UKRAINE
Nom officiel | Ukraine |
Chef de l'État | Volodymyr Zelensky - depuis le 20 mai 2019 |
Chef du gouvernement | Denys Chmyhal - depuis le 4 mars 2020 |
Capitale | Kiev |
Langue officielle | Ukrainien |
Population |
37 732 836 habitants
(2023) |
Superficie |
603 550 km²
|
Article modifié le
L'Ukraine indépendante
L'indépendance de l'Ukraine est marquée dès sa proclamation, après le coup d'État d'août 1991, par une situation contradictoire : tandis qu'une partie des élites hésite à se rallier aux putschistes de Moscou, des mouvements issus de la perestroïka préparent depuis plusieurs années déjà l'émancipation de la république, posant les bases constitutionnelles, économiques et politiques d'un État de type nouveau.
Ce double mouvement, à la fois d'ouverture à la démocratie et de compromis avec l'ancien pouvoir, ponctue les premières années de la construction de l'État. Celui-ci se constitue le plus souvent sur la base d'un accord entre ces tendances, qui marque la vie politique d'avancées et reculs réguliers lui conférant une sorte de balancement.
Ce rythme est brisé à partir de 2014 par le conflit ouvert par la Russie, qui se transforme en 2022 en agression sur l’ensemble du territoire, même si la solidité de l’État permet à chaque fois d’y faire face.
Les débuts de la construction de l'État
Le premier président d'Ukraine, Leonid Kravtchouk, est élu au suffrage universel en décembre 1991, dans la foulée d'un référendum approuvant massivement l'accession du pays à l'indépendance. Apparatchik converti aux idées démocratiques, il doit à la fois réaliser les promesses de la déclaration de souveraineté et régler les conflits avec la Russie liés à la question des frontières et au partage des « biens communs ». Principaux sujets de contestation : la flotte de la mer Noire, le statut de la Crimée – la souveraineté ukrainienne y est contestée – et la part du pays aux remboursements de la dette extérieure de l'ex-URSS.
Kravtchouk est par ailleurs confronté à un Parlement issu de l'Union soviétique majoritairement opposé aux réformes. Il parvient à imposer la dénucléarisation de l'État contre des garanties de sécurité, permettant la signature le 5 décembre 1994 du mémorandum de Budapest entre l’Ukraine, la Russie, les États-Unis et le Royaume-Uni ; celui-ci implique le respect de l’indépendance du pays et sa souveraineté dans les frontières existantes. Mais le président ne parvient pas à juguler l'inflation ni à faire face aux problèmes énergétiques, ce qui provoque le mécontentement de la population. Il est par ailleurs « lâché » par Moscou : des manifestations prorusses à Sébastopol par solidarité avec les mineurs grévistes du Donbass, dans l'est de l'Ukraine, et une lettre ouverte signée par les hauts responsables de l'industrie lui signifient que son temps est révolu.
L'élection présidentielle de juillet 1994 va marquer une première alternance politique : Leonid Koutchma, ex-Premier ministre (1992-1993) issu de la classe soviétique des « directeurs rouges », est élu avec 52 % des suffrages sur la promesse de réformes économiques, d'un rapprochement avec Moscou et de l'établissement du russe comme langue officielle, l'ukrainien restant langue d'État.
Pourtant, le premier mandat de Koutchma (1994-1999) est moins unilatéral que l'énoncé de son programme. La confiance – même limitée – du Parlement, de la Russie et des institutions internationales lui permet de régler plusieurs conflits jusqu'alors en suspens : un accord est trouvé sur le partage de la flotte et la gestion de Sébastopol (loué, en 1997, pour vingt ans, contre des allègements concernant la dette pétrolière) ; la Crimée reçoit le statut de « république autonome » disposant de sa propre Constitution. Le FMI accorde à l'Ukraine son premier prêt pour réduire le déficit budgétaire et faire baisser l'inflation. Pourtant, les retards de salaires et l'endettement dans le domaine énergétique vont freiner ce qui s'annonçait comme un second départ. La mise en œuvre des privatisations attise les convoitises. Une nouvelle Constitution est votée en juin 1996 : elle confirme le droit à la propriété privée, y compris sur la terre, mais élargit les pouvoirs présidentiels, encourageant un mode de gouvernement plus autoritaire.
Structuration politique : les clans ou la réforme ?
La vie politique se réorganise. Le Parti communiste, interdit après le putsch de 1991, retrouve sa place deux années plus tard, mais son électorat se tourne plutôt vers les formations claniques constituées autour du pouvoir qui protège leurs intérêts. Les partis dits « politico-financiers » se regroupent pour former la coalition électorale Pour une Ukraine unie – sur le modèle du parti Russie unie – en vue des élections de 2002. Parmi eux s'affirme le Parti des régions (dont Viktor Ianoukovitch prendra la tête), essentiellement lié au Donbass, principale région industrielle à l’est du pays.
Le mouvement démocratique connaît lui aussi une importante mutation. Il est historiquement incarné par le Roukh, porteur des valeurs de l'indépendance ; constitué en parti politique, mais en proie aux dissensions internes, sa popularité s'effiloche tout comme son ascendant politique et moral.
Cette sensibilité s'exprime sous d'autres formes et par une nouvelle génération : à Lviv, un milieu politico-intellectuel se constitue, d'abord sous forme de clubs, puis d'un mouvement, Nouvelle Vague, qui fait une percée lors des élections de 1994. Des personnalités émergent, soutenant des projets politiques nouveaux, comme Reformy i poriadok, « Réformes et ordre », de Viktor Pynzenyk en 1997, ou Za pravdou, « Pour la vérité », expression du milieu étudiant. Venue de son côté de l'establishment de Dnipropetrovsk, Ioulia Timochenko quitte le parti Hromada, « la Société », fondé par Pavlo Lazarenko, et crée en 1999 Batkivchtchina, « la Patrie ».
La confrontation entre une frange marquée par des formations au caractère oligarchique et une autre d'inspiration davantage réformatrice et proeuropéenne s'accentue au fil de la présidence de Leonid Koutchma. Réélu en 1999, mais soumis à la pression des institutions internationales, celui-ci fait nommer au poste de Premier ministre Viktor Iouchtchenko, alors gouverneur de la Banque centrale.
Mais une série de scandales déstabilise alors la présidence : la disparition du journaliste Georgui Gongadze en septembre 2000 sert de révélateur à la criminalisation du régime et à la censure qui règne dans les médias. La crise est amplifiée par la diffusion d'enregistrements, effectués dans le bureau du président, dont le contenu mettrait en cause plusieurs hauts responsables de son entourage.
Réformes économiques en dents de scie
Dans un contexte politique marqué par l'instabilité, la vie économique de l'Ukraine évolue par à-coups, rendant difficile l'introduction d'une politique de réforme suivie. Il faut toutefois souligner, dès les débuts de l'indépendance, le passage régulier de réformateurs au sein des différents gouvernements, soutenant des orientations plus conformes au marché. Mais, bousculant les intérêts en place, leurs actions furent la plupart du temps de courte durée.
Le début des années 1990 est lourdement handicapé par le processus de sortie de l'Union soviétique, géré par une élite le plus souvent inexpérimentée qui introduit une politique onéreuse de soutien aux industries traditionnelles et au maintien du secteur d'État. L'inflation atteint son taux record en 1993 : les prix sont multipliés par dix, le dollar devient la monnaie refuge, tandis que prospère l'économie souterraine.
Sous l'impulsion de Viktor Iouchtchenko, qui a été à la tête de la Banque nationale de 1993 à 1999, une politique de redressement est mise en œuvre : arrêt du financement direct des entreprises, introduction d'un taux d'escompte réel, supérieur à celui de l'inflation. Des négociations sont ouvertes avec les institutions internationales, qui donnent de nouvelles orientations impliquant la réduction du déficit budgétaire et une accélération du programme de privatisation.
Une série de codes est adoptée : Code foncier (légalisant la propriété privée), Code civil, Code économique favorisant la création d'entreprises, réforme fiscale. De 2000 à 2004, le PIB, qui avait baissé sans interruption depuis 1989, va regagner 50 %.
Mais, régulièrement bloqué par l'Assemblée, le programme de réformes s'effectue avec lenteur. En 1998, seuls 2 % des actifs industriels ont été privatisés et 95 % de ceux qui l'ont été sont restés aux mains des anciens directeurs : l'industrie reste concentrée au sein de grands monopoles qui résistent à la privatisation.
Contrastant avec l’amélioration du cadre législatif des réformes, les privatisations continuent de faire l'objet de blocages ou d'opérations frauduleuses, rendues possibles par la politique de « favoritisme » de Koutchma, qui distribue les fleurons de l'industrie aux acteurs économiques les plus loyaux à son égard. Les trois principaux clans politico-financiers de Donetsk, de Dnipropetrovsk et de Kiev voient leur influence renforcée, introduisant leurs pratiques au sein du pouvoir (délits d'initiés, alimentation de comptes offshore, opacité des opérations). À la veille de la présidentielle de 2004, l'aciérie Krivorijstal – la première d'Ukraine et l'un des plus importants complexes de ce type en Europe – sera bradée à deux oligarques proches du pouvoir. Un an plus tard, la présidence Iouchtchenko fera de sa reprivatisation un modèle de transparence.
À une situation déjà fragile vient s’ajouter la crise financière russe de l’été de 1998, que l'Ukraine parvient à surmonter plus aisément qu'annoncé : la gravité du contexte permet au pays d'obtenir une forme d'indulgence de la part des instances financières internationales, qui demandent en retour la mise en œuvre de réformes trop longtemps retardées. Le FMI reprend ses versements en avril 1999. Mais le déficit budgétaire est encore creusé par la dévaluation du rouble.
Viktor Iouchtchenko accepte le poste de Premier ministre en 1999, à condition d'avoir l'aval du Parlement pour son programme de réformes. Son mandat, très court (1999-2001), est marqué par un ensemble de mesures – le plus souvent suivies par ses successeurs – dont les résultats feront durablement sa réputation et lui permettront d’accéder à la présidence.
L'éveil de la société civile
Le règne du privilège dominant la vie économique, les fraudes lors des scrutins et les scandales à répétition provoquent une vague de protestations qui culminera en 2004.
Contesté à l'intérieur du pays, le président Koutchma se tourne vers Moscou, qui impose ses diktats : la vice-Première ministre Ioulia Timochenko est ainsi limogée en janvier 2001, sous pression russe, et Viktor Tchernomyrdine, ancien Premier ministre de Russie et ex-président de Gazprom, est nommé ambassadeur en Ukraine. Au printemps de 2001, Viktor Iouchtchenko est remplacé par une figure de compromis, Anatoly Kinakh, et celui-ci, l'année suivante, par Viktor Ianoukovitch, gouverneur de la région de Donetsk, qui ouvre ainsi la voie du pouvoir politique aux oligarchies de l'Est.
Désormais, c'est dans la rue que se jouent les contestations les plus radicales. Autour du mouvement « L'Ukraine sans Koutchma » se rassemblent jeunes et étudiants, rejoints par les députés de l'opposition démocratique et soutenus par une grande partie de la population. Tout au long de l'année 2001, des manifestations non violentes se succèdent à Kiev et dans les principales villes du pays. Des échauffourées ont lieu au printemps dans la capitale.
Limogeages au sommet et répressions dans la rue contribuent à la structuration du courant démocratique. Autour de la figure de Ioulia Timochenko se constitue un Forum de salut national pour unifier l'opposition, tandis que de nouveaux leaders s'imposent.
Les échéances électorales jouent désormais un rôle majeur et les formations politiques s'organisent dans la perspective d'une possible alternance. Les résultats des législatives de 2002 montrent un changement majeur du rapport de force : les fractions démocratiques remportent près de 58 % des suffrages et la majorité des sièges, mais le changement de camp de certains députés succombant au chantage, à la tentation ou aux menaces, permet au pouvoir de se maintenir.
Après bien des hésitations, Viktor Iouchtchenko rejoint le mouvement démocratique et en devient la principale figure. Sa popularité, qu'il doit au résultat de son passage à la tête du gouvernement (déc. 1999-mai 2001), est déjà grande. Mais les persécutions dont il est l'objet lors de la campagne électorale pour la présidentielle de 2004 et la tentative d'empoisonnement qui le laisse défiguré radicalisent sa position. Il devient le candidat tout désigné de l'opposition face à Viktor Ianoukovitch, soutenu par Leonid Koutchma et par le Kremlin.
Un balancement Est-Ouest
Espoirs et désillusions de la « révolution orange »
Si le premier tour de l'élection présidentielle, le 31 octobre 2004, donne un très léger avantage à Viktor Iouchtchenko, la victoire de Viktor Ianoukovitch au second tour est immédiatement contestée : dénonçant des falsifications visibles durant le scrutin, les manifestants affluent par milliers sur la place de l'Indépendance– souvent désignée simplement par Maïdan (la Place),en ukrainien. L’installation – pour partie spontanée, pour partie organisée – d’un village de tentes tout au long de la rue centrale de Kiev, marque le début de la « révolution orange ». Durant dix-sept jours et dans un froid glacial, le nom d’Iouchtchenko est scandé accompagné du mot tak, « oui » en ukrainien.
Les hauts responsables du régime Koutchma sont divisés : certains se rapprochent de l’opposition démocratique, autant par conviction que par pragmatisme, tandis que l'usage de la force est envisagé par les proches de l'administration présidentielle. Ce clivage touche l'ensemble des structures d'État : armée, services secrets ou forces d'intervention spéciale ne répondent plus aux mêmes ordres. Des élus locaux – soutenus par le maire de Moscou Iouri Loujkov – se rassemblent dans l'est du pays, fief du candidat Ianoukovitch, et menacent de créer une république autonome susceptible de faire sécession en cas de victoire des « oranges ».
Conscient que cette mobilisation spectaculaire à la frontière de l'Europe risque de tourner au drame, le président polonais Aleksander Kwiasnewski prend l'initiative d'une médiation internationale qui rassemble les protagonistes du conflit, la « troïka » européenne et le président de la Douma russe. La Cour suprême de Kiev examine entre-temps les plaintes de l'opposition et conclut à une invalidation du scrutin. Un accord est trouvé sur la répétition du second tour ; en contrepartie, le principe d'une modification constitutionnelle est entériné, renforçant les pouvoirs du Premier ministre au détriment de ceux du chef de l'État. Le 26 décembre 2004, Viktor Iouchtchenko est élu avec plus de 52 % des suffrages.
Si ce troisième tour offre une majorité aux forces démocratiques, il donne l’image d’un État aux sensibilités politiques très polarisées : les deux challengers remportent des scores avoisinant parfois les 90 %, selon qu’ils s’expriment à l’Est ou à l’Ouest – des disparités accentuées par l’influence des médias russes sur la population de l’est du pays.
Les changements constitutionnels contribuent à attiser les rivalités entre les deux têtes de l’exécutif. À ceux-ci s’ajoutent les modifications de la loi électorale. La nomination du Premier ministre est désormais la tâche exclusive du Parlement. Le président garde la haute main sur la Défense et les Affaires étrangères, ainsi que le droit de dissoudre le Parlement.
Ioulia Timochenko est nommée Première ministre le 24 janvier 2005, mais Viktor Iouchtchenko désigne dans le même temps un de ses proches, Petro Porochenko, à la tête du Conseil de sécurité, un titre assorti de prérogatives exceptionnelles susceptibles de contrebalancer les nouveaux équilibres constitutionnels.
Le pouvoir « orange » s’attelle à la mise en œuvre du changement promis et des réformes : les salaires et les retraites sont augmentés, de nouveaux gouverneurs sont désignés dans les régions, les politiciens qui ont misé sur un éclatement du territoire font l’objet de poursuites, plusieurs entreprises industrielles bradées sous le précédent régime sont reprivatisées.
Au fil des premiers mois, les obstacles à l’activité gouvernementale se multiplient. Ioulia Timochenko, qui avait promis de « détruire la verticale de la corruption », doit faire face à la fronde de ceux dont elle attaque les intérêts. Accusé d'entretenir autour de lui un cercle de privilégiés et de pactiser avec certains oligarques, Viktor Iouchtchenko réplique en limogeant à la fois sa Première ministre et le secrétaire du Conseil de sécurité. Moins de huit mois après sa prise de fonction, Ioulia Timochenko est remplacée en septembre 2005 par Iouri Ekhanourov, un apparatchik rassurant pour le Kremlin, qui a vu d’un mauvais œil l’arrivée d’une nouvelle révolution de couleur dans son voisinage. C’est un changement de cap total auquel Viktor Iouchtchenko consent et qu’il négocie. Le président signe un « mémorandum » dans lequel il s’engage à ne plus poursuivre les responsables politiques coupables de malversations en 2004 ou ceux qui spéculaient sur l’éclatement du territoire. L’élan premier de la « révolution orange » se solde ainsi en quelques mois par un retour aux figures politiques de l’ancien système.
C’est dans ce paysage que se préparent les élections législatives de 2006. Lassée des jeux politiques et de la faible amélioration de sa situation, la population sanctionne le pouvoir en place.
Alors que les fractions pro-occidentales dominaient en 2002, le Parlement se retrouve divisé entre trois pôles : le Parti des régions mené par Viktor Ianoukovitch, le Bloc Ioulia Timochenko et le parti présidentiel Notre Ukraine. La représentation nationale marque pourtant une première sortie du clivage Est-Ouest : la formation de Timochenko crée la surprise en faisant émerger une sensibilité modérée dans le centre du pays.
Mais les tergiversations perdurent entre les démocrates, le Parlement est bloqué et le Parti socialiste se retourne, s’alliant au Parti des régions et au Parti communiste pour constituer une « coalition anticrise ». Le vainqueur de la « révolution orange » est contraint de prendre pour Premier ministre Viktor Ianoukovitch, qui forme un cabinet dont de nombreux membres sont les responsables des fraudes de 2004. Limité à son ultime sphère de décision et menacé d’impeachment, le président doit dissoudre l’Assemblée à peine un an plus tard pour tenter de retrouver une majorité qui lui soit favorable.
Ces nouvelles élections amplifient les résultats précédents : les votes en faveur du Parti des régions se tassent, tandis que le Bloc Ioulia Timochenko marque une nouvelle poussée d’une sensibilité politique dépassant le clivage entre l’est et l’ouest du pays.
L’égérie de la « révolution orange » redevient ainsi Première ministre en décembre 2007. Avec son plan d’action gouvernemental, elle tente également de préparer son propre avenir : mettre en œuvre les réformes, y compris constitutionnelles, combattre la corruption et résoudre les problèmes sociaux. De nombreuses figures réformatrices se regroupent autour d’elle, ce qui contribue à isoler encore le président Iouchtchenko. De son côté, Viktor Ianoukovitch forme un cabinet de l’ombre en vue de la prochaine échéance, la présidentielle de 2010.
Une imbrication politico-diplomatique
Depuis l’indépendance, le Kremlin n’est pas neutre quant à l’émancipation et la souveraineté de l’ex-république soviétique. Mais c’est à partir de la « révolution orange » et de la nouvelle donne politique que les pressions deviennent quasi conflictuelles.
Les points d’appui en sont toujours semblables, même s’ils sont plus accentués à partir du début des années 2000 : il s’agit de prévenir dans « l’étranger proche » la reproduction de « révolutions orange » ou « révolutions de couleur », dont l’Ukraine constituerait un modèle d’exportation menaçant pour la Russie. Afin de prévenir cette « contagion », différents leviers sont utilisés : aux pressions économiques se mêlent la promotion de la langue, la défense de la « culture russe » aux vastes contours, soutenue par l’Église orthodoxe de Moscou qui accentue sa présence sur le territoire ukrainien. L’aide aux partis politiques prorusses – en particulier en Crimée – fait partie du dispositif.
Le mandat de Viktor Iouchtchenko (2005-2010), qui n’a pas caché son souhait de voir l’Ukraine se rapprocher de l’OTAN, contribue à entretenir la méfiance de Moscou – qui atteindra un sommet lors du conflit russo-géorgien de l’été 2008. Autour de l’ambiguïté du statut de Sébastopol se focalise une autre partie du conflit : de Crimée partent des navires et des munitions pour combattre en Géorgie les actions d’un pouvoir que Kiev soutient.
Les querelles gazières vont également émailler cet épisode dans lequel l’ingérence le dispute aux rationalités économiques. Prix du gaz et rappel des dettes s’expriment de façon pressante lors de chaque échéance électorale, devenant un argument en faveur d’un rapprochement de la Russie. Ces « guerres du gaz » aboutissent en janvier 2006, puis en janvier 2009, à un blocage des livraisons, provoquant en retour un défaut d’approvisionnement de l’Union européenne (UE) qui dépend du gaz russe acheminé par l’Ukraine pour le quart de ses besoins.
L’accord signé par Ioulia Timochenko au Kremlin en janvier 2009 porte le coup de grâce à une alliance entre les différentes fractions du camp démocratique. Il est considéré comme avantageux pour Moscou, qui aligne ses prix sur les tarifs occidentaux. Il met certes fin à la structure opaque que constitue RosUkrEnergo, regroupement favorable aux intérêts oligarchiques russes comme ukrainiens, mais il est ressenti comme un « cadeau » de Moscou qui voit Ioulia Timochenko comme un moindre mal si elle devait accéder à la présidence.
Ianoukovitch, le candidat de Moscou
Depuis qu’il est entré en politique, Victor Ianoukovitch a fait plusieurs passages à la tête du gouvernement. Il devient Premier ministre en 2002 sous la présidence Koutchma, voit la fonction « suprême » lui échapper en 2004, redevient Premier ministre pour quelques mois en 2006 ; avec la présidentielle de 2010, il tient enfin sa revanche. Il arrive en tête du second tour avec une faible avance sur Ioulia Timochenko, alors chef du gouvernement : le vote « contre tous », qui atteint plus de 5 % des suffrages, manifeste la lassitude de la population pour les querelles incessantes au sommet du pouvoir.
Même s’il se définit lui-même « pro-ukrainien » plutôt que prorusse, le nouveau président multiplie les avances et les gages à Moscou durant la première année de son mandat : il promet aux responsables du Kremlin de protéger la langue russe, de résoudre rapidement « la question » de Stepan Bandera, figure contestée du nationalisme ukrainien et élevée au rang de héros national par Viktor Iouchtchenko. Il n’exclut pas l’entrée de l’Ukraine dans l’Union douanière aux côtés de la Russie, de la Biélorussie et du Kazakhstan. La formation qui le soutient, le Parti des régions, s’est rapprochée du Parti communiste et prône une « fédéralisation » de l’Ukraine ; plusieurs monuments à la gloire de Staline sont officiellement inaugurés, tandis que les archives de l’époque soviétique sont fermées. Le 9 mai 2010, militaires russes et ukrainiens défilent côte à côte sur la place Rouge, pendant que les examens préliminaires reprennent en vue de la construction, au niveau du détroit de Kertch, d’un pont supposé relier la Crimée et la Russie d’ici les jeux Olympiques de Sotchi en 2014.
Cette politique de la main tendue atteint un seuil critique avec les accords de Kharkiv, signés par Viktor Ianoukovitch et Dmitri Medvedev en avril 2010 ; ils prolongent de vingt-cinq ans (jusqu’en 2042 au lieu de 2017) le bail russe sur la base navale de Sébastopol, en Crimée, et autorisent officiellement les services de renseignement des deux pays à collaborer. En contrepartie, Moscou se déclare prêt à discuter la révision du prix du gaz vendu à l’Ukraine. L’accord est ratifié par le Parlement ukrainien dans la confusion.
Le malentendu de l’Euro 2012
Sur le plan international, Viktor Ianoukovitch entretient un double discours. Il apprend à s’adresser aux médias occidentaux, se défend sur la chaîne de télévision CNN d’être « une marionnette du Kremlin » et signe une tribune dans le Wall Street Journal intitulée « L’avenir de l’Ukraine est lié à l’Union européenne ». Il sait que cette aspiration européenne est partagée par une majeure partie de la population. Le pays est engagé depuis 2007 dans un processus de rapprochement avec l’Union européenne (UE), renforcé ensuite par le Partenariat oriental. Mais il est pressé par Moscou de rejoindre l’Union douanière.
Des forces contraires s’expriment au sein du pouvoir : les oligarchies qui soutiennent la présidence ont des intérêts divergents, d’autant que celle-ci a encouragé la montée en puissance financière de ses proches, surnommés « la famille », un « clan » qui figure bientôt au classement des plus grandes fortunes du pays et investit les fonctions clés de l’État : fiscalité, justice, économie, défense, services de sécurité.
Le gouvernement, dirigé depuis 2010 par un technocrate, Mikola Azarov, rassemble plusieurs responsables des malversations de 2004. De nouveaux gouverneurs sont nommés, dont certains tiennent des discours ouvertement séparatistes. Plusieurs figures de l’opposition démocratique sont inquiétées, et Ioulia Timochenko, ex-Première ministre, est condamnée à sept ans de prison au terme d’un long procès fabriqué.
Ces tensions s’étalent au grand jour au moment du championnat de football de l’Euro 2012, organisé conjointement par la Pologne et l’Ukraine. Cette dernière est sous les feux de la rampe, et les pressions se multiplient pour que les prisonniers politiques soient libérés avant le début de la compétition, dont de nombreux chefs d’État boycottent l’inauguration.
Les enjeux financiers de l’Euro 2012 – qui grèvent le budget de l’État depuis cinq ans – ne sont pas minces non plus. En l’absence de transparence, et grâce à une législation fiscale adéquate, ils favorisent les oligarques qui soutiennent le pouvoir en place. Le vice-Premier ministre, Boris Kolesnikov, est responsable des Jeux et a lui-même plaidé en faveur d’un État fédéral, avec la formation d’une « république du Sud-Est » ayant pour capitale Kharkiv, comme dans les années 1920.
Kiev se prépare dans le même temps aux élections législatives qui doivent avoir lieu à l’automne de 2012. Au sein du Parlement, les échanges se font de plus en plus âpres pour tenter d’empêcher le vote d’un projet de loi visant à élargir le droit d’utilisation officielle des langues dites « minoritaires », en premier lieu le russe : une des promesses de Viktor Ianoukovitch à Vladimir Poutine. La loi devrait aboutir à terme à la reconnaissance du russe comme langue d’État dans les régions du Donbass, du sud du pays et de la Crimée, une initiative qui provoque une nouvelle mobilisation de la population.
À la veille du scrutin, les atteintes à la liberté d’expression se multiplient et le budget pour la campagne électorale du Parti des régions explose. Les résultats s’avèrent décevants pour un camp comme pour l’autre. Le Parti des régions allié au Parti communiste ne parvient pas à former une majorité stable : les lois sont votées à la sauvette, parfois même en dehors de l’assemblée.
L’opposition démocratique, résignée à attendre la prochaine alternance, forme un front uni avec Batkivchtchina (« Patrie ») mené par Arseni Iatseniouk, pendant que Ioulia Timochenko est en prison, Udar (« le coup ») du champion de boxe Vitali Klitschko et le parti nationaliste Svoboda (« Liberté ») d’Oleg Tiagnibok, resté marginal lors du dernier scrutin avec 10 % des voix. Leur plateforme commune : démocratie, lutte contre la corruption, réformes et orientation européenne.
Entre guerre et démocratisation
Le choix européen remis en cause
Entre l’Espace économique commun et l’accord d’association avec l’UE, Kiev va devoir choisir. Côté européen, le calendrier est fixé depuis presque dix ans et la présidence ukrainienne n’y déroge pas. À peine est-il assorti de commentaires, en fonction des circonstances et des interlocuteurs.
Durant l’été de 2013, Moscou fait pression sur les hommes d’affaires ukrainiens qui pensent pouvoir garder « un pied dans les deux mondes », selon l’expression de Dmitri Medvedev. Premiers visés : Petro Porochenko et ses confiseries soupçonnées soudain de dissimuler des substances toxiques, Victor Pinchuk et Serhiy Taruta dont les importations de pipelines, un des fleurons de l’industrie du pays, sont bloquées. La guerre commerciale menée par le Kremlin frappe les hommes d’affaires à la sensibilité la plus « européenne ».
Dans les milieux du pouvoir, une cassure de plus en plus nette se fait entre de hauts responsables prêts à rallier l’offre européenne et ceux qui penchent plutôt vers Moscou et ses alliés. Au sein du Parlement, les engagements basculent : l’opposition démocratique pousse au vote des lois proposées par la coalition au pouvoir, car elle y voit l’opportunité d’une démocratisation du régime, tandis que le gouvernement est lui-même sous pression européenne.
C’est qu’il ne s’agit pas d’un accord classique avec l’UE. Bien qu’il n’offre aucune perspective d’entrée dans l’Union, l’accord est sans précédent en termes d’ambition par le nombre de domaines couverts, la précision des engagements et les délais imposés. Il doit permettre d’arrimer l’Ukraine au grand marché européen, en supprimant progressivement les droits de douane, et constitue une ouverture nouvelle pour les exportations (sans compter la perspective à terme d’un régime de circulation sans visa). Sont concernés en premier lieu les productions agroalimentaires et l’acier, les deux points forts du système productif ukrainien. En contrepartie, le pays doit progressivement se mettre au niveau des normes en vigueur dans l’UE.
Le 21 novembre 2013, le Premier ministre Mikola Azarov annonce que l’Ukraine « suspend » la préparation de l’accord d’association. Le lendemain, il affronte un Parlement déchaîné qui scande « La honte ! », tandis qu’on le presse de finir au plus vite de lire son texte et qu’on protège sa sortie.
Au centre de Kiev, les rassemblements s’organisent, le sommet de Vilnius doit avoir lieu une semaine plus tard, et il s’agit de mettre à profit cette « suspension » pour tenter, sans grande illusion, d’infléchir la décision de la présidence. Au Maïdan de 2004, celui de « la révolution orange », répondent des « EuroMaïdan ». Ce ne sont plus les fraudes électorales qui servent de détonateur, mais l’aspiration à un État souverain, répondant aux standards européens.
Pendant ce temps, le gouvernement ukrainien négocie avec le Kremlin la possibilité de prêts ainsi que le prix du gaz : Moscou avait demandé que soit rendue publique l’annonce de la « suspension » de l’accord comme préalable aux pourparlers.
Les manifestations enflent : ce n’est bientôt plus pour l’Europe que la population se mobilise, mais pour faire tomber ceux qui ont trahi le pays lors du sommet de Vilnius.
La révolution de la dignité
Durant les derniers mois de 2013, des centaines de milliers de citoyens de tous âges, de tous milieux sociaux, venus de tout le pays, se relaient nuit et jour par des températures parfois sibériennes. L’organisation est exceptionnelle, qu’il s’agisse d’ériger les barricades, de veiller au ravitaillement, aux soins, à l’éducation (« université libre ») ou de recueillir des fonds. Sur Maïdan, un village de tentes se dresse, organisé en centuries (médicale, éducative…), clin d’œil au mode d’organisation cosaque – après les massacres de la mi-février, on ne parlera plus que de la « centurie céleste », celle des victimes.
Maïdan devient autant le nom d’un mode d’organisation sociale que celui de la place centrale de la ville, le lieu où la société reprend ses droits, exerce une forme de démocratie directe, hors des institutions politiques qui ont failli.
L’impératif des « maïdaniens » est la non-violence. Tout doit être obtenu par la force de la mobilisation et une stratégie – l’autodéfense – qui paralyse le pouvoir : des piquets et des groupes de voitures bloquent les va-et-vient des hauts fonctionnaires honnis. Les mouvements et communications sont relayés par les réseaux sociaux et l’usage intensif des smartphones, qui permettent de résoudre aussi bien les problèmes du quotidien que de lancer un message politique en direct. Dans un premier temps, les partis traditionnels sont pris de court et restent en retrait.
Les Maïdan s’étendent dans le pays, touchent plusieurs grandes villes dont Kharkiv et Donetsk à l’est, Zaporojia au sud-est ou Odessa au sud, et Lviv où 30 000 personnes sont rassemblées. Les aspirations sont semblables, même si les rassemblements ne sont pas également répartis sur le territoire. À peine le sommet de Vilnius terminé, les forces spéciales se livrent à une première tentative musclée de dispersion des rassemblements. L’opération contribue à resserrer les rangs des manifestants et provoque des désertions au sein du Parti des régions.
Mais comment venir à bout de la mobilisation sur le terrain ? Les manifestants ont investi peu à peu les principaux lieux du pouvoir et assiègent les bâtiments administratifs. Une série de lois sont votées hâtivement par le Parlement, taillées sur mesure pour priver l’opposition de ses moyens d’action, en infligeant des peines de prison pour les manifestations non autorisées. Les ONG qui bénéficient d’un soutien financier occidental doivent s’enregistrer comme « agent de l’étranger », une mesure similaire à celle prise en Russie quelques mois auparavant.
L’affrontement
Les responsables européens sont restés en retrait après la défection spectaculaire du président ukrainien lors du sommet de Vilnius. Mais conscients que « la donne a changé avec les scènes de guerre aux portes de l’UE », selon la formule du Quai d’Orsay, et répondant à l’appel de l’opposition ukrainienne, ils font un retour au centre d’un Kiev dévasté par la violence.
Le 20 février 2014 se retrouvent face à face le président Ianoukovitch, les chefs de file de l’opposition ukrainienne et les responsables de la diplomatie française, allemande et polonaise venus négocier « au nom de l’Europe » ; le Kremlin a dépêché son représentant, le délégué aux droits de l’homme et ancien diplomate Vladimir Loukine. La veille, le ministre russe des Affaires étrangères, Sergueï Lavrov, avait exprimé son opposition aux « tentatives insistantes de médiation » des Européens. Dmitri Medvedev lui avait emboîté le pas en appelant « le pouvoir légitime » de Kiev à davantage de fermeté afin que l’on ne « s’essuie pas les pieds dessus comme sur un paillasson ».
La présidence ne manque pourtant pas de fermeté : le chef d’état-major des armées est limogé après avoir montré son hostilité au recours à l’armée contre les manifestants. Les services spéciaux annoncent une vaste opération antiterroriste, assortie de mesures d’exception qui octroient de larges pouvoirs aux militaires, car des « groupes extrémistes » menaceraient « la vie de millions d’Ukrainiens ».
Quand un accord politique est finalement trouvé, le 21 février, il est trop tard. Pendant les négociations, la confrontation a fait plus de 100 morts dans le centre de Kiev. À Bruxelles, les sanctions européennes tombent contre ceux dont les mains sont « tachées de sang », une mesure dénoncée comme une « tentative d’intimidation » par Sergueï Lavrov, qui accuse des « forces radicales » de vouloir fomenter « une guerre civile » en Ukraine.
Différentes versions du départ ou de la « fuite » de Viktor Ianoukovitch le 21 février seront données. Après un détour dans l’est du pays, puis en Crimée, celui-ci gagne la Russie deux jours plus tard. Mais à Kiev, la majorité a basculé, et la destitution du président est prononcée le 22 février. Douze députés ont quitté le Parti des régions et le maire de la capitale a démissionné pour protester contre les violences. Sont votés dans la foulée le retour à la Constitution de 2004, la libération de Ioulia Timochenko et l’abrogation de la loi sur les « langues minoritaires », qui servira de prétexte un mois plus tard aux soulèvements d’une partie des « russophones » dans le sud et dans l’est du pays.
La question de la Crimée
La Crimée est l’endroit où la présence russe est la plus structurée. Avec les accords de Kharkiv qui ont prolongé la présence de la flotte russe de la mer Noire, la Russie y a conforté sa place. À partir des années 2000, Moscou facilite la distribution de passeports russes à la population locale. Les partis politiques financés par le Kremlin comme le Russki Blok (« Bloc russe ») ou le Russkoe Edinstvo (« Unité russe ») sont soutenus par un foisonnement d’associations opaques d’aides « aux compatriotes de l’étranger ». Ces partis, liés au Parti des régions, sont majoritaires au sein du Parlement local. Les hauts responsables russes ont leurs habitudes et leurs intérêts dans la presqu’île, depuis Iouri Loujkov, ex-maire de Moscou, jusqu’à Vladislav Sourkov, conseiller de Vladimir Poutine pour les relations russo-ukrainiennes après l’avoir été pour l’Abkhazie et l’Ossétie du Sud.
La république de Crimée bénéficie d’un statut particulier au sein de l’Ukraine indépendante, dotée de sa propre Constitution, d’un Parlement et d’un gouvernement. Cette autonomie administrative reste pourtant limitée et ne donne pas à la péninsule la possibilité de se soustraire à la loi ukrainienne. Mais, de fait, l’autorité de poids est la base de Sébastopol où mouille la flotte russe, une situation en contradiction avec la Constitution ukrainienne qui stipule que l’État ne peut avoir de troupes étrangères stationnées sur son territoire.
Sur le plan linguistique, la langue russe domine et les écoles russes y sont infiniment plus nombreuses que les établissements ukrainiens. La population, largement composée de retraités de l’Union soviétique, garde un œil vers Moscou. Victimes de la déportation en 1944, les Tatars, quant à eux, ont été encouragés au retour au moment de la perestroïka, puis par les formations démocratiques ukrainiennes auxquelles ils sont majoritairement liés.
Le 27 février, des hommes armés s’emparent du siège du Parlement à Simferopol, et les députés votent à huis clos l’organisation d’un référendum d’autonomie élargie. Le Premier ministre Anatoli Moguiliov, qui avait soutenu Viktor Ianoukovitch, est destitué au profit de Sergueï Aksionov, lequel appelle Vladimir Poutine à l’aide et précipite la tenue d’un référendum sur la réunification de la péninsule avec la Russie. Le rapprochement puis l’annexion seront menés au pas de charge : après le référendum du 16 mars, sans reconnaissance internationale, le rattachement est signé le 18 mars par Vladimir Poutine lors d’une cérémonie solennelle au Kremlin. Le Parlement russe avait précédemment adopté une loi permettant à la Fédération de Russie d’accepter de nouveaux territoires en son sein selon une procédure simplifiée.
Âprement négocié en 1994, le mémorandum de Budapest, qui garantissait la sécurité et l’intégrité territoriale de l’Ukraine en échange du retrait de ses armes nucléaires, a été violé en quelques jours. Sont d’ailleurs remis en cause par Moscou les traités précédemment signés avec l’Ukraine, désormais inutiles, dont les accords de Kharkiv.
Seules les contingences géographiques entravent cet élan : la Crimée n’a pas de continuité territoriale avec la Russie, l’eau vient d’Ukraine ainsi que 80 % de l’électricité. Les échanges avec la Russie doivent désormais passer par le fragile détroit de Kertch, sur lequel un projet de construction de pont est alors à l’étude.
L’annexion de la Crimée contribue à une remontée spectaculaire de la cote de popularité de Vladimir Poutine en Russie. Elle devient en Russie un marqueur idéologique : Krim nash – « la Crimée est à nous » – sert de signe de ralliement aux adeptes de la reconquête de l’empire.
Une guerre qui ne dit pas son nom
Au début de l’année 2014, l’état d’impréparation de l’Ukraine à un conflit militaire est total. Si le pays a hérité de sa quote-part de l’ex-Armée rouge en 1991, avec près de 1 million d’hommes, des mesures radicales ont été prises pour la réduire, dont les conséquences n’ont pas été maîtrisées. En 2005, on ne compte plus que 180 000 hommes. Le pouvoir orange s’oriente vers une armée de métier, mais ne s’en donne pas les moyens, et la conscription est suspendue en octobre 2013, au moment où la crise éclate. Au sein de l’état-major, les mentalités restent marquées par les échanges avec leurs homologues soviétiques puis russes que le pouvoir déchu a contribué à favoriser.
Kiev doit réorganiser dans l’urgence les institutions officiellement chargées de la défense du pays. Les Berkuts, forces spéciales du ministère de l’Intérieur, dont bon nombre n’ont pas hésité à tirer sur leur population en février 2014, sont dissoutes et remplacées par la Garde nationale.
Pour répondre à l’agression est mise sur pied l’opération « antiterroriste », une terminologie qui permet de faire intervenir l’armée sans décréter la loi martiale, ce qui bloquerait le processus de démocratisation. Dans la doctrine militaire est réintroduite une notion jusque-là absente, celle d’« ennemi potentiel ». La mobilisation reprend, mais ce sont les bataillons de volontaires qui vont permettre plusieurs avancées décisives.
La « guerre du Donbass » se déroule en plusieurs épisodes. Des manifestations sporadiques qualifiées de « prorusses » éclatent en avril 2014 dans la partie orientale du pays : les séparatistes s’emparent des sièges des représentations locales, forment les républiques autoproclamées de Donetsk puis de Louhansk et organisent rapidement un référendum sur leur indépendance (11 mai).
Les combats se concentrent autour de la ville de Sloviansk (libérée en juillet 2014), de l’aéroport de Donetsk(détruit, sous contrôle séparatiste), de Marioupol où un cessez-le-feu est obtenu, donnant jusqu’à l’été un avantage aux forces ukrainiennes.
Cette avancée va montrer par deux fois ses limites, lors de l’encerclement de la ville d’Ilovaïsk (août-septembre 2014) qui fait plusieurs centaines de morts et détruit une large partie de l’armement ukrainien, puis à Debaltseve (février 2015), nœud routier et ferroviaire stratégique, où les bombardements s’intensifient en dépit du cessez-le-feu prévu par l’accord de Minsk II. Aux erreurs stratégiques de l’état-major ukrainien vient s’ajouter le renfort que les séparatistes reçoivent de la Russie sous la forme de « convois humanitaires » banalisés.
Deux autres épisodes vont faire pencher l’opinion dans un sens puis dans l’autre : à Odessa, le 2 mai 2014, des séparatistes retranchés dans la maison des syndicats sont brûlés après avoir attaqué une mobilisation de pro-ukrainiens ; le drame envenime les tensions dans le Donbass et alimente la propagande russe. Le 17 juillet, un avion de ligne de Malaysia Airlines est abattu, faisant près de 300 morts : cette probable erreur de tir des séparatistes va accélérer chez les Occidentaux la recherche d’une médiation.
Le conflit dans le Donbass fait plus de 6 000 morts entre avril 2014 et mars 2015. Cette guerre hybride ou « cachée » s’appuie sur une solide propagande russe – détournement d’images et banalisation des véhicules qui interviennent sur le territoire. Elle adopte également une rhétorique répétitive, traitant les événements de février de coup d’État, les tenants du nouveau cours politique de fascistes ou de nazis, procédant à une assimilation entre russophone et prorusse.
Moscou justifie en revanche son influence sur la région en se référant à la « Nouvelle Russie » (Novorossia) héritée de l’empire aux xviiie et xixe siècles. Le terme est employé par Vladimir Poutine à la mi-avril, esquissant ainsi une sorte de feuille de route : « Kharkov, Lougansk, Donetsk, Odessa ne faisaient pas partie de l'Ukraine du temps des tsars. Dieu sait pourquoi, elles ont été transférées en 1920 ! »
Dans cette confrontation, les accords de Minsk (5 septembre 2014) représentent un premier essai de « sortie de crise », même si les intérêts de chacune des parties sont bien disparates. Tout en cherchant à calmer un conflit « à ses portes », l’UE tente de normaliser ses relations avec le Kremlin ; Kiev, de son côté, considère qu’il n’y a pas d’issue militaire, étant donné la disproportion du rapport de force. Moscou, pour sa part, y affine son rôle diplomatique, tout en poussant Kiev à des concessions majeures. Quant aux séparatistes, ils sont contraints par Moscou à une négociation à laquelle ils répugnent et changent de position dès l’accord signé.
Le protocole mentionne un cessez-le-feu bilatéral, la création de zones de sécurité à la frontière, la libération des otages, l’adoption d’une loi offrant un statut spécial aux régions de Donetsk et Louhansk. Ce dernier point est un des plus sensibles : Moscou souhaite que Kiev procède à un changement constitutionnel entérinant une fédéralisation, première étape d’une partition du pays.
Les élections générales qui se déroulent le 2 novembre 2014 dans les enclaves séparatistes, ni légitimes ni reconnues, marquent une nouvelle rupture entre une partie du Donbass et le reste du pays. L’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE) considère le scrutin comme contraire au protocole de Minsk, alors que le chef de la diplomatie russe assure l’inverse. Kiev en tire les conclusions et suspend les services publics dans la zone dont il n’a plus le contrôle.
Alors que les combats continuent, une nouvelle tentative est lancée par la France, rejointe par l’Allemagne. Les accords de Minsk II (12 février 2015), dont le but essentiel est le respect des précédents, aboutissent aux mêmes impasses, bien que la stratégie de Moscou devienne plus transparente : par les négociations, le Kremlin tente d’influer sur la forme de l’État ukrainien, pousse à mettre face à face les séparatistes et les responsables de Kiev, et à accréditer – ce qu’elle proclame depuis le début du conflit – le fait qu’il s’agirait d’une « guerre civile » entre deux entités en conflit et où Moscou ne serait que médiateur.
Deux élections fondatrices (2014)
Parallèlement au conflit, le nouveau pouvoir continue la réforme de l’État et procède, en premier lieu, à des élections générales. Au terme d’une campagne électorale ouverte et couvrant l’ensemble du prisme politique, un nouveau président est élu dès le 1er tour, le 25 mai 2014. Petro Porochenko arrive en tête loin devant Ioulia Timochenko. Cette majorité est obtenue dans la quasi-totalité du territoire. Alors que l’est du pays est ravagé par le conflit, la carte électorale est la plus homogène que l’État ait connue depuis l’indépendance.
Ce premier pas est confirmé par les élections législatives du 26 octobre 2014 : les formations ultranationalistes, régulièrement montrées du doigt par Moscou, ne parviennent pas à franchir la barre des 5 % leur permettant d’entrer au Parlement. Le Bloc de Petro Porochenko et la formation menée par le Premier ministre Arseni Iatseniouk, le Front populaire, sont au coude à coude et peuvent former une majorité qualifiée. Ces deux scrutins constituent une première étape de refondation politique de l’État et fournissent aux principales figures de Maïdan leur légitimité face à Moscou comme à l’UE.
Le nouveau Parlement est à l’image du bouleversement social que vit le pays. Il se rajeunit et se féminise : 249 députés (sur 423) ont moins de quarante-cinq ans et on compte 51 femmes. Les représentations professionnelles sont davantage en phase avec la société : 109 élus sont issus du monde des affaires, 92 sont des fonctionnaires ou des élus locaux, 38 viennent de la société civile, 16 représentent la culture ou la médecine et 15 sont des militaires.
Bon nombre de responsables de l’ancien régime ont participé au scrutin sous l’appellation « Bloc d’opposition », même s’ils sont accusés de se refaire une virginité politique grâce à la précieuse immunité parlementaire, de soutenir en sous-main les séparatistes ou de financer des activités susceptibles d’affaiblir l’État central. C’est autour d’eux que va s’articuler une forme de réaction politique à la « révolution de la dignité ».
Renforcé par le retour à la Constitution de 2004, le Parlement a en charge l’élaboration de l’appareil juridique censé encadrer les réformes, une tâche d’autant plus urgente que l’État est affaibli par l’absence de changements structurels depuis son indépendance. La loi sur la lustration (signée le 15 octobre 2014) constitue le pivot de la nouvelle politique gouvernementale : elle implique l’interdiction pour un fonctionnaire d’accéder à de hautes fonctions s’il a été partie prenante des anciennes structures du Parti communiste, des services de renseignement ou s’il a participé à la consolidation du pouvoir de Viktor Ianoukovitch.
Le pouvoir se trouve ainsi confronté à deux exigences majeures : celles des partenaires occidentaux de plus en plus méfiants au fil de l’enlisement du conflit, poussant parfois à un règlement négocié avec la Russie, et celles de la société à laquelle il faut répondre pour ne pas susciter de nouvelles mobilisations.
Le souhait de se rapprocher de l’UE est encouragé par la signature, le 27 juin 2014, de l’accord d’association que le président Ianoukovitch avait repoussé à Vilnius le 29 novembre 2013, même si la Commission européenne retarde son entrée en vigueur à 2016.
Les textes de loi suivent : loi sur le système des cours de justice et le statut des juges, réforme de l’administration publique et de l’Éducation nationale. Ils sont encadrés idéologiquement par d’autres textes, comme les lois dites « mémorielles » (avril 2015), qui interdisent toute propagande politique concernant les régimes totalitaires, qu’ils soient communistes ou nazis.
Leur mise en application se révèle toutefois malaisée. La loi sur la lustration, qui se voulait un « nettoyage » de l’ancien appareil d’État, montre rapidement ses limites ; les critères se restreignent ou s’élargissent selon les cas : la nouvelle classe politique n’est pas non plus vierge de toute promiscuité avec le précédent système. La bataille contre la corruption rencontre aussi des difficultés, liées plutôt à la surabondance de structures destinées à son éradication qu’au manque institutionnel.
Pour contribuer au renouvellement des élites, le pouvoir fait également appel à des figures démocratiquement venues du monde postsoviétique : le ministre du Développement économique est d’origine lituanienne, la ministre des Finances issue de la diaspora ukrainienne aux États-Unis, l’adjoint au ministre de la Justice responsable de la politique anticorruption est géorgien ; quant à l’ancien président géorgien Mikheïl Saakachvili, il est nommé gouverneur de la région d’Odessa.
La société civile en première ligne
À la fin de 2014, l’Ukraine avait perdu 7 % de son territoire à la suite de la « guerre cachée ». Les régions qui s’étendent de Louhansk à la côte de la mer d’Azov contribuaient pour près de 17 % au PNB. La monnaie nationale, la hryvna, perd 50 à 60 % de sa valeur durant la même période. Les sanctions prises par l’UE et les États-Unis en réponse à l’annexion de la Crimée et au soutien de la Russie aux séparatistes rejaillissent également sur l’économie ukrainienne.
Mais, si la guerre a affaibli l’État, elle a aussi renforcé ses défenses. Le conflit contribue à la structuration du pays et à sa vocation européenne : la réforme devient autant un vecteur de survie nationale que de modernisation.
La société civile est le principal moteur de l’évolution. Face aux dérives autoritaires, son rôle n’a cessé de s’affirmer depuis le début des années 2000, obligeant la justice à davantage de transparence (affaire Gongadze), mettant les tenants du pouvoir en difficulté (mouvement L’Ukraine sans Koutchma), se mobilisant pour que cessent les fraudes électorales (« révolution orange ») et pour mettre finalement en échec la présidence de Ianoukovitch.
Au moment où l’État est menacé, la population supplée au manque de moyens, collecte dons et biens matériels pour venir en aide aux réfugiés ou à ceux qui se battent pour la défense du pays. Le mouvement des Volontaires, issu de la « révolution de la dignité », joue un rôle de premier plan, tandis que la population se radicalise, poussant à de nouvelles options stratégiques. Les sondages d’opinion témoignent d’une adhésion grandissante à l’UE si l’offre en était faite – l’idée devient majoritaire dans le pays – et d’une baisse d’intérêt pour l’Union douanière. De même, les opinions favorables à l’OTAN se renforcent, même si les disparités régionales restent importantes sur ce point.
Hauts et bas d’une évolution
Le monde russe pas à pas
Les combats qui ont lieu à l’est de l’Ukraine à partir de 2014 sont également le reflet des changements politiques qui se déroulent au sein du Kremlin. Vladislav Sourkov, éminence grise de Vladimir Poutine, qui est à la fois concepteur de la « démocratie souveraine » et artisan de la stratégie des enclaves dans les pourtours de l’ex-Union soviétique, illustre ce lien idéologique entre les forces politiques de Moscou et les menées sur le terrain extérieur. Avec l’assassinat de l’opposant Boris Nemtsov (27 février 2015), qui avait documenté le déclenchement de la guerre dans le Donbass, cette relation éclate au grand jour.
Les hauts responsables ukrainiens, déchus après la révolution de Maïdan, contribuent aussi à renforcer cette communication entre le Kremlin et l’Ukraine. L’ancien président Ianoukovitch intervient dans les médias russes et jure de n’avoir jamais donné l’ordre de tirer sur les manifestants en 2014. Et son ex-Premier ministre, Mykola Azarov, envisage de former un « gouvernement en exil ».
Pour la Russie, la Crimée devient une sorte de modèle d’occupation : refonte des structures administratives, reprise en main politique principalement menée par les services russes de sécurité (FSB), lutte contre la population tatare. La gestion du personnel d’encadrement est confiée à Dmitri Kozak, homme de Saint-Pétersbourg, chargé en 2003 de la gestion du conflit entre la Transnistrie et la Moldavie. Une équipe de hauts fonctionnaires forment le nouvel exécutif : ceux-ci sont assurés d’un niveau de vie confortable et d’une perspective de carrière en mesure de compenser les difficultés dues aux sanctions occidentales.
Rattachée à la Russie en mars 2014, la presqu’île est dotée de deux entités administratives : la république de Crimée et la ville désormais fédérale de Sébastopol. Il s’agit par là aussi de donner à cette base militaire un statut à part.
Décentralisation contre fédéralisation
Les accords de Minsk II, conclus en février 2015 sous la menace de l’armée russe, sont mal acceptés par la population. Lors du débat parlementaire du mois d’août, proposant un changement constitutionnel conforme aux accords et l’introduction d’un « statut spécial » pour les régions occupées, une violente mobilisation éclate au centre de Kiev qui fait reculer le pouvoir.
Ce statut spécial a d’ailleurs instauré quelques mois auparavant une nouvelle loi électorale pour les territoires occupés : elle offre plus d’autonomie aux régions, sans pour autant contribuer à cette « fédéralisation » du pays à laquelle la Russie est si favorable.
Le mouvement en faveur de la décentralisation est soutenu par le Premier ministre Volodymyr Groïsman. Un gigantesque remembrement territorial est encouragé afin de remédier à une trop grande parcellisation du territoire. Les responsables de ces nouvelles entités territoriales sont ensuite élus par la population. Cette réorganisation implique aussi une nouvelle répartition budgétaire : une partie des impôts est directement investie sur place dans de nombreux services jusqu’alors dévolus à l’État, comme l’éducation, la santé ou l’entretien des routes. Un nouvel équilibre s’instaure entre Kiev et les régions, favorisant aussi l’émergence de nouveaux acteurs politiques.
Les élections locales d’octobre 2015 se déroulent dans ce contexte et sont reconnues à l’Ouest pour leur caractère démocratique. Pourtant les résultats déçoivent les autorités. La participation est faible, certains électeurs ont été découragés par la complexité du scrutin et un nombre important de réfugiés n’ont pu y prendre part. Le parti du président Porochenko, dont la popularité est en baisse, ne parvient pas à l’emporter en dehors des régions qui lui sont déjà acquises à l’Ouest. Déconvenue pour le pouvoir post-Maïdan, il s’agit pourtant d’une avancée majeure dans l’histoire politique du pays : les maires de 35 villes de plus de 90 000 électeurs sont élus à la majorité absolue à deux tours ; l’idée de choix et d’alternative politique pénètre pour la première fois dans les régions de l’Est et du Sud. Cette reconfiguration politique et économique se poursuit durant plusieurs années.
En 2017, plus de 400 « communautés territoriales unies » ont été créées, légitimées par autant de scrutins locaux.
De son côté, le Kremlin mène à bien la construction du pont, long de 18 kilomètres, reliant la presqu’île de Kertch en Crimée au littoral russe. Il est inauguré en grande pompe par le président Poutine en mai 2018. Kiev met fin quelques mois plus tard par décret au traité d’amitié entre l’Ukraine et la Russie qui avait été signé en 1997.
La confrontation reprend autour de la mer d’Azov, considérée par traité « eaux intérieures historiques » communes aux deux États. Des navires russes menacent puis arraisonnent des bateaux militaires ukrainiens le 25 novembre 2018. De fait, la hauteur du pont de Kertch et la surveillance dont il est l’objet par la Russie bloquent la navigation et provoquent un assèchement économique des ports ukrainiens de la région, en particulier celui de Marioupol.
Les négociations de Minsk piétinent : le côté russe cherche essentiellement à obtenir une levée des sanctions ; les autorités ukrainiennes sont tenues par une population moins conciliante que les négociateurs. Et la vigilance des partenaires occidentaux faiblit.
De fait, l’opinion de la population dans l’ensemble du pays évolue : ses liens avec l’État ukrainien se renforcent, ainsi que son attirance pour les valeurs occidentales. La ligne de fracture entre l’est et le sud du pays s’estompe. Les sondages témoignent d’un intérêt grandissant pour l’UE et l’OTAN, des sentiments encouragés en mai 2017 par la suppression du régime des visas par l’Union européenne.
Réformes sous double pression
Sous la pression de la société́ civile et des partenaires occidentaux, le pouvoir parvient à initier d’importantes réformes structurelles : augmentation des salaires dans les secteurs de l’éducation et de la santé, adoption du système ProZorro pour la passation des marchés publics en ligne, plus grande transparence de l’administration publique. L’ensemble des hauts fonctionnaires doit désormais se plier à la déclaration de leurs avoirs. Est également initiée au Parlement la privatisation de la terre, adoptée en mars 2020 et entrée en vigueur en juillet 2021.
Ces avancées sont toutefois entachées de retards, retours en arrière ou blocages qui trahissent les marques de l’ancien régime ou la mainmise des groupes politico-oligarchiques. Ainsi, si la procurature a perdu certaines des fonctions de surveillance héritées de l’Union soviétique, elle reste un puissant instrument entre les mains de l’administration présidentielle. Les défaillances – actives ou passives – de la justice sont régulièrement dénoncées, comme lors de la mort, en 2018, de Kateryna Gandziouk, qui dénonçait la corruption de la police dans la région de Kherson.
La lutte contre la corruption de haut niveau peine à être efficace. Les conflits entre les instances qui en ont la charge, comme le Bureau national anticorruption (Nabu), le parquet spécialisé dans la lutte contre la corruption (SAP) et la procurature générale d’Ukraine, contribuent à anéantir les efforts en cherchant à protéger parfois certains hauts fonctionnaires.
La présidence Zelensky, une alternance atypique
Bien élu en 2014 dans une conjoncture hautement favorable, Petro Porochenko est confronté en 2019 à son propre bilan et décide pour sa campagne de s’appuyer sur trois pôles jugés porteurs ou qu’il souhaite revigorer : l’armée nationale ; la langue ukrainienne qu’il veut valoriser, voire imposer ; la foi, dans le respect de l’Église orthodoxe ukrainienne. Or le pouvoir est rendu responsable de l’impasse des accords de Minsk, de n’avoir pas trouvé de solution ou d’avoir trop négocié. La promotion active de la langue ukrainienne ne joue pas le rôle unificateur souhaité dans un pays majoritairement bilingue. Sur le plan religieux, l’Église orthodoxe ukrainienne est reconnue en 2018 par le patriarcat de Constantinople, ouvrant la voie à l’autocéphalie : une avancée symbolique importante, marquant un nouvel éloignement de la tutelle de Moscou.
Les adversaires politiques aiguisent leurs arguments. Le poids du Bloc d’opposition – prorusse – a décru et cherche un nouveau souffle avec le slogan « Faire la paix ». Il reste influent grâce aux médias sous son contrôle. Sous les auspices de Viktor Medvedtchouk, l’éminence grise en Ukraine du président Poutine, ce groupe lié au secteur énergétique se rallie à la candidature de Iouri Boïko.
L’éventualité d’une candidature de Volodymyr Zelensky est considérée par les élites politiques en place comme marginale, voire peu sérieuse. Sa popularité tient essentiellement au succès de la série Serviteur du peuple, lancée en 2015, qui scénarise l’arrivée d’un simple professeur d’histoire aux fonctions suprêmes. Zelensky interprète le héros. À travers cette série, le studio de production qu’il a cofondé et qu’il anime (Kvartal 95) se livre à une critique drôle et féroce des mœurs de l’establishment politique. Sa déclaration de candidature, tardive, se fait sur le même mode, en superposant ses propres vœux du 1er janvier 2019 à ceux du président sortant. Et sa popularité s’envole. Dans les mois qui suivent, il mène campagne essentiellement sur les réseaux sociaux et par des coups médiatiques qui séduisent la jeune génération, même si les engagements politiques du candidat restent flous : promesse d’obtenir un accord avec la Russie d’ici la fin de l’année et « désoligarchisation » du pays.
En avril, le succès qu’il remporte avec plus de 70 % des suffrages au deuxième tour est inédit dans l’histoire de l’Ukraine : il réussit à briser la dichotomie politique entre l’est et l’ouest du pays. Beaucoup d’observateurs s’interrogent sur ce verdict qui semble montrer que la société ukrainienne aurait toujours tendance à renverser la table. Après la « révolution orange » et la « révolution de la dignité », s’agirait-il d’une « révolution par les urnes » ?
Les élections législatives anticipées de juillet 2019 confirment le succès de la présidentielle : Serviteur du peuple est devenu un parti et obtient la majorité absolue. Quatre autres formations franchissent le seuil de 5 % de suffrages nécessaires pour entrer au Parlement : en tête les prorusses de la Plateforme d’opposition ; puis Batkivchtchina (La patrie), de Ioulia Timochenko ; Solidarité européenne, de Porochenko ; enfin, Holos (La voix), parti formé par la star du rock ukrainien Sviatoslav Vakartchouk. Le Parlement est ainsi très largement renouvelé et constitué en grande majorité de nouveaux visages, alors qu’il était jusqu’à présent dominé par les élites formées du temps de l’Union soviétique.
Le nouveau président précise ses engagements : reprise du processus de paix dans le cadre des accords de Minsk, versement des pensions aux retraités de l’Est dans les régions occupées, allègement de l’ukrainisation systématique menée par son prédécesseur.
Le pouvoir est malgré tout confronté à ses propres contradictions : il s’était engagé à construire un pays sans oligarques, mais ménage dans un premier temps ses liens avec Igor Kolomoïski, fort influent dans les domaines énergétique, bancaire et médiatique, qui a soutenu la campagne de Zelensky.
La lutte antioligarchique est menée avec davantage d’allant contre son prédécesseur Petro Porochenko, qui est également l’un des hommes les plus riches du pays. Les chaînes de télévision prorusses que contrôle Medvedtchouk sont interdites.
Le 23 septembre 2021, Zelensky fait adopter par le Parlement une loi « antioligarque » qui définit les limites du rôle politique de ceux-ci sur la base de quatre critères : influence sur les médias, possession d’une entreprise en situation de monopole, participation à la vie politique, fortune supérieure à 89 millions de dollars. L’initiative est saluée mais interroge : elle désigne nominativement ceux qui sont visés selon une sélection faite par le président.
Le conflit à l’est du pays pose à Volodymyr Zelensky d’autres défis. Il obtient à l’automne 2019 la libération de 35 prisonniers ukrainiens, dont le cinéaste ukrainien Oleg Sentsov. Mais la signature, au 1er octobre 2019, d’un plan permettant l’organisation d’élections dans les régions sécessionnistes provoque de nouveau une forte mobilisation à Kiev. Le président a eu beau assurer que le texte resterait soumis au retrait des forces russes, la population s’oppose à ce qu’elle nomme « la capitulation ». En mars 2020, le coût humain du conflit s’élève déjà, d’après un rapport de l’ONU, à plus de 13 000 morts, des dizaines de milliers de blessés et des centaines de milliers de réfugiés.
Les élections locales de 2020 se déroulent dans le contexte de la pandémie de Covid-19. La participation est faible et les résultats de Serviteurs du peuple sont décevants : aucun candidat du parti présidentiel n’a été élu maire. En revanche, les responsables des grandes villes sont reconduits souvent dès le premier tour (à Kharkiv, Vinnytsia, Ivano-Frankivsk, Marioupol, Kiev, Jytomyr). Quant aux partis pro-Kremlin, qui exerçaient avant 2014 un monopole absolu sur la politique de l’Est, les résultats les obligent désormais à composer avec d’autres forces pour former une majorité.
Après deux années de gouvernance de Zelensky, les instituts de sociologie se livrent à un premier bilan : avancée de la digitalisation des services administratifs du pays – ce que le président appelle « l’État dans un smartphone » – et amélioration des infrastructures, en particulier les routes avec le programme de « la grande construction ». Sa communication très directe séduit toujours la jeune génération. Et la gestion de la pandémie de Covid-19 a plutôt poussé le pays à se rapprocher de l’UE. En revanche, de nombreuses décisions émanent davantage du Conseil de sécurité que du Parlement, contribuant à une certaine concentration du pouvoir. Le président est soupçonné de favoritisme dans la gestion de son entourage politique. Le conflit à l’intérieur du pays représente un sérieux handicap pour les réformes : la défense de l’État prend autant de place que sa modernisation.
En novembre 2021, la COP 26 permet de mettre en avant la « catastrophe écologique et humanitaire » qui frappe les territoires occupés, y compris la Crimée. L’Ukraine rappelle que la presqu’île est devenue une base militaire russe, et l’inondation des mines de charbon dans les parties occupées du Donbass a provoqué l’érosion des sols fertiles et un manque d’eau potable.
La guerre hybride
Au cours des derniers mois de 2021, la pression de Moscou sur Kiev s’accroît : cyberattaques, guerre économique, ruptures énergétiques, guerre de l’information. On peut y ajouter les réflexions pseudo-historiques du président Poutine sur les Russes et les Ukrainiens qui ne constitueraient qu’un seul peuple. Cette guerre hybride élargie s’appuie sur la multiplication des lieux et des supports, sur l’imprévisibilité, et elle vise également les pays occidentaux.
La Russie renforce son occupation et en fait un instrument de contrôle de la population : introduction progressive du passeport russe, mise en place du rouble dans l’économie quotidienne, suppression des canaux d’information ukrainiens et leur remplacement par des chaînes russes. Dans les écoles, l’enseignement selon les standards russes s’impose, tout comme la négation de l’identité et de la culture ukrainiennes.
Les républiques autoproclamées de Donetsk et de Louhansk vont dans le même sens : elles établissent des administrations autonomes et introduisent des fonctionnaires d’occupation.
Le personnel russe pour la mise en œuvre des différents « séparatismes » a peu changé depuis les années 2000. Le ministre russe de la Défense, Sergueï Choïgu, a accentué l’influence de l’armée dans la politique extérieure de son pays. Sergueï Glazyev, assistant du président Poutine pour le développement de l’Union douanière entre la Russie, la Biélorussie et le Kazakhstan, a contribué à l’occupation de la Crimée. De même, le représentant du gouvernement russe pour les accords de Minsk, Dmitri Kozak, a déjà négocié le statut de la région séparatiste de Transnistrie, puis l’annexion de la Crimée.
Alors que les accords de Minsk sont dans l’impasse et que l’Ukraine doit fêter le 24 août 2021 le 30e anniversaire de son indépendance, le président Zelensky lance la Plateforme de Crimée. Cette initiative diplomatique réunit une trentaine de hauts responsables occidentaux appelés à réfléchir sur une « désoccupation » de la péninsule.
De la menace à l’invasion
Le 10 novembre 2021, les services de renseignement américains signalent des « mouvements inhabituels » de troupes russes massées à la frontière de l’Ukraine, alors que les combats s’intensifient dans les régions séparatistes de l’Est. Moscou présente cela comme une réplique aux manœuvres de l’OTAN.
Plusieurs échanges directs se succèdent entre le Kremlin et Washington. Lors d’une conversation téléphonique, le président russe demande à son homologue américain des « garanties juridiques sûres » contre l’élargissement de l’Alliance atlantique et le non-déploiement de militaires et d’armements supplémentaires dans les pays ayant récemment rejoint l’OTAN, comme la Roumanie et la Bulgarie. Les Occidentaux menacent alors la Russie de sanctions et d’une réponse aux « conséquences massives » en cas d’invasion.
Plusieurs tentatives ont lieu début février afin de chercher une issue diplomatique au conflit. Emmanuel Macron se rend à Moscou pour « trouver des compromis ». Olaf Scholz tente à Kiev puis à Moscou d’obtenir une désescalade.
Lors de la Conférence de Munich sur la sécurité (18-20 février 2022), Zelensky place le conflit au centre des attentions européennes : il rappelle que l’annexion de la Crimée, tout comme la guerre du Donbass, ne sont pas seulement des conflits intérieurs à l’Ukraine, mais une « guerre en Europe ».
La Russie continue à nier avoir l’intention d’envahir l’Ukraine, mais s’estimant en danger, reconnaît le 21 février 2022 l’indépendance des entités séparatistes de Donetsk et de Louhansk. Le 24 février, le président Poutine annonce le début d’une « opération militaire spéciale » : celle-ci vise « la démilitarisation et la dénazification de l’Ukraine ». Elle est immédiatement suivie du bombardement des principales villes du pays.
Bien que les partenaires occidentaux affirment leur solidarité et procurent leur aide, peu de responsables politiques envisagent alors un retournement militaire. Le renseignement américain estime que l’Ukraine sera conquise en moins de quatre jours, tandis que le ministère russe de la Défense prévoit de prendre possession de Kharkiv, de Kherson et de la capitale durant les deux premiers jours de guerre. Les costumes et les discours sont déjà prêts pour un défilé de la victoire au centre de Kiev.
Les jours, semaines et mois qui suivent s’avèrent infiniment plus difficiles que prévu pour le pouvoir russe et pour ses armées. Bien qu’aidée considérablement par une quantité de matériel militaire performant venu de l’Ouest, l’armée ukrainienne est aussi mise à rude épreuve. Très vite, les populations civiles, les grandes villes, les infrastructures sont systématiquement frappées.
Ce combat a priori disproportionné met face à face un système néo-impérial, désireux d’en découdre, et un pays en train d’effectuer sa mue démocratique. Ce sont deux armées, mais aussi deux systèmes, qui s’affrontent.
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Écrit par
- Annie DAUBENTON : spécialiste de l’Europe centrale et orientale, ancienne correspondante à Moscou, puis conseillère culturelle à l’Ambassade de France à Kiev, collaboratrice à la revue Esprit
- Iryna DMYTRYCHYN : maître de conférences à l'Institut national des langues et civilisations orientales
- Lubomyr A. HAJDA : directeur adjoint, Ukrainian Research Institute, Harvard University
- Georges LUCIANI : professeur de langues, littératures et civilisations slaves à l'université de Bordeaux-III
- Yann RICHARD : maître de conférences à l'université de Paris-I-Panthéon-Sorbonne
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UKRAINE, chronologie contemporaine
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UNION EUROPÉENNE (HISTOIRE DE L')
- Écrit par Laurent WARLOUZET
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...occidental. Cependant, le débat initié en 1964 par Charles de Gaulle, qui opposait « l’Europe européenne » à « l’Europe atlantique », reste pertinent. Après l’invasion de l’Ukraine par la Russie en 2022, l’UE a su se comporter en puissance européenne, en adoptant des sanctions communes contre la Russie et... -
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- Écrit par Franco MANNATO
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...une reprise, a été principalement tirée par la consommation de la Russie. En 2006, la consommation d'acier de ces pays a atteint 44,6 millions de tonnes, dont 32,8 millions de tonnes pour la Russie, 6,6 millions de tonnes pour l'Ukraine et 5,2 millions de tonnes pour l'ensemble des autres États. -
ALLEMAGNE (Politique et économie depuis 1949) - L'Allemagne unie
- Écrit par Étienne DUBSLAFF , Encyclopædia Universalis et Anne-Marie LE GLOANNEC
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...française peine à se satisfaire de l’engagement militaire a minima de l’Allemagne, notamment au Mali où la France est impliquée depuis 2013. Concernant les ambitions russes en Ukraine, la France et l’Allemagne agissent ensemble, dès 2015, pour négocier les accords de Minsk en vue de mettre fin aux affrontements... -
BIÉLORUSSIE
- Écrit par Olga BELOVA , Encyclopædia Universalis et Yann RICHARD
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...saisit aussi l’opportunité de renforcer sa coopération avec la Chine, en particulier dans le cadre du lancement des Nouvelles Routes de la soie, en 2013. Le président biélorusse parvient même à opérer un « retour en grâce » auprès des pays occidentaux en se posant en médiateur, en 2014 et 2015, lors de la... - Afficher les 51 références
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