucydide, expliquent aux Athéniens que leur domination sur leurs alliés est comme une tyrannie : une puissance impériale est détestée comme un tyran, et doit maintenir son autorité par la contrainte, mais renoncer à la tyrannie est extrêmement dangereux. Les démocrates associent souvent oligarchie et tyrannie, pour les dénoncer également : la tyrannie est une oligarchie poussée à l'extrême, l'oligarchie est la tyrannie d'un petit groupe. Les adversaires de la démocratie soulignent volontiers quant à eux l'analogie entre l'ostracisme – éloignement préventif d'individus jugés dangereux – et l'élimination par le tyran des « épis qui dépassent ». Selon Aristote, la tyrannie cumule les vices de l'oligarchie et ceux de la démocratie. Le tyran cherche à accumuler les richesses et opprime le peuple comme l'oligarchie ; il persécute les élites, comme la démocratie (Politique, V, 10).
C'est à Platon, qui pourtant a longtemps espéré instaurer la cité idéale grâce à un jeune tyran, et qui eut Denys le Jeune pour élève, que l'on doit les analyses les plus saisissantes de la tyrannie. Dans le livre VIII de la République, le philosophe présente la métamorphose du démagogue en tyran : celui qui a fait condamner ses concitoyens, ayant pris goût au sang, se transforme en loup. Après avoir dressé le peuple contre les notables et dépouillé les riches, il se retourne contre le dèmos, son « père », et devient parricide. Contrairement à ce que croit l'opinion commune, le tyran est le plus malheureux des hommes, parce qu'il ne cesse d'avoir peur de ses sujets, et parce que, en son âme, raison et volonté sont dominées par la partie désirante, et par les pires désirs. Le tyran est celui qui accomplit dans la réalité ce que les autres hommes ne font qu'en rêve – tuer son père et s'unir avec sa mère, par exemple.
Il y a probablement eu en Grèce des apologies de la tyrannie – au nom de l'inégalité naturelle des hommes et du droit du plus fort. Il est vraisemblable que les[...]
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Écrit par
- Pierre CARLIER : ancien élève de l'École normale supérieure, professeur d'histoire grecque à l'université de Paris-X-Nanterre
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