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UKRAINE

Nom officiel Ukraine
Chef de l'État Volodymyr Zelensky - depuis le 20 mai 2019
Chef du gouvernement Denys Chmyhal - depuis le 4 mars 2020
Capitale Kiev
Langue officielle Ukrainien
Population 37 732 836 habitants (2023)
    Superficie 603 550 km²

      Article modifié le

      Histoire

      Une terre de passage et d'échanges

      Dès la préhistoire, les modes de migration et de colonisation dans les territoires de l'actuelle Ukraine se sont spécifiés selon les caractéristiques des trois zones géographiques qui les constituent. La côte de la mer Noire s'est naturellement trouvée pendant des siècles dans la sphère d'influence des puissances maritimes méditerranéennes. La steppe traversant l'Ukraine orientale et méridionale a toujours offert un passage naturel aux vagues successives de cavaliers nomades en provenance d'Asie centrale. Enfin, la région de steppe boisée et de forêts du centre-nord et de l'ouest du pays a traditionnellement fait vivre une population d'agriculteurs sédentaires, reliés par voie d'eau à l'Europe centrale et septentrionale. Les marches de ces zones étaient le théâtre fréquent d'affrontements militaires aussi bien que d'échanges culturels.

      À partir des vii-vie siècles avant notre ère, de nombreuses colonies grecques furent fondées sur la côte nord de la mer Noire, en Crimée et sur les bords de la mer d'Azov. Ces avant-postes du monde hellénique passèrent ensuite sous hégémonie romaine. Au cours du Ier millénaire avant notre ère, la steppe de l'arrière-pays fut occupée successivement par les Cimmériens, les Scythes et les Sarmates. Ces peuples, tous de souche iranienne, entretenaient des relations commerciales et culturelles avec les colonies grecques.

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      Une période de grandes migrations commença vers 200 après J.-C. avec l'arrivée des Goths, venus de la région de la Baltique. Ils chassèrent les Sarmates, mais leur propre pouvoir fut brisé vers 375 par les Huns, venus de l'est et eux-mêmes suivis, aux v-vie siècles, par les Bulgares et les Avars. Entre le viie et le ixe siècle, la steppe ukrainienne fit partie du khaghanat turc khazar, un empire marchand centré sur la basse Volga. Le contrôle khazar sur la steppe fut battu en brèche à la fin du ixe siècle par les Magyars, suivis des Petchenègues aux xe et xie siècles, puis des Polovtzes (Coumans). Face aux invasions nomades, seul un petit nombre de colonies grecques de Crimée, en particulier la Chersonèse, maintinrent une existence précaire, reposant sur le soutien de Byzance.

      À la même époque, sous l'effet des migrations germaniques des ve et vie siècles, les tribus slaves commencèrent à émigrer hors de leur foyer de peuplement primitif, au nord des Carpates. Tandis que certains Slaves se déplaçaient vers l'ouest et d'autres vers le sud, dans les Balkans, les Slaves orientaux occupaient les régions boisées du nord et de l'ouest de l'Ukraine, et du sud de la Biélorussie ; ils s'étendirent loin au nord et au nord-est, dans les territoires de la future Russie. Les Slaves de l'Est pratiquaient l'agriculture et l'élevage, et construisaient des places fortifiées, dont plusieurs devinrent par la suite d'importants centres commerciaux et politiques, telle la ville de Kiev, sur la rive droite du haut Dniepr.

      La Rous kiévienne

      La formation de l'État kiévien à partir du milieu du ixe siècle, le rôle joué dans ce processus par les Varègues (Scandinaves) et le nom de Rous sous lequel cet État vint à être connu sont matières à controverse chez les historiens. Il est clair toutefois que cette formation fut liée à l'importance nouvelle de la route du Dniepr entre la Baltique et Byzance. Le commerce au long de cette voie, sur laquelle la ville de Kiev occupait une position stratégique, était contrôlé par les guerriers-marchands varègues, dont étaient issus les princes de Kiev, même s'ils furent vite slavisés. Dans les anciennes chroniques, les Varègues étaient également appelés Rous et ce nom servit aussi à désigner la région de Kiev ; plus tard, il fut étendu à tout le territoire gouverné par la dynastie kiévienne.

      À la fin du xe siècle, le territoire kiévien couvrait une vaste superficie allant du nord de la steppe ukrainienne au lac Ladoga et au bassin de la haute Volga. Il ne développa pas d'institutions politiques centralisées mais demeura un conglomérat lâche de principautés dirigeant ce qui n'était rien d'autre qu'une entreprise familiale dynastique. Kiev atteignit son apogée sous les règnes de Vladimir Ier le Grand (980-1015) et de son fils Iaroslav (1019-1054). En 988, Vladimir adopta la religion chrétienne et fit baptiser les habitants de Kiev. La Rous entra dans l'orbite de la culture et du christianisme byzantins (plus tard orthodoxes). Une hiérarchie ecclésiastique fut mise en place, dirigée (au moins à partir de 1037) par le métropolite de Kiev, qui était généralement désigné par le patriarche de Constantinople. La nouvelle religion fut accompagnée de nouvelles formes d'architecture, d'art et de musique, d'une langue écrite (le slave d'Église ou slavon) et d'une littérature naissante. Toutes ces nouveautés furent activement encouragées par Iaroslav, qui promulgua également un code de lois, le premier dans un royaume slave. Iaroslav entretint également des relations amicales avec les souverains européens, avec qui il établit des alliances matrimoniales pour sa progéniture (sa fille épousa le roi de France Henri Ier en 1051).

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      Après la mort de Iaroslav, Kiev entra dans une longue période de déclin, qui ne connut un bref répit qu'au xiie siècle, sous Vladimir II Monomaque (1113-1125). Des changements dans les itinéraires marchands sapèrent l'importance économique de Kiev, tandis que les affrontements avec les Polovtzes dans la steppe absorbaient ses richesses et ses énergies. Conflits de succession et rivalités princières érodèrent l'hégémonie politique de Kiev et fortifièrent les tendances séparatistes. Ce processus fut accentué par les invasions mongoles qui débutèrent dans les années 1220 et culminèrent avec le sac de Kiev en 1240.

      Le territoire qui correspond plus ou moins à l'actuelle Biélorussie, et dont Polotsk était le centre principal, faisait partie des régions émergentes, ainsi que le pays de Novgorod, au nord, et celui de Vladimir-Souzdal (et plus tard Moscou), au nord-est. Dans la partie sud-ouest de la Rous, la Galicie-Volhynie émergea en tant que principauté dominante.

      Vladimir (la moderne Volodymyr-Volynskyï), en Volhynie, avait été un siège princier important tout au long de la période kiévienne ; la Galicie, dont le siège se situait à Halitch, sur le Dniestr, devint quant à elle une principauté au xiie siècle. En 1199, les deux principautés furent unifiées par le prince Roman Mstislavovitch pour former un État riche et puissant. La Galicie-Volhynie atteignit son apogée sous le fils de Roman, Danilo (Daniel), qui tint le pouvoir de 1221 jusqu'à sa mort, en 1264. De nouvelles cités furent fondées, en particulier Lviv (en russe Lvov). Le commerce, tout spécialement avec la Pologne et la Hongrie, ainsi qu'avec Byzance, engendra une grande prospérité et la culture s'épanouit, manifestant des influences occidentales nouvelles et bien marquées. En 1253, Danilo accepta la couronne royale des mains d'un évêque mandaté par le pape Innocent IV, devenant ainsi le premier roi de Galicie-Volhynie et établissant une union de courte durée avec l'Église romaine. Le règne de Danilo fut également témoin de la montée des troubles causés par l'aristocratie des boyards, qui affaiblirent les liens dynastiques avec la Pologne et la Hongrie. Danilo résista avec vigueur à l'invasion mongole de 1240-1241, sans pouvoir échapper finalement au contrôle de la Horde d'or. Ces événements annoncèrent le déclin de la Galicie-Volhynie, qui se poursuivit jusqu'à l'extinction, en 1340, de la dynastie fondée par Roman Mstislatovitch.

      Les dominations polonaise et lituanienne

      Changements politiques

      Au milieu du xive siècle, les territoires ukrainiens étaient sous la domination de trois puissances extérieures : la Horde d'or, le grand-duché de Lituanie et le royaume de Pologne.

      La steppe et la Crimée, dont les villes côtières et le commerce maritime étaient désormais entre les mains des Vénitiens et des Génois, faisaient directement partie des possessions de la Horde d'or tatare. Cette dernière était la plus occidentale des puissances qui succédèrent à l'Empire mongol de Gengis Khan, et son khan résidait à Sarai, sur la Volga. Au milieu du xve siècle, la Horde d'or était en voie de désintégration. Parmi les États qui prirent sa succession se trouvait le khanat de Crimée qui, après 1475, accepta la suprématie des sultans ottomans. La péninsule de Crimée ainsi que de vastes zones de la steppe voisine restèrent aux mains du khanat jusqu'à son annexion à l'Empire russe en 1783.

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      Dans le reste de l'Ukraine, le pouvoir mongol était surtout indirect, limité à des extorsions de tributs et d'impôts dont le recouvrement était confié aux princes locaux. Il fut également d'une durée relativement courte : le nord-ouest et le centre de l'Ukraine étaient devenus une aire d'expansion pour une nouvelle puissance, qui avait émergé au xiiie siècle, le grand-duché de Lituanie.

      Après avoir incorporé les territoires de l'actuelle Biélorussie en l'espace d'un siècle, la Lituanie progressa rapidement en Ukraine sous le règne du grand-duc Algirdas. Dans les années 1350, la ville de Tchernigov (Tchernihiv) et les régions adjacentes, puis, dans les années 1360, les régions de Kiev et, plus au sud, de Pereïaslav et la Podolie furent occupées par la Lituanie. La compétition avec la Pologne au sujet de l'ancienne principauté de Galicie-Volhynie prit fin, dans les années 1380, avec la partition qui accorda la Volhynie à la Lituanie, tandis que la Pologne se voyait confirmer la possession de la Galicie. Ainsi, le contrôle lituanien s'étendit jusqu'à la steppe et même, brièvement, jusqu'à la mer Noire.

      Au sein du grand-duché, les territoires ruthènes (ukrainiens et biélorusses) conservèrent d'abord une large autonomie. Les Lituaniens, païens eux-mêmes, se convertirent de plus en plus fréquemment à l'orthodoxie et assimilèrent progressivement la culture ruthène. Les pratiques administratives et le système juridique du grand-duché s'inspirèrent fortement des coutumes slaves et le ruthène (slave fortement teinté d'éléments vernaculaires ukrainiens et biélorusses) devint langue officielle.

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      La domination polonaise directe sur l'Ukraine, à partir des années 1340 et au cours des deux siècles qui suivirent, fut limitée à la Galicie. Les changements de type administratif, juridique et foncier y furent plus rapides que dans les territoires ukrainiens soumis à la Lituanie. Cependant, la Lituanie elle-même se trouva bientôt attirée dans l'orbite de la Pologne, à la suite du rattachement dynastique des deux États en 1385-1386 et de la conversion des Lituaniens à l'Église catholique romaine de rite latin. La diffusion du catholicisme et de la culture polonaise dans la noblesse lituanienne affaiblit la position des Ruthènes orthodoxes, comme précédemment en Galicie. En 1569, par l'union de Lublin, le lien dynastique entre Pologne et Lituanie fut transformé en union constitutionnelle des deux États. Au même moment, la plus grande partie des territoires ukrainiens étaient détachés de la Lituanie et annexés directement à la Pologne. Cet événement précipita la différenciation entre Ukrainiens et Biélorusses (qui restèrent dans le grand-duché) et encouragea une intégration plus étroite de la Galicie et des territoires ukrainiens orientaux, en effaçant les frontières politiques qui les séparaient. Au cours du siècle suivant, presque tous les territoires peuplés d'Ukrainiens connurent la domination politique et culturelle de la Pologne.

      Changements sociaux

      Les familles des princes et des boyards dont les origines remontaient à la Rous kiévienne s'étaient largement amalgamées aux noblesses de Lituanie et de Pologne. À la fin du xvie siècle, la noblesse ukrainienne se montra de plus en plus encline à la polonisation, processus souvent inauguré par l'éducation dans les écoles jésuites et la conversion au catholicisme romain.

      Avec le développement des villes et des métiers urbains, en particulier dans l'ouest de l'Ukraine, les bourgeois constituèrent une couche sociale importante. Ils se subdivisaient à la fois selon une hiérarchie sociale interne, associée au système des guildes, et selon la religion et l'appartenance ethnique. Depuis le xiiie siècle, de nombreux Polonais, Arméniens, Allemands et Juifs s'étaient installés dans les villes, où les Ukrainiens s'étaient souvent retrouvés minoritaires. Bien que les bourgeois en vinssent à jouer un rôle influent au sein de la communauté ukrainienne, les incapacités légales imposées aux non-catholiques limitèrent progressivement leur participation à l'autonomie municipale.

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      À l'époque de la domination polonaise, les conditions de vie de la paysannerie ukrainienne se dégradèrent progressivement. La paysannerie libre, qui s'était maintenue à la fin de la période lituanienne, fut rapidement soumise au servage, tandis que les obligations du servage devenaient elles-mêmes plus lourdes. L'agitation paysanne s'accrut vers la fin du xvie siècle, en particulier en Ukraine orientale. Les terres faiblement peuplées furent ouvertes aux propriétaires polonais et, grâce à la protection royale, de grandes exploitations furent créées pour approvisionner en grains les marchés européens. Pour attirer la main-d'œuvre sur ces nouveaux domaines, les paysans furent temporairement exemptés des obligations du servage : la suppression peu après de ces exemptions dans une population désormais accoutumée à la liberté provoqua un fort mécontentement et entraîna la fuite des paysans dans les steppes de l'est et du sud (les « Champs-sauvages »). Les tensions furent exacerbées par le fait que, alors que les paysans étaient ukrainiens et orthodoxes, les seigneurs terriens étaient, eux, largement polonais (ou polonisés) et catholiques romains, tandis que les intendants des domaines étaient souvent juifs. Ainsi, le mécontentement social eut-il tendance à s'ajouter aux griefs religieux et nationaux.

      Évolution religieuse

      Les tentatives pour améliorer le sort de l'Église ruthène, confrontée à la montée du catholicisme romain – favorisée par l'arrivée des jésuites – et à son propre déclin interne, reprirent de la vigueur dans les dernières décennies du xvie siècle. Vers 1580, le prince Konstantin Ostrocki fonda à Ostroh, en Volhynie, un centre culturel qui comprenait une académie et une imprimerie et attira l'élite savante de l'époque ; une de ses réalisations majeures fut la publication de la première traduction complète de la Bible en langue slave. Des confréries laïques, établies par les bourgeois à Lviv et dans les autres villes, subvenaient aux besoins des écoles et des imprimeries, et développaient des œuvres caritatives. Toutefois, elles entraient souvent en conflit avec la hiérarchie orthodoxe, qui prétendait garder sous son autorité leurs institutions et toutes les réformes ecclésiastiques.

      L'évolution religieuse prit un tournant radical en 1596 quand, lors d'un synode réussi à Brest-Litovsk, le métropolite kiévien et la majorité des évêques signèrent un acte d'union avec Rome. Par cet acte, l'Église ruthène reconnaissait la primauté papale, tout en conservant le rite oriental et la langue liturgique slave, ainsi que son autonomie administrative et sa discipline traditionnelle, qui admettait entre autres un clergé marié.

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      L' Église uniate ne réussit pas à obtenir l'égalité juridique avec l'Église latine que prévoyait l'accord, pas plus qu'elle ne fut capable de freiner le processus de polonisation et de latinisation de la noblesse. En revanche, l'union de Brest-Litovsk provoqua une profonde déchirure dans la société et l'Église ruthènes. Cette déchirure se refléta dans la production d'une littérature polémique, des luttes pour le contrôle des évêchés et des propriétés de l'Église – qui s'intensifièrent après la restauration d'une hiérarchie orthodoxe en 1620 – et de nombreux actes de violence. Les efforts pour raccommoder cette déchirure dans les années 1620-1630 se révélèrent infructueux.

      Les Cosaques

      Au xve siècle, une nouvelle société guerrière, les Cosaques (du turc kazakh, « homme libre »), faisait son apparition dans la steppe méridionale de l'Ukraine. Le terme désignait à l'origine des hommes qui s'aventuraient périodiquement dans la steppe pour s'adonner à la chasse, la pêche et la collecte de miel. Leur nombre était continuellement augmenté par des paysans fuyant le servage et des aventuriers issus d'autres couches sociales, dont la noblesse. Regroupés en bandes pour assurer leur protection mutuelle, les Cosaques avaient, dès le milieu du xvie siècle, développé une organisation militaire d'un type démocratique singulier, avec une assemblée générale (rada) pour autorité suprême et des officiers élus (ataman), dont le commandant en chef (hetman). Leur centre était la Setch (Sitch), un camp fortifié situé au milieu des terres bordant le bas Dniepr « au-delà des rapides » (za porohy) – l'actuel Zaporijia – d'où le nom de Cosaques Zaporogues donné à ce groupe.

      Les Cosaques défendaient les populations de la frontière ukrainienne contre les incursions tatares, menaient leurs propres campagnes en Crimée et, à bord de leurs embarcations légères, razziaient même les villes côtières turques d'Anatolie. Le gouvernement polonais trouva en eux une force militaire utile dans ses guerres contre les Tatars, les Turcs et les Moscovites, mais, en temps de paix, il les considérait comme un élément versatile et dangereux. Les tentatives de contrôle institutionnel et de limitation numérique à l'aide d'un registre officiel suscitèrent un vif mécontentement parmi les Cosaques, qui éprouvaient de plus en plus le sentiment de former un État distinct, avec des droits et des libertés propres. À partir de 1591 et pendant un demi-siècle, ils se soulevèrent de manière sporadique.

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      Les Cosaques furent également impliqués dans le conflit religieux qui fit rage au cours de la première moitié du xviie siècle. En 1620, l'armée zaporogue au grand complet se joignit à la communauté orthodoxe de Kiev ; la même année, une nouvelle hiérarchie orthodoxe fut consacrée dans cette ville, sous protection militaire. Ainsi les Cosaques furent-ils associés à un soutien loyal à l'orthodoxie et à une opposition sans compromis à l'Église uniate.

      L'insurrection de Khmelnitski

      Le mécontentement social, les querelles religieuses et le ressentiment contre l'autorité polonaise finirent par se cumuler et connurent leur paroxysme en 1648. À partir de ce qui ressemblait à un soulèvement cosaque ordinaire, sous la conduite de Bogdan Khmelnitski, l'Ukraine se retrouva rapidement emportée dans une révolution et une guerre sans précédent.

      Khmelnitski était un membre de la petite noblesse et un officier cosaque qui, incapable d'obtenir justice pour des torts à lui causés par des Polonais, gagna la Setch à la fin de l'année 1647 et fut élu hetman. Au début de 1648, il entreprit les préparatifs d'une insurrection, s'assurant à cette fin l'aide militaire tatare. Une armée polonaise envoyée en Ukraine pour mater la rébellion fut battue à deux reprises en mai. Cette victoire donna le signal d'un soulèvement populaire massif. La violence se propagea dans tout le pays, les Cosaques et les paysans déchargeant leur colère sur tous ceux qu'ils associaient à l'oppression sociale et à la tyrannie polonaise – propriétaires terriens, fonctionnaires, clergés uniate et latin, juifs. Les Polonais exercèrent en retour de sanglantes représailles. En septembre, Khmelnitski infligea une nouvelle défaite cuisante aux Polonais, traversa la Galicie et assiégea Zamość, en Pologne même. Cependant, il ne poussa pas son avantage et en novembre, avec l'élection d'un nouveau roi polonais, il retourna en Ukraine centrale. En janvier 1649, Khmelnitski fit une entrée triomphale à Kiev, où il fut acclamé comme libérateur. Après cela, et bien qu'il n'eût cherché au départ que réparation de la part de la couronne polonaise, Khmelnitski développa une conception de l'Ukraine comme État indépendant cosaque. Il entreprit d'établir un système de gouvernement et des finances publiques, créa une administration locale placée sous la direction d'une nouvelle élite gouvernante, issue du corps des officiers cosaques, et amorça des relations avec les États étrangers. Toujours prêt à reconnaître la souveraineté royale, cependant, il engagea des négociations avec les Polonais, mais ni le traité de Sborov (août 1649) ni aucun autre ne se révélèrent acceptables, que ce soit pour la noblesse polonaise, pour le peuple cosaque ou pour les masses ukrainiennes radicalisées.

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      Tandis que les opérations militaires se poursuivaient sans résultat, et comme le soutien tatar se révélait peu fiable à des moments cruciaux, Khmelnitski se mit en quête de nouveaux alliés. En 1654, à Pereïaslav, il conclut avec la Moscovie un accord dont la nature précise a engendré une vaste controverse : les historiens russes ont insisté sur l'acceptation par l'Ukraine de la suzeraineté du tsar, qui légitimait la domination russe ; l'historiographie ukrainienne, quant à elle, a mis l'accent sur la reconnaissance par Moscou d'une large autonomie de l'Ukraine. La Moscovie entra alors en guerre contre la Pologne. Toutefois, aucune percée décisive n'aboutit, en dépit de quelques victoires occasionnelles, et Khmelnitski se montra de plus en plus désabusé quant à l'alliance avec Moscou. Des disputes éclatèrent à propos du contrôle sur le territoire conquis en Biélorussie et de l'ingérence russe dans les affaires internes de l'Ukraine. Particulièrement exaspérant pour l'hetman fut le rapprochement russo-polonais qui suivit l'invasion, en 1655, de la Pologne par la Suède, ennemie de Moscou mais alliée potentielle de l'Ukraine. Khmelnitski chercha de nouvelles alliances avec la Suède, la Transylvanie, le Brandebourg, la Moldavie et la Valachie, et plusieurs signes laissaient penser qu'il prévoyait de rompre avec la Moscovie quand il mourut, en 1657.

      La « Ruine »

      L'Ukraine entama ensuite un rapide déclin, jusqu'à un état prolongé de chaos que les contemporains appelèrent la « Ruine ». Les tensions augmentèrent entre le corps des officiers cosaques, qui se voyait transformé en une classe de propriétaires terriens à titre héréditaire, et les hommes de troupe et les paysans, qui formaient une simple réserve de main-d'œuvre. À partir de 1663, des hetmans rivaux firent leur apparition, qui tombèrent dans la sphère d'influence soit de la Pologne, soit de la Russie. En 1667, par le traité d'Androusovo, l'Ukraine fut partagée selon le tracé du Dniepr : la rive droite revint à la Pologne, tandis que la mainmise de Moscou sur la rive gauche et la ville de Kiev fut confirmée. Les terres du Zaporijia devinrent un condominium russo-polonais (transformé en 1686 en une souveraineté exclusivement moscovite). En fait, les Cosaques Zaporogues devinrent leur propre autorité et, les hetmans résidant désormais en dehors de la région, ils élurent leurs propres chefs et suivirent leur propre politique.

      La partition de l'Ukraine provoqua une réaction patriotique. L'hetman de la rive droite du Dniepr, Petro Dorochenko, occupa brièvement la rive gauche et chercha à recréer un État ukrainien unifié sous la suzeraineté de l'Empire ottoman. Une intervention militaire turque massive, en 1672, eut pour principal résultat l'annexion sauvage de la Podolie par les Ottomans. Les espoirs de Dorochenko et sa popularité s'évanouirent quand de nouvelles opérations turques échouèrent à établir son pouvoir et semèrent la désolation, en particulier après que Moscou eut été entraîné dans la guerre. L'exode de la population vers la rive gauche, et même au-delà, dépeupla de vastes zones de la rive droite. Deux campagnes ottomanes de grande ampleur suivirent l'abdication de Dorochenko mais, en 1681, une trêve mit fin à de nouveaux engagements militaires directs de la Turquie. Le pouvoir ottoman ne tarda pas à décliner en Europe et, en 1699, la Podolie revint à la Pologne.

      L'État autonome des hetmans et l'Ukraine Slobidska

      Après la partition de 1667, l'État autonome des hetmans, ou Hetmanat, fut limité géographiquement à l'Ukraine de la rive gauche du Dniepr. À sa tête se trouvait l'hetman, élu en théorie par une assemblée générale cosaque mais en pratique par les officiers supérieurs (les starchina), qui étaient largement influencés par la préférence du tsar. Les modalités de l'autonomie furent renégociées à chaque élection d'un nouvel hetman, ce qui conduisit à une érosion progressive des prérogatives de ce dernier. Néanmoins, pendant un siècle, l'Hetmanat bénéficia d'un haut degré d'autonomie, ainsi que d'un développement économique et culturel considérable.

      Si les conditions de vie des paysans empirèrent au fil du temps, la vie urbaine s'épanouit et certaines villes continuèrent à bénéficier d'un gouvernement municipal autonome. Dans le domaine ecclésiastique, l'Église uniate disparut et le siège du métropolite orthodoxe kiévien passa en 1686 de l'obédience du patriarcat de Constantinople à celle de Moscou. Si les ecclésiastiques ukrainiens gagnèrent en fin de compte une grande influence en Russie, au sein de l'Hetmanat même, l'Église perdit progressivement son autonomie traditionnelle et son caractère spécifiquement ukrainien au cours du xviiie siècle.

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      L'État des hetmans atteignit son apogée sous l'autorité d'Ivan Mazeppa. D'abord confiant dans le soutien du tsar Pierre Ier, Mazeppa exerça un pouvoir quasi monarchique dans l'Hetmanat. Sous son mécénat, la littérature, l'art et l'architecture de style baroque proprement cosaque trouvèrent leur plein épanouissement et l'académie Mohyla de Kiev, la première institution ukrainienne d'enseignement supérieur, connut son âge d'or. Mazeppa aspirait à l'origine à annexer la rive droite et à recréer un État ukrainien unifié, qui serait cependant toujours placé sous la souveraineté du tsar. Mais les réformes centralisatrices de Pierre le Grand et les exactions dont eut à souffrir l'Hetmanat à la suite de la seconde guerre du Nord, déclenchée par Charles XII de Suède contre l'empire russe, se révélèrent menaçantes pour l'autonomie de l'Ukraine. En 1708, Mazeppa conclut une alliance secrète avec Charles XII mais leurs forces conjuguées furent battues par le tsar à Poltava (1709). Mazeppa s'enfuit en Moldavie, où il mourut peu de temps après.

      Bien que Pierre le Grand eût autorisé l'élection d'un successeur de Mazeppa, les prérogatives de l'Hetmanat autonome furent sévèrement rognées et ne cessèrent de se réduire dans les décennies suivantes. À l'accession au trône impérial de Catherine II, en 1762, l'hetman et les starchina réclamèrent la restauration du statut antérieur de l'Hetmanat. Au lieu de quoi, en 1764, l'impératrice obligea l'hetman en place, Rozoumovski, à renoncer à sa charge. Au cours des vingt années suivantes, tous les vestiges d'autonomie de l'Ukraine furent éliminés et, en 1775, le bastion des Cosaques, la Setch zaporogue, fut détruit par les troupes russes.

      Au xviie siècle, la région qui s'étendait à l'est de l'Hetmanat était devenue une aire de colonisation pour les paysans ukrainiens et les Cosaques qui fuyaient le pouvoir polonais et plus tard les ravages de la « Ruine ». Les nouveaux arrivants établirent des colonies libres, appelées slobodes, qui donnèrent leur nom à la région. Kharkiv (Kharkov en russe) en devint le centre principal. De même que l'Hetmanat, l'Ukraine Slobidska connut une grande autonomie interne, bien qu'elle fût placée sous l'autorité de fonctionnaires nommés par le gouvernement impérial russe. Cette autonomie fut abolie en 1765.

      La rive droite et l'Ukraine occidentale jusqu'à la partition de la Pologne

      La société des territoires ukrainiens soumis à l'autorité polonaise au xviiie siècle différait nettement de celle de l'Hetmanat. Les Cosaques disparurent pratiquement de la zone en tant que force organisée. Les villes y connurent un sérieux déclin. Leurs populations devinrent plus sensiblement polonaises et, en particulier sur la rive droite, juives. Le catholicisme romain renforça son statut privilégié ; cependant, l'Église uniate devint majoritaire chez les Ukrainiens de cette région, tandis que l'orthodoxie n'y conservait plus qu'un petit nombre de fidèles.

      En l'absence d'un pouvoir central fort, la rive droite fut dominée par la noblesse polonaise. Un petit nombre de familles étaient particulièrement influentes. Leurs vastes domaines formaient des fiefs quasiment indépendants, avec leurs milices privées. L'exploitation extrême de la paysannerie réduite au servage fit naître un mécontentement qui provoqua des révoltes sporadiques de bandes de rebelles appelés « hajdamaques » (ou haydamaks, « pirates », « maraudeurs » en turc).

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      La domination polonaise en terre ukrainienne prit fin avec les trois partages de la Pologne de la fin du xviiie siècle. En 1772, la Galicie fut annexée par l'Autriche des Habsbourg. En 1793, la Russie s'empara de la rive droite du Dniepr et de l'est de la Volhynie, dont elle absorba le reste en 1795.

      L'Ukraine sous le gouvernement direct de la Russie

      Après leur absorption dans l'Empire russe, les territoires ukrainiens perdirent toute trace officielle de leur spécificité nationale. Ils furent réorganisés sur le modèle des autres provinces russes et administrés par des gouverneurs nommés par Saint-Pétersbourg. Avec la liquidation de la Setch et l'annexion du khanat de Crimée en 1783, les terres faiblement peuplées du Sud (appelées Novorossiïa, « Nouvelle Russie ») furent colonisées par des immigrants venus du reste de l'Ukraine ainsi que, dans une proportion moindre, de Russie, des Balkans et d'Allemagne. Le nouveau port d'Odessa, sur la mer Noire, devint une vaste métropole cosmopolite.

      Dans le domaine social également se produisirent des changements importants. En compensation de leurs droits perdus, les starchina cosaques furent mis sur un pied d'égalité avec les nobles russes. Nombre d'entre eux entrèrent au service de l'empire, et certains accédèrent aux plus hauts degrés de l'administration. Par le biais de l'éducation, des mariages et du service de l'État, la noblesse ukrainienne se russifia peu à peu. La noblesse polonaise de la rive droite, quant à elle, garda son statut et continua à former la classe dominante des propriétaires terriens. L'importante population juive était entravée par de nombreuses incapacités légales et, à partir de 1881, fut victime de vagues de pogromes récurrentes. L'asservissement progressif de la paysannerie de la rive gauche atteignit son point culminant sous Catherine II, en 1783. Les obligations y étaient cependant moins lourdes que sur la rive droite. Le servage resta le lot dominant de la paysannerie jusqu'à l'émancipation de 1861, à la suite de laquelle de nombreux paysans furent appauvris par le rachat qu'ils devaient faire de parcelles de terre. Néanmoins, les réformes stimulèrent le développement de l'industrie en libérant des forces de travail d'origine paysanne. Le développement industriel fut particulièrement marqué dans l'est de l'Ukraine, notamment dans le Donbass, qui attira des ouvriers venus de tout l'Empire. Par conséquent, la classe ouvrière émergente et les centres urbains en pleine croissance devinrent comme des îlots fortement russifiés au sein de l'environnement rural ukrainien.

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      Comme dans les domaines politique et social, le régime tsariste encouragea l'élimination des particularités ukrainiennes en matière religieuse. Si l'Église catholique romaine, en grande partie polonaise, fut tolérée, Catherine II lança un programme de conversion des uniates contrôlé par l'administration. Cette campagne fut en partie abandonnée par ses successeurs immédiats, mais elle fut reprise avec vigueur par Nicolas Ier. En 1839, le siège métropolitain uniate fut aboli, l'union de Brest-Litovsk, déclarée nulle et non avenue, et les uniates furent absorbés dans l'Église orthodoxe russe, tandis que les membres du clergé récalcitrants étaient sévèrement sanctionnés. Cette dernière devint ainsi un véhicule important de la russification en Ukraine.

      Au xixe siècle, le développement de la vie culturelle ukrainienne se trouva étroitement lié aux cercles universitaires. La première université moderne du pays fut fondée en 1805 à Kharkiv (en russe Kharkov) et, pendant trente ans, l'Ukraine Slobidska constitua le principal centre d'études et de publications ukrainiennes. En 1834, une université fut fondée à Kiev et, en 1864, une autre à Odessa. Bien qu'elles fussent des institutions russes, elles firent beaucoup pour promouvoir l'étude de l'histoire et de l'ethnographie locales, qui eut un effet stimulant sur le mouvement national ukrainien.

      C'est cependant la littérature qui devint le premier véhicule du renouveau national. L'écrivain le plus important – et indiscutablement la figure la plus significative dans le développement d'une conscience nationale ukrainienne moderne – fut Tarass Chevtchenko (1814-1861). En plus de son impact novateur sur le cours ultérieur de la littérature ukrainienne, son œuvre reflète une conception de l'Ukraine comme société libre et démocratique qui a exercé une profonde influence sur le développement de la pensée politique ukrainienne.

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      Au milieu du xixe siècle, les premiers frémissements de la vie littéraire et culturelle en Ukraine suscitèrent de l'inquiétude dans les cercles dirigeants tsaristes. Selon le point de vue officiel, qui prédominait également dans l'historiographie russe, les Ukrainiens étaient une subdivision, une « tribu », du peuple russe – les Petits-Russes – arrachée à l'unité de la Rous par les Tatars-Mongols et déviée de son propre cours historique par l'influence funeste de la Pologne. On considérait donc comme essentiel de réintégrer pleinement l'Ukraine dans le corps politique russe. Les vers politiques de Chevtchenko lui valurent d'être arrêté et exilé pendant des années en Asie centrale. En 1863, le ministre de l'Intérieur, Piotr Valouïev, interdit presque toutes les publications ukrainiennes. Cette interdiction fut renforcée par un décret impérial secret d'Alexandre II en 1876, l'oukase d'Ems, et étendue à l'importation de livres, aux lectures publiques et aux représentations théâtrales en ukrainien. La prohibition s'étendit à l'éducation, ce qui constitue l'une des raisons majeures du faible taux d'alphabétisation des Ukrainiens à l'époque (moins de 13 % en 1897). Avec de telles restrictions, les écrivains de l'Ukraine russe ne pouvaient voir leurs œuvres publiées qu'en Galicie autrichienne, où nombre de personnalités du mouvement national transférèrent leur activité.

      La répression tsariste et le caractère encore largement rural de la société ukrainienne au sein de l'Empire russe gênaient le développement d'un mouvement politique. Une société secrète, la Confrérie des saints Cyrille et Méthode, connut une brève existence entre 1845 et 1847. Son programme plaidait pour l'égalité sociale, la fin de l'oppression de la nation et une fédération d'États slaves conduite par l'Ukraine. La confrérie fut rapidement dévoilée et anéantie, et ses dirigeants, arrêtés et punis. Dans la seconde moitié du xixe siècle, des sociétés clandestines appelées hromadas (« communautés ») furent formées dans diverses villes pour promouvoir clandestinement la culture, l'éducation et les publications ukrainiennes. C'est à la hromada de Kiev qu'était à l'origine associé le chef de file de la pensée politique de l'époque, Mykhaïlo Drahomanov (1841-1895), qui plaida pour la transformation de l'empire tsariste en une république fédérative dans laquelle les droits nationaux des Ukrainiens seraient garantis. Vers la fin du siècle, des hromadas plus récentes, d'abord dirigées par des étudiants, furent impliquées dans des activités plus ouvertement politiques. L'un de ces groupes, à Kharkiv, devint le Parti ukrainien révolutionnaire qui, dans un pamphlet publié en 1900, afficha pour la première fois comme but politique une Ukraine « seule et unique, indivisible, libre et indépendante ».

      La révolution qui secoua l'Empire russe en 1905 engendra aussi des grèves ouvrières et une agitation paysanne en Ukraine. La transformation qui s'ensuivit de l'autocratie tsariste en une monarchie semi-constitutionnelle amena un certain soulagement dans la vie nationale ukrainienne. L'interdit qui pesait sur les publications en ukrainien tomba et les sociétés destinées à encourager l'édification des masses et le savoir proliférèrent, de même que les troupes théâtrales et les ensembles musicaux. Néanmoins, la population concernée par ces efforts culturels demeura peu nombreuse et l'ukrainien restait toujours exclu des écoles.

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      Sur la scène politique, l'introduction dans l'Empire russe, en 1906, d'une assemblée élue, la Douma, qui siégeait à Saint-Pétersbourg, fournit aux Ukrainiens un nouveau forum pour mettre en avant leurs intérêts nationaux. Dans les éphémères première et deuxième Doumas, les Ukrainiens eurent une représentation assez importante. Cependant, des changements dans la loi électorale de l'empire tsariste, au détriment de la paysannerie et des minorités nationales, limitèrent sévèrement la représentation ukrainienne et son efficacité dans les troisième et quatrième Doumas.

      L'Ukraine occidentale sous la monarchie des Habsbourg

      Sous le gouvernement autrichien, à partir de 1772, la Galicie, de peuplement ukrainien, fut jointe administrativement à des régions de peuplement purement polonais, avec Lviv (en allemand Lemberg) pour capitale provinciale. Cela, ajouté au fait que dans la partie ukrainienne même, les Polonais constituaient la quasi-totalité des propriétaires terriens et dominaient les villes principales (bien que de nombreuses cités eussent une large population juive), fit de la rivalité entre Ukrainiens d'Autriche (Ruthènes) et Polonais un élément crucial de la vie de la région.

      Les réformes introduites sous les règnes de Marie-Thérèse et Joseph II (1745-1790) et la mise en place de la bureaucratie de l'empire d'Autriche en Galicie améliorèrent la position des Ukrainiens. Les paysans profitèrent de la limitation de la corvée et de l'abolition de l'attachement personnel au propriétaire terrien, ainsi que de nouvelles méthodes d'agriculture prônées par les « monarques éclairés ». Des réformes municipales stoppèrent le déclin des villes et permirent un redressement de la situation sociale et juridique de la population urbaine ukrainienne. Dès 1775, des réformes scolaires autorisèrent l'enseignement en langue ukrainienne mais, en pratique, son usage fut limité.

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      Le sort de l'Église uniate s'améliora également. Rebaptisée Église catholique grecque en 1774, elle reçut, par un décret impérial, un statut égal à celui de l'Église catholique romaine et, en 1807, Lviv devint le siège d'un métropolite de cette confession jusque-là mal tolérée. Les autorités impériales firent des efforts pour relever le niveau d'instruction du clergé. Dans les premières décennies du xixe siècle, les ecclésiastiques formés dans les institutions nouvelles constituaient presque exclusivement la classe instruite et leurs enfants, en adoptant des professions séculières, donnèrent naissance à une intelligentsia ukrainienne. Au cours du siècle, l'Église catholique grecque devint une institution nationale majeure, tout autant que religieuse.

      La révolution de 1848 qui souffla sur l'Empire autrichien politisa les Ukrainiens de Galicie. Le Conseil ruthène suprême, créé pour exprimer les intérêts ukrainiens, proclama l'identité des Ruthènes d'Autriche et des Ukrainiens de Russie, réclama la division de la Galicie en deux provinces séparées, l'une polonaise et l'autre ukrainienne, organisa une garde nationale et publia le premier journal ukrainien.

      Bien qu'étouffée, la révolution introduisit d'importantes transformations dans la société galicienne. La corvée fut abolie en 1848. Mais, du fait de l'absence de réforme foncière, de la surpopulation rurale et de la quasi totale absence d'industrie pour absorber l'excédent de main-d'œuvre, l'appauvrissement de la paysannerie ukrainienne s'accrut. Un vaste mouvement d'émigration vers les Amériques commença dans les années 1880 et se poursuivit jusqu'à la Première Guerre mondiale.

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      Également à la suite de la révolution de 1848, le régime impérial autrichien trouva un compromis avec la noblesse polonaise qui, dans les faits, laissait le contrôle politique de la Galicie aux Polonais. Les gouverneurs nommés par Vienne étaient exclusivement des aristocrates polonais. L'administration et l'université de Lviv, qui avaient été germanisées dans les premiers temps de la domination des Habsbourg, furent polonisées. Les élections au Parlement autrichien et à la diète galicienne, basées sur un système qui favorisait les propriétaires terriens et les classes urbaines, mirent inévitablement en place des majorités polonaises. Les efforts occasionnels des autorités impériales pour promouvoir la réconciliation entre Polonais et Ukrainiens n'obtinrent que de faibles concessions de la part des premiers en matière de culture et d'éducation.

      La déception à l'égard des Habsbourg et l'inquiétude face au nouvel ascendant polonais firent émerger, dans les années 1860, des sympathies prorusses parmi les membres de l'intelligentsia cléricale. Les russophiles prônaient une langue hybride mêlant le russe et l'ukrainien et une orientation culturelle et politique tournée vers la Russie. À partir des années 1870, ils cédèrent du terrain aux populistes, qui défendaient l'usage de la langue vernaculaire et insistaient sur l'identité spécifique des Ukrainiens en Autriche-Hongrie et dans l'Empire russe. Les populistes développèrent une presse à large diffusion et fondèrent de nombreuses associations, qui donnèrent également une voix aux écrivains et aux savants de la partie russe de l'Ukraine.

      Au tournant du siècle, le conflit ethnique en Galicie s'aggrava. Des grèves paysannes massives contre les propriétaires polonais se produisirent en 1902. Les étudiants ukrainiens se lancèrent dans des manifestations et des affrontements avec les Polonais et, en 1908, l'un d'eux assassina le gouverneur de Galicie. L'introduction en 1907 du suffrage universel (masculin) dans les élections au Parlement autrichien renforça la représentation ukrainienne à Vienne et intensifia les pressions pour obtenir une réforme similaire à l'échelon provincial, mais l'ancien système électoral fut maintenu. À la veille de la Première Guerre mondiale, les Ukrainiens de la Galicie autrichienne formaient toujours une population à dominante agricole et politiquement désavantagée.

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      En 1774, deux ans après l'annexion de la Galicie, les Habsbourg avaient acquis la Bucovine, un territoire peuplé en partie d'Ukrainiens et en partie de Roumains et situé entre le Dniestr et les Carpates, qui devint un royaume autonome à partir de 1861. Les frictions entre Ukrainiens et Roumains s'accrurent jusqu'à la fin du siècle, mais sans atteindre le degré d'hostilité qui existait en Galicie entre Ukrainiens et Polonais. À partir de la fin des années 1860, le mouvement national ukrainien de Bucovine suivit un cours parallèle à celui de Galicie.

      La Première Guerre mondiale et la lutte pour l'indépendance

      Dès le déclenchement des hostilités entre la Russie et l'Autriche-Hongrie, le 1er août 1914, les publications et organisations culturelles ukrainiennes furent interdites dans l'Empire russe, et les personnalités en vue, arrêtées ou exilées. Quand les troupes russes entrèrent en Galicie en septembre, les Autrichiens exécutèrent au cours de leur retraite des milliers de personnes suspectées de sympathie pour l'envahisseur. La campagne de russification entreprise par les autorités tsaristes pendant l'occupation de la région fut interrompue par la reconquête autrichienne du printemps de 1915, mais l'ouest de l'Ukraine resta le théâtre d'opérations militaires.

      En mars 1917, à la suite de la révolution russe de février, un organe représentatif ukrainien fut formé à Kiev, la Rada (« conseil ») centrale, présidée par l'historien Mykhaïlo Hrouchevski. Son objectif déclaré était l'autonomie territoriale de l'Ukraine et la transformation de la Russie en république fédérative et démocratique. Bien que le gouvernement provisoire russe reconnût le droit de l'Ukraine à l'autonomie, les prérogatives politiques et la juridiction territoriale de la Rada centrale firent l'objet de différends non résolus. De plus, localement, en particulier dans l'est du pays, la Rada devait rivaliser avec les soviets (conseils des ouvriers et soldats), de plus en plus radicaux.

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      Les relations entre Russes et Ukrainiens se détériorèrent rapidement après le coup d'État bolchevique du 25 octobre (7 novembre) 1917. La Rada centrale refusa de reconnaître l'autorité du nouveau régime et, le 20 novembre, proclama la création d'un État autonome, la République nationale ukrainienne. De leur côté, les bolcheviks, au premier Congrès des soviets de tous les Ukrainiens, proclamèrent en décembre, à Kharkiv, la République soviétique d'Ukraine. En janvier 1918, ils lancèrent une offensive sur la rive gauche et marchèrent sur Kiev. La Rada centrale, déjà engagée dans des négociations de paix avec les Puissances centrales, proclama l'indépendance totale de l'Ukraine le 22 du même mois. Presque aussitôt cependant, le gouvernement dut se réfugier sur la rive droite, tandis que les troupes soviétiques occupaient Kiev. Le 9 février, l'Ukraine et les Puissances centrales signèrent le traité de paix de Brest-Litovsk. Une offensive austro-allemande délogea les bolcheviks de Kiev début mars et le gouvernement de la Rada réintégra la capitale. En avril, l'Armée rouge se retira d'Ukraine.

      La politique socialiste du gouvernement ukrainien, en particulier la nationalisation des terres, entrait en conflit avec l'intérêt du haut commandement allemand, qui était d'optimiser les rendements agricoles pour son propre effort de guerre. Le 29 avril 1918, le gouvernement de la Rada fut renversé par un coup d'État du général Pavlo Skoropadski, soutenu par l'Allemagne. Ce dernier s'attribua le titre d'« hetman d'Ukraine », abrogea toutes les lois passées par la Rada et établit un régime conservateur qui s'appuyait sur les propriétaires terriens et la classe moyenne des villes, en grande partie russe. Pour coordonner l'opposition politique, une Union nationale ukrainienne fut créée, tandis que les paysans manifestaient leur hostilité par des révoltes et des actions de guérilla. La capitulation de l'Allemagne et de l'Autriche en novembre retira son principal appui au régime de Skoropadski et l'Union forma un Directoire pour préparer son renversement. Le 14 décembre, l'hetman abdiqua.

      Dans l'ouest de l'Ukraine, avant même la chute de l'Autriche-Hongrie, en octobre 1918, une assemblée de leaders politiques avait proclamé la formation d'un État, baptisé peu de temps après République nationale d'Ukraine occidentale et englobant la Galicie, le nord de la Bucovine (peuplé de deux tiers d'Ukrainiens) et la Transcarpatie, un territoire de population ukrainienne situé au sud-ouest des Carpates et qui appartenait auparavant à la couronne hongroise. Le 1er novembre, les forces ukrainiennes occupèrent Lviv. Cette action déclencha une guerre avec les Polonais, eux-mêmes résolus à incorporer la Galicie dans un État polonais reconstitué. Le 22 janvier 1919, un acte d'union des deux États ukrainiens fut proclamé à Kiev, mais l'intégration politique réelle fut empêchée par la poursuite des hostilités. Ces dernières tournèrent à l'avantage des Polonais qui, fin juillet, contrôlaient l'ensemble de la Galicie, tandis que le gouvernement ukrainien de Yevhen Petrouchevytch s'exilait à Vienne. À la même époque, la Transcarpatie avait rejoint volontairement la nouvelle République tchécoslovaque, tandis que l'ensemble de la Bucovine était occupé par l'armée roumaine.

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      À Kiev, le Directoire (dirigé à partir de février 1919 par Simon Petlioura, qui était également commandant en chef) restaura officiellement la République nationale ukrainienne, tandis que la situation intérieure devenait de plus en plus chaotique et l'environnement extérieur, hostile. Les Alliés, dont la France qui tenait Odessa, soutenaient les Russes blancs, lesquels avaient groupé leurs armées autour du général Anton Denikine, en Russie méridionale. En février 1919, les bolcheviks reprirent Kiev. Le Directoire émigra sur la rive droite. En mai, Denikine déclencha sa marche à l'ouest à travers l'Ukraine, qui fut marquée par la terreur. Tandis que les bolcheviks se retiraient à nouveau, les forces ukrainiennes de Petlioura et les régiments de Denikine entraient simultanément à Kiev, le 31 août. De septembre à décembre, les deux armées s'affrontèrent mais, perdant du terrain, les Ukrainiens se replièrent sur la Volhynie. Confrontés aux Polonais à l'ouest, à l'Armée rouge au nord et aux Blancs au sud, ils cessèrent toute opération régulière et entrèrent en guérilla. En décembre, Petlioura se rendit à Varsovie en quête d'un appui extérieur. Au même moment, les bolcheviks battaient les forces de Denikine et, le 16, reprenaient Kiev. En février 1920, les Blancs avaient été expulsés d'Ukraine.

      Les négociations de Petlioura avec le gouvernement polonais de Josef Pilsudski aboutirent au traité de Varsovie, signé en avril 1920 et aux termes duquel, en échange d'une aide militaire, la République nationale ukrainienne renonçait à ses prétentions sur la Galicie et l'ouest de la Volhynie. Une campagne commune débuta deux jours plus tard mais, en octobre, la Pologne conclut une trêve avec les Soviétiques et, en mars 1921, les deux belligérants signèrent le traité de Riga, qui reconnaissait à la fois l'Ukraine soviétique et l'annexion des territoires ukrainiens occidentaux par la Pologne.

      L'Ukraine dans l'entre-deux-guerres

      L'Ukraine soviétique

      Les territoires sous contrôle bolchevique devinrent officiellement la République socialiste soviétique d'Ukraine. Le 30 décembre 1922 fut proclamée l'Union des républiques socialistes soviétiques (URSS) – une fédération regroupant la Russie, l'Ukraine, la Biélorussie et la République fédérative socialiste soviétique (RFSS) de Transcaucasie – dont la première Constitution fut ratifiée en janvier 1924. Même si les républiques constitutives conservaient le droit théorique de faire sécession, leur domaine de compétence se limitait aux affaires internes.

      À son congrès fondateur à Moscou, en juillet 1918, le Parti communiste (bolchevique) d'Ukraine – PC(b)U – s'était déclaré lui-même partie intégrante du Parti communiste russe, en dépit des efforts de bolcheviks de sensibilité nationaliste, tel Mykola Skrypnyk, pour le proclamer organisme indépendant. À l'époque de sa fondation, le PC(b)U comprenait 7 % d'Ukrainiens (sur moins de 5 000 membres). Cette composante fut renforcée en 1920 par l'arrivée des borotbistes (du nom de leur journal, Borotba, « Lutte »), membres du Parti communiste d'Ukraine non bolchevique (formé en 1919), mais, à la fin de l'année, elle était encore inférieure à 20 %. Largement étrangers par la nationalité et idéologiquement favorables au prolétariat, les bolcheviks ne disposaient que d'un maigre soutien au sein d'une population constituée de 80 % d'Ukrainiens, dont plus de 90 % étaient des paysans.

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      Dans les années 1920, les bolcheviks étaient confrontés à deux tâches majeures : reconstruire l'économie et se concilier les populations non russes. La politique du « communisme de guerre » (basée sur la nationalisation de toutes les entreprises et la réquisition forcée de nourriture) avait causé des ravages dans l'économie. Ajoutée à la sécheresse, elle concourut à la famine de 1921-1922, qui fit un million de morts en Ukraine. En 1921, Lénine introduisit la Nouvelle Politique économique (NEP), qui restaura en partie l'entreprise privée dans l'industrie et le commerce, et remplaça les réquisitions de céréales par une taxe fixe, avec le droit d'écouler les surplus sur le marché. En 1927, l'économie ukrainienne retrouvait son niveau d'avant-guerre et certaines couches de la société connaissaient une prospérité relative.

      Par ailleurs, les bolcheviks prirent des mesures en faveur des populations non russes. En 1923 fut annoncée une politique encourageant l'usage des langues indigènes, le développement de la culture nationale et le recrutement des cadres au sein de la population autochtone. Dans les rangs du PC(b)U, la proportion d'Ukrainiens dépassa les 50 % à la fin des années 1920. En dépit de la propagande antireligieuse, l'Église orthodoxe autocéphale ukrainienne, qui avait emporté une large adhésion au sein de la population paysanne depuis sa formation en 1921, fut un facteur important de la renaissance culturelle.

      L'ukrainisation fut vigoureusement encouragée par les « national-communistes », dont Skrypnyk ou l'écrivain Mykola Khvylovy, et par les anciens borotbistes, dont le plus important était le commissaire du peuple à l'Éducation, Oleksander Choumsky. Elle rencontra en revanche une forte résistance parmi les leaders non ukrainiens du PC(b.)U. et les fonctionnaires du Parti. Elle causa également des soucis à Moscou, où Staline resserrait son étreinte sur l'appareil bolchevique. En 1925, il envoya son lieutenant Lazar Kaganovitch diriger le PC(B)U. En un an, Kaganovitch manigança un clivage au sein des « national-communistes », obtint la rétractation de Khvylovy et l'expulsion du Parti de Choumsky et de ses partisans. Néanmoins, avec Skrypnyk comme nouveau commissaire à l'Éducation, l'ukrainisation continua à progresser.

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      L'introduction du 1er plan quinquennal, en 1928, marqua la fin de la NEP et la mise en œuvre d'une industrialisation effrénée qui provoqua, en Ukraine, une rapide transformation économique et sociale. Lorsque la Seconde Guerre mondiale éclata, la production industrielle avait été multipliée par quatre, le nombre d'ouvriers avait triplé et la population urbaine était passée de 19 à 34 % de la population totale. Cependant, cette évolution avait privilégié l'industrie lourde et avait surtout concerné les régions du Donbass et du Dniepr moyen.

      Le coût de l'industrialisation accélérée fut supporté par la paysannerie. En 1928, le régime introduisit des mesures spéciales contre les koulaks (les paysans arbitrairement définis comme « riches »), d'abord des taxes exorbitantes, puis l'expropriation, et finalement la déportation, au milieu des années 1930, de cent mille familles en Sibérie et au Kazakhstan. La collectivisation massive et forcée débuta en 1929. Le pourcentage de fermes collectivisées passa de 9 à 65 % entre octobre 1929 et mars 1930, pour dépasser 90 % à la fin de 1935. À la résistance massive à la collectivisation répondirent des quotas de livraison de céréales encore plus élevés. Le résultat en fut la famine de 1932-1933, qui causa de cinq à sept millions de morts. Des colons russes furent amenés pour repeupler la campagne dévastée. Le village ukrainien traditionnel n'existait plus.

      Parallèlement, le régime entreprit une campagne contre les « déviations nationalistes ». L'Église autocéphale fut liquidée en 1930, le clergé arrêté et exilé. Les arrestations, suivies de l'emprisonnement, de l'exil ou de l'exécution, décimèrent les rangs des intellectuels et des artistes. Certains, tel Khvylovy, se suicidèrent. Ce sont ainsi les quatre cinquièmes de l'élite culturelle ukrainienne qui furent victimes de la répression au cours des années 1930.

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      Le PC(b)U lui-même sortit transformé, dans sa composition et dans son caractère, de ces bouleversements. De 1929 à 1934, des séries de purges éliminèrent du Parti nombre des révolutionnaires de la première heure, partisans de l'ukrainisation, ainsi que ceux qui remettaient en question les excès de la collectivisation. Mykola Skrypnyk se suicida en 1933. En 1936-1938, une nouvelle vague de purges frappa le PC(b)U : 99 des 102 membres du comité central furent abattus. En 1938, Nikita Khrouchtchev arriva de Moscou avec un grand nombre de communistes russes pour prendre le contrôle du PC(b)U. À l'aube de la Seconde Guerre mondiale, la Grande Terreur et l'agitation au sein du Parti commencèrent à décroître.

      L'Ukraine occidentale sous la domination polonaise

      Bien que les Puissances alliées eussent accepté en 1923 l'annexion de la Galicie par la Pologne sur la base de l'autonomie régionale de la première, le gouvernement polonais procéda rapidement au démantèlement des institutions locales héritées des Habsbourg. La Galicie ukrainienne, officiellement nommée « Petite Pologne orientale », était administrée par des gouverneurs et des préfets locaux désignés par Varsovie. Une frontière administrative spéciale, appelée « frontière Sokal » (du nom d'une ville aujourd'hui ukrainienne, située dans la zone contestée), fut établie pour empêcher la diffusion des publications et institutions ukrainiennes de Galicie en Volhynie. En 1924, la langue ukrainienne fut éliminée des institutions étatiques. En dépit de la stagnation économique, de la faible industrialisation et de la surpopulation rurale, le gouvernement favorisa l'implantation d'agriculteurs polonais, exacerbant encore les tensions.

      Dans une société où nationalité et religion étaient inextricablement liées, l'Église joua un grand rôle. En Galicie, l'Église catholique grecque fut relativement protégée de l'ingérence ouverte de l'État par le concordat de 1925 entre le Vatican et la Pologne. Toutefois, elle n'était pas autorisée à étendre ses activités au-delà de la frontière Sokal.

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      En Volhynie, l'orthodoxie restait la religion dominante. Dans les années 1930, les autorités polonaises encouragèrent la conversion (parfois forcée) des orthodoxes au catholicisme romain et fermèrent, détruisirent ou transférèrent à l'Église romaine des centaines d'églises orthodoxes.

      En dépit des obstacles officiels, la vie de la communauté ukrainienne continua à se développer en Galicie sur les bases établies à l'époque autrichienne. Dans un contexte de dépression économique et de discrimination dans l'emploi public, le mouvement coopératif connut un vif succès. De grands progrès furent également accomplis en Volhynie.

      La vie politique ukrainienne était dominée par le conflit avec les Polonais. Les premières élections à la Diète et au Sénat de Varsovie, en 1922, furent boycottées par les Ukrainiens de Galicie. Ceux de Volhynie y participèrent et, faisant bloc avec les Juifs et les autres minorités, ils l'emportèrent haut la main sur les candidats polonais. Les uns et les autres prirent part aux élections suivantes qui furent entachées d'abus, d'intimidation et de violence. Le parti politique le plus influent en Galicie était l'Alliance démocratique nationale ukrainienne (centriste) qui tentait d'arracher des concessions au gouvernement polonais et d'informer l'opinion publique. Les partis de gauche avaient beaucoup plus de force en Volhynie.

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      En 1920, fut fondée dans la clandestinité l'Organisation militaire ukrainienne, menée par Yevhen Konovalets. En 1929, elle devint l'Organisation des nationalistes ukrainiens (OUN), qui commit des actes de sabotage et d'assassinat de fonctionnaires polonais. Elle eut de nombreux adeptes parmi les étudiants et les jeunes paysans, en Galicie plus encore qu'en Volhynie.

      À la fin des années 1920, comme les activités nationalistes ukrainiennes s'intensifiaient, le régime polonais prit des mesures répressives supplémentaires. En 1930, une « campagne de pacification » menée par l'armée et la police se conclut par de nombreuses arrestations.

      La Seconde Guerre mondiale et ses conséquences

      L'invasion de la Pologne par les Allemands le 1er septembre 1939 marqua le début de la Seconde Guerre mondiale. À la mi-septembre, en accord avec les résolutions secrètes du pacte conclu entre Molotov et Ribbentrop, les troupes soviétiques occupèrent la Volhynie occidentale et une grande partie de la Galicie, qui furent bientôt officiellement incorporées à l'URSS. En juin 1940, le nord de la Bucovine – roumain depuis 1919 – fut occupé et peu après annexé à l'Ukraine soviétique. Le remplacement des langues polonaise et roumaine par l'ukrainien dans l'administration et l'éducation fut mené de front avec la suppression de toutes les associations existantes, la soviétisation des institutions et l'arrestation des meneurs politiques et des activistes locaux. À la mi-1941, plus d'un million de gens avaient été déportés à l'est, dont un grand nombre de Polonais et de Juifs.

      Les régions les plus occidentales furent incluses, avec plus de 500 000 Ukrainiens, dans la région administrative de Pologne établie par les nazis. Sous la domination allemande, les activités politiques furent interdites, sauf pour l'OUN, qui était alors divisée entre les partisans d'Andryi Melnyk – qui dirigeait l'organisation de l'étranger depuis l'assassinat de Konovalets par un agent soviétique en 1938 – et ceux de Stepan Bandera, qui, eux, avaient une réelle expérience de la clandestinité. À l'issue d'un congrès tenu à Cracovie en février 1940, les deux factions donnèrent naissance à deux organisations distinctes, l'OUN-M et l'OUN-B.

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      Le 22 juin 1941 débuta l'invasion surprise de l'URSS par l'Allemagne. Au cours de leur retraite précipitée, les Soviétiques exécutèrent leurs prisonniers politiques et menèrent la politique de la terre brûlée. Près de quatre millions de personnes furent évacuées à l'est de l'Oural pendant la guerre. Néanmoins, les Allemands avançaient rapidement et, fin novembre, presque toute l'Ukraine était sous leur contrôle.

      Au début, les Allemands furent accueillis en libérateurs par une grande partie des Ukrainiens. L'illusion fut rapidement dissipée. Lors de leur entrée dans Lviv le 30 juin, les Allemands étaient accompagnés par des membres de l'OUN-B qui, le même jour, proclamèrent la restauration de l'État ukrainien et la formation d'un gouvernement provisoire. En quelques jours, les auteurs de ce putsch furent arrêtés et déportés dans des camps de concentration (tels Bandera et, plus tard, Melnyk). Loin de soutenir les aspirations politiques ukrainiennes, les Allemands rattachèrent administrativement la Galicie à la Pologne en août et redonnèrent la Bucovine à la Roumanie, à laquelle ils confièrent le contrôle de la région située entre le Dniestr et le Boug méridional (la « Transnistrie »). Le reste forma le commissariat du Reich d'Ukraine, dirigé par Erich Koch.

      Babi Yar, près de Kiev, Ukraine - crédits : Pyotr Sivkov/ TASS/ Getty Images

      Babi Yar, près de Kiev, Ukraine

      À l'automne de 1941 commença l'extermination massive des Juifs. Environ 600 000 périrent, dont quelque 70 000 furent exécutés dans le ravin de Babi Yar, à Kiev. Dans le commissariat du Reich, les fermes collectives, dont les paysans souhaitaient si ardemment la dissolution, furent gardées intactes, les usines laissées à l'abandon, et les villes privées de ravitaillement, tandis que toutes les ressources disponibles étaient destinées à soutenir l'effort de guerre allemand. Environ 2,5 millions de personnes furent emmenées en Allemagne pour y cultiver les terres. Seule l'Église orthodoxe ukrainienne reconstituée fut autorisée à reprendre ses activités en tant qu'institution nationale. Dans le centre et l'est de l'Ukraine, des cellules secrètes du parti communiste maintinrent une activité clandestine, et un mouvement partisan soviétique se développa dans les forêts du Nord. Au début de 1942 commença la formation d'unités partisanes nationalistes en Volhynie et, plus tard, en Galicie, connues sous le nom d'« Armée insurrectionnelle ukrainienne » (AIU). Tout en menant une guérilla contre les Allemands, partisans soviétiques et AIU se combattaient les uns les autres.

      Après leur victoire sur les Allemands à Stalingrad au début de 1943, les Soviétiques lancèrent une contre-offensive à l'ouest. À la mi-1943, les Allemands commencèrent leur lente retraite d'Ukraine. En novembre, les Soviétiques entrèrent à Kiev. Avec l'approche du front, la guérilla en Ukraine occidentale s'intensifia et des affrontements sanglants se produisirent entre Ukrainiens et Polonais. Au printemps de 1944, l'Armée rouge pénétra en Galicie et, fin octobre, toute l'Ukraine était sous son contrôle.

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      La victoire soviétique, l'occupation de l'Europe de l'Est par l'Armée rouge et la diplomatie alliée eurent pour résultat un remaniement durable de la frontière orientale de l'Ukraine. La Pologne accepta de céder la Volhynie et la Galicie (contre l'acquisition de territoires allemands à l'ouest). Un échange mutuel de populations avec l'Ukraine (et le déplacement par la Pologne des Ukrainiens restants vers ses nouveaux territoires occidentaux) créa pour la première fois une frontière politico-ethnique claire entre les deux pays. Le nord de la Bucovine fut réoccupé en 1944 et reconnu comme appartenant à l'Ukraine au traité de Paris de 1947. La Ruthénie subcarpatique (Transcarpatie) fut cédée à l'Ukraine par la Tchécoslovaquie en 1945. La même année, l'Ukraine devint membre des Nations unies.

      Les pertes humaines et matérielles de l'Ukraine pendant la Seconde Guerre mondiale furent énormes. On estime que l'Ukraine comptait environ 36 millions d'habitants en 1947, soit près de cinq millions de moins qu'avant-guerre. Dix millions de personnes étaient sans abri, tandis que plus de 700 villes et 2 800 villages étaient détruits. Seulement 20 % des entreprises industrielles et 15 % des équipements agricoles restaient intacts, et le réseau de transports était sévèrement endommagé. Les pertes matérielles constituaient environ 40 % du patrimoine national.

      L'Ukraine soviétique après 1945

      Les dernières années du pouvoir stalinien

      La reconstruction, le retour du totalitarisme et la soviétisation de l'ouest du pays caractérisèrent la fin de l'ère stalinienne en Ukraine.

      Le quatrième plan quinquennal (1946-1950) privilégia à nouveau l'industrie lourde. Dès 1950, la production industrielle ukrainienne dépassait son niveau d'avant-guerre. En revanche, les niveaux de production agricole d'avant-guerre ne furent pas atteints avant les années 1960. En 1946-1947, une famine due en partie à la sécheresse fit environ un million de victimes.

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      Le système de contrôle totalitaire d'avant-guerre par l'entremise du Parti communiste et de la police secrète fut rapidement réimposé. Khrouchtchev continua à diriger le PC(b)U jusqu'à sa promotion au secrétariat du comité central du parti à Moscou, en décembre 1949. Leonid Melnikov lui succéda. Les purges au sein du parti furent relativement modérées. Cependant, des centaines de milliers de collaborateurs, réels ou prétendus, des nazis, d'anciens prisonniers de guerre et de travailleurs forcés rapatriés, ainsi que des « nationalistes bourgeois » ukrainiens, furent envoyés dans les camps de concentration du Grand Nord et de Sibérie. Les écrivains, artistes et scientifiques ukrainiens qui, en temps de guerre, étaient autorisés à développer des thèses patriotiques au nom de la lutte contre les Allemands, étaient maintenant accusés de nationalisme et soumis à la répression. Une campagne « anticosmopolite » détruisit les derniers vestiges des institutions culturelles d'une communauté juive décimée par l'Holocauste.

      La soviétisation de l'Ukraine occidentale fut un processus prolongé et violent. L'AIU, sous la direction de Roman Choukhevytch (tué en 1950), continua à mener des opérations militaires contre les troupes soviétiques jusqu'au début des années 1950. L'Église catholique grecque fut accusée d'encourager les partisans. En avril 1945, le métropolite Yosyf Slipyi et tous les membres du clergé de Galicie furent arrêtés et condamnés à de longues peines d'emprisonnement. En mars 1946, un synode réuni à Lviv (en fait sur ordre de Staline) proclama la « réunification » des catholiques grecs ukrainiens et de l'Église orthodoxe russe. Officiellement « autodissoute », l'Église catholique grecque survécut dans la clandestinité au cours des décennies suivantes. C'est environ un demi-million de personnes – insurgés, nationalistes, croyants « déviants » – qui furent alors déportées depuis l'Ukraine occidentale.

      Les années Khrouchtchev

      L'ascendant pris par Khrouchtchev sur ses rivaux, après la mort de Staline en 1953, revêtait une importance toute particulière pour l'Ukraine. En tant que premier secrétaire du PC(b)U, il avait acquis une connaissance intime du pays, avait placé ses fidèles dans le parti et aux postes gouvernementaux et était devenu familier des élites culturelles ukrainiennes. Melnikov fut assez rapidement destitué de son poste de premier secrétaire du Parti communiste d'Ukraine (PCU) – ainsi fut rebaptisé le PC(b)U en 1952 – pour « déviations dans la politique des nationalités », c'est-à-dire en l'occurrence la promotion de cadres non autochtones et la russification de l'enseignement supérieur en Ukraine. Son remplaçant fut Oleksy Kyrytchenko, le deuxième Ukrainien seulement à occuper ce poste. Les célébrations à travers toute l'Union soviétique, en 1954, des trois cents ans de la « réunification » de l'Ukraine et de la Russie furent un autre signe de l'amélioration de la toute nouvelle position de l'Ukraine ; à cette occasion, la péninsule de Crimée, dont la population tatare avait été déportée en masse en 1944, fut transférée de la RSFS de Russie à l'Ukraine. Les fonctionnaires du Parti ukrainien commencèrent à recevoir des promotions aux organes centraux du Parti à Moscou. En 1957, Kyrytchenko fut transféré à Moscou comme secrétaire du comité central du Parti communiste d'Union soviétique (PCUS) ; il fut remplacé à la tête du PCU. par Nikolaï Podgorny, qui fut à son tour secrétaire du comité central du PCUS. en 1963. Le nombre des membres du parti s'accrut régulièrement, dépassant le million à la fin de 1958, dont 60,3 % d'Ukrainiens et 28,2 % de Russes.

      Khrouchtchev introduisit une décentralisation limitée dans l'administration et l'économie. Dès 1953, la terreur de masse diminua. En 1955-1956, une amnistie libéra la majorité des détenus des camps de concentration et des centaines de milliers d'entre eux revinrent en Ukraine. Au cours de la campagne de déstalinisation qui suivit le Rapport secret de Khrouchtchev en 1956, les écrivains qui avaient souffert du régime stalinien furent loués et honorés et les historiens commencèrent à traiter des sujets auparavant interdits.

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      Dans la seconde moitié de la période dominée par Khrouchtchev, une nette tendance à la russification refit surface. Une réforme scolaire adoptée en 1959 inaugura un long processus de restriction de l'usage de l'ukrainien dans les écoles. En 1961, le nouveau programme du Parti insista sur l'importance de la langue russe pour l'intégration des peuples soviétiques et parla de la diminution de l'importance des frontières entre les républiques de l'URSS. De petits groupes clandestins de dissidents commencèrent à se former à la fin des années 1950.

      L'Ukraine sous Chelest

      En juin 1963, Piotr Chelest succéda à Nicolaï Podgorny comme chef du Parti en Ukraine. Sitôt après l'éviction de Khrouchtchev en octobre 1964, le pouvoir fut partagé à Moscou entre Leonid Brejnev, Alexeï Kossyguine et Nicolaï Podgorny. Dans le mois qui suivit, Chelest devint membre à part entière du Politburo.

      Le repli apparent de Moscou dans sa politique des nationalités et les luttes de succession au sommet de l'État favorisèrent les trois grandes tendances caractéristiques des années Chelest en Ukraine : la renaissance culturelle, une confiance plus grande envers l'élite politique kiévienne, mais aussi le développement d'un vaste mouvement de dissidents.

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      La renaissance culturelle fut rendue possible grâce au soutien d'une fraction influente de la direction du Parti, dont Chelest lui-même. Ce dernier défendit également les intérêts économiques du pays. À la suite de ces efforts, le nombre des membres du Parti en Ukraine s'élevait à 2,5 millions en 1971.

      En 1965, vingt dissidents furent arrêtés et jugés ; leurs portraits furent diffusés clandestinement et leur auteur, le journaliste Viatcheslav Tchornovil, fut également arrêté et emprisonné. Après cela, le mouvement dissident national se développa rapidement. Il prit la forme de lettres de protestation et de pétitions aux autorités, de clubs informels et de cercles de discussion, ainsi que de réunions et de manifestations publiques. Les textes inspirés par ce mouvement étaient diffusés sous forme de samizdats (« autopublications »), dont certains furent publiés à l'étranger.

      En 1971, le protégé de Brejnev et rival de Chelest, Vladimir Chtcherbitski, fut promu membre à part entière du Politburo. Entre janvier et avril 1972, une vague de répressions balaya l'Ukraine et plusieurs centaines de dissidents furent arrêtés. En mai, Chelest fut remplacé par Chtcherbitski à la tête du Parti en Ukraine.

      L'Ukraine sous Chtcherbitski

      La promotion de Chtcherbitski fut suivie de changements de personnel au sein du parti et dans le gouvernement. Le plus important de ces changements fut, en octobre 1972, la nomination de Valentyn Malanchuk comme secrétaire à l'idéologie. En 1973-1975, environ 5 % des membres du PCU furent victimes d'une purge. Pendant cette période, Malanchuk supervisa également de nombreuses expulsions de l'Académie des sciences, des universités, des maisons d'édition et des organisations officielles d'écrivains, d'artistes et de cinéastes.

      Après la signature des accords d'Helsinki et de leurs dispositions sur les droits de l'homme, en 1975, un Groupe de surveillance d'Helsinki fut fondé en Ukraine, avec à sa tête le poète Mykola Roudenko ; à la fin des années 1970, ses membres étaient presque tous enfermés dans des camps ou en exil à l'étranger. L'incarcération dans des institutions psychiatriques devint également une méthode de répression politique.

      Centrale nucléaire de Tchernobyl (Ukraine) - crédits : Denis Avetisyan/ Fotolia

      Centrale nucléaire de Tchernobyl (Ukraine)

      Les performances économiques du pays ne cessèrent de se détériorer au cours des années 1970 et 1980. La croissance ralentit, de sérieux problèmes affectèrent les industries minière (charbon) et métallurgique (fer). La production agricole fut en butte à une série de sécheresses, à un manque d'encouragements et à une centralisation excessive dans la gestion des fermes collectives. La politique énergétique soviétique misa de plus en plus sur l'énergie atomique et, en avril 1986, la centrale de Tchernobyl, au nord-ouest de Kiev, fut le théâtre du pire accident nucléaire de l'histoire. Des dizaines de personnes succombèrent immédiatement et des dizaines de milliers d'autres furent évacuées, tandis que les effets à long terme sur la santé et la vie humaine dans le pays et bien au-delà n'ont pu être calculés. Néanmoins, et en dépit de changements à la tête du pouvoir à Moscou à partir de 1982, Chtcherbitski resta en poste sans être inquiété.

      L'Ukraine sur la voie de l'indépendance

      Au début de 1986, face aux problèmes économiques croissants de l'URSS, Mikhaïl Gorbatchev lança une campagne pour une perestroïka (« restructuration ») économique et une confrontation honnête avec les vrais problèmes, ou glasnost (« transparence »). Dans les républiques non russes, cette politique permit l'expression, non seulement des problèmes économiques, mais aussi et surtout des questions nationales.

      En Ukraine, à partir du milieu de l'année 1986, les médias commencèrent à aborder des sujets longtemps interdits. En 1988, on assista à la montée de la mobilisation des masses, avec les premières manifestations publiques (à Lviv en juin et à Kiev en novembre). Finalement, le renouveau national fit son entrée sur la scène politique officielle en 1989.

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      Les questions qui agitaient la société ukrainienne à cette époque comprenaient des sujets traditionnels, comme la langue. Les chiffres du recensement de 1989 confirmèrent que, en même temps que le pourcentage d'Ukrainiens avait diminué dans la population du pays, leur attachement à leur langue maternelle avait décru plus rapidement encore. À l'automne de 1989, une loi fut votée qui, pour la première fois, donnait à l'ukrainien le statut de langue officielle de la République.

      Un renouveau religieux était également en marche, fortement stimulé par les célébrations, en 1988, d'un millénaire de christianisme dans la Rous kiévienne. Aux solennités somptueuses de l'Église orthodoxe russe à Moscou, soutenues par le gouvernement, répondirent des célébrations non officielles à travers toute l'Ukraine, incluant des manifestations publiques de l'Église catholique grecque proscrite. Le clergé et des paroisses entières de cette dernière confession commencèrent, à l'automne de 1989, à se délier de leur rattachement forcé à l'Église orthodoxe russe. Aussi, à la veille de la visite de Gorbatchev au Vatican, les autorités soviétiques annoncèrent-elles que la communauté catholique grecque serait officiellement reconnue comme Église autonome. Parallèlement, la formation d'un mouvement destiné à restaurer l'Église orthodoxe autocéphale ukrainienne fut annoncée à Kiev en février 1989.

      Des révélations incessantes sur l'ampleur de la catastrophe de Tchernobyl et la faillite de plus en plus évidente des autorités dans la gestion de ses conséquences, ainsi que de nouvelles découvertes sur la dégradation de l'environnement en Ukraine, donnèrent naissance à un vaste mouvement écologique. C'est ainsi qu'en décembre 1987 fut créée l'association Zeleny Svit (« Monde vert ») qui, au cours de l'année 1989, devint une force politique puissante, dirigée par l'écrivain Iouri Chtcherbak.

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      Confrontés à des conditions de travail de plus en plus dangereuses dans les mines, les ouvriers de l'industrie d'extraction du charbon, traditionnellement passifs, commencèrent également à s'organiser. En juillet 1989, un mouvement spontané des mineurs du Donbass conduisit à une grève. Les concessions accordées par Moscou ne suffirent pas à contenir l'agitation croissante. Dans les mois qui suivirent, les mineurs, qui étaient en grande majorité russophones et dont les préoccupations étaient bien éloignées de celles de l'intelligentsia culturelle ukrainienne, commencèrent à être attirés par le mouvement national ukrainien, susceptible de défendre leurs intérêts dans leur confrontation avec Moscou.

      La première organisation d'importance avec un programme politique clair fut l'Union ukrainienne d'Helsinki, créée en mars 1988 par des prisonniers politiques récemment libérés, dont beaucoup avaient appartenu au Groupe de surveillance d'Helsinki. Dirigée par Levko Loukianenko, avec Viatcheslav Tchornovil parmi ses leaders, l’Union avait pour objectifs déclarés de restaurer la souveraineté de l'Ukraine et de transformer l'URSS en une véritable confédération d'États.

      Renouveau national et organisations autonomes rencontrèrent une âpre résistance de la part du PCU. Chtcherbitski restait en place, signe de la peur de Moscou face à une éventuelle déstabilisation de l'Ukraine. Néanmoins, la politique officielle de la glasnost bloquait les mesures les plus extrêmes, tandis que l'exemple des changements rapides qui s'opéraient dans d'autres républiques, en particulier dans les États baltes, encourageait les activistes démocrates ukrainiens.

      La démocratie parlementaire

      L'année 1989 marqua la transition entre la mobilisation sociale et la politisation massive de la vie ukrainienne. En janvier, sous l'égide de l'Union des écrivains ukrainiens, fut fondé le Mouvement national ukrainien (ou Roukh), dont le congrès fondateur se tint en septembre et élut une direction menée par le poète Ivan Dratch. Le 28 septembre, Chtcherbitski, depuis longtemps déclaré malade par la rumeur, démissionna de son poste de premier secrétaire du PCU. Son successeur, Vladimir Ivachko, fit prudemment référence, pour la première fois, aux nouvelles réalités politiques et à la nécessité, pour le Parti, de les prendre en compte.

      Le 4 mars 1990, les premières élections (contestées) au Parlement ukrainien (qui remplaçait un « Soviet suprême » dépassé) mirent fin au monopole du Parti communiste en Ukraine. Le Parlement réuni à la mi-mai comptait un solide bloc démocratique qui, ajouté à la défection de nombreux élus communistes vis-à-vis de la discipline stricte du parti, réduisit la représentation du noyau dur du PCU à 239 membres sur 450. Le 16 juillet, la souveraineté fut proclamée au nom du « Peuple d'Ukraine » (sans distinction de nationalité ni d'ethnie) ; cette déclaration marqua le début d'un rapprochement des vues entre la majorité communiste et l'opposition démocratique, dont le programme fut peu à peu adopté par le pragmatique président du Parlement, Leonid Kravtchouk.

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      Gorbatchev, confronté à la montée d'une marée nationaliste, avait déjà proposé un nouveau traité d'union qui accorderait une large autonomie aux républiques, tout en préservant le contrôle central sur la politique étrangère, l'armée et le système financier. Des manifestations massives menées par les étudiants et une grève de la faim, à Kiev en octobre, poussèrent Gorbatchev à renoncer à son plan. Le même mois, le Roukh, dont l'effectif augmentait rapidement, déclara que son but ultime était l'indépendance totale de l'Ukraine. Seul le PCU affirma son soutien à Gorbatchev.

      Un coup d'État organisé à Moscou en août 1991, par les durs du gouvernement Gorbatchev opposés aux mouvements centrifuges, avorta au bout de deux jours. Le 24 du même mois, le Parlement ukrainien, réuni en séance d'urgence, proclama l'indépendance totale de l'Ukraine, confirmée par référendum le 1er décembre.

      — Lubomyr A. HAJDA

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      Écrit par

      • : spécialiste de l’Europe centrale et orientale, ancienne correspondante à Moscou, puis conseillère culturelle à l’Ambassade de France à Kiev, collaboratrice à la revue Esprit
      • : maître de conférences à l'Institut national des langues et civilisations orientales
      • : directeur adjoint, Ukrainian Research Institute, Harvard University
      • : professeur de langues, littératures et civilisations slaves à l'université de Bordeaux-III
      • : maître de conférences à l'université de Paris-I-Panthéon-Sorbonne
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      Autres références

      • UKRAINE, chronologie contemporaine

        • Écrit par Universalis
      • UNION EUROPÉENNE (HISTOIRE DE L')

        • Écrit par
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        • 14 médias
        ...occidental. Cependant, le débat initié en 1964 par Charles de Gaulle, qui opposait « l’Europe européenne » à « l’Europe atlantique », reste pertinent. Après l’invasion de l’Ukraine par la Russie en 2022, l’UE a su se comporter en puissance européenne, en adoptant des sanctions communes contre la Russie et...
      • ACIER - Économie

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        ...une reprise, a été principalement tirée par la consommation de la Russie. En 2006, la consommation d'acier de ces pays a atteint 44,6 millions de tonnes, dont 32,8 millions de tonnes pour la Russie, 6,6 millions de tonnes pour l'Ukraine et 5,2 millions de tonnes pour l'ensemble des autres États.
      • ALLEMAGNE (Politique et économie depuis 1949) - L'Allemagne unie

        • Écrit par , et
        • 9 695 mots
        • 4 médias
        ...française peine à se satisfaire de l’engagement militaire a minima de l’Allemagne, notamment au Mali où la France est impliquée depuis 2013. Concernant les ambitions russes en Ukraine, la France et l’Allemagne agissent ensemble, dès 2015, pour négocier les accords de Minsk en vue de mettre fin aux affrontements...
      • BIÉLORUSSIE

        • Écrit par , et
        • 10 818 mots
        • 5 médias
        ...saisit aussi l’opportunité de renforcer sa coopération avec la Chine, en particulier dans le cadre du lancement des Nouvelles Routes de la soie, en 2013. Le président biélorusse parvient même à opérer un « retour en grâce » auprès des pays occidentaux en se posant en médiateur, en 2014 et 2015, lors de la...
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