UN BARRAGE CONTRE LE PACIFIQUE, Marguerite Duras Fiche de lecture
Un barrage contre le Pacifique est, après Les Impudents (1943)et La Vie tranquille (1944), le troisième roman de Marguerite Duras (1914-1996). Publié en juin 1950, le livre fait sensation et reçoit un accueil globalement favorable de la critique qui le compare volontiers aux romans américains à la mode (Steinbeck, Caldwell, Hemingway…). Il sera pressenti pour le prix Goncourt. Dès 1958, une première adaptation cinématographique par René Clément, bien que considérée par l’auteure comme une trahison, contribuera à le faire connaître d’un plus large public. En 2008, une seconde version a été tournée par le réalisateur franco-cambodgien Rithy Panh. Duras écrira elle-même une transposition théâtrale du roman, L’Éden Cinéma, créée en 1977 au théâtre d’Orsay par la compagnie Renaud-Barrault dans une mise en scène de Claude Régy.
Les décennies qui nous séparent de sa parution nous font inévitablement poser sur Un barrage un regard différent de ce qu’il fut alors. À l’époque, les enjeux politiques de cette dénonciation du colonialisme, en pleine guerre d’Indochine, eurent parfois tendance à en occulter la dimension plus psychologique de roman familial et d’initiation. De plus, le lecteur de 1950 ne pouvait naturellement pas être sensible à la mise en place de motifs, en particulier autobiographiques, qui allaient par la suite nourrir l’œuvre (L’Amant, 1984, L’Amant de la Chine du Nord, 1991). Il ne pouvait pas non plus prévoir la « rupture » stylistique de Moderato cantabile (1958), que Duras a toujours tenu pour son véritable texte inaugural, reniant plus ou moins les précédents – dont, après Un barrage, Le Marin de Gibraltar (1952) et Les Petits Chevaux de Tarquinia (1953). C’est pourquoi Un barragepeut nous apparaître comme pas tout à fait et en même temps profondément durassien.
Une malédiction coloniale
Le décor du roman est la Cochinchine – province de l’Indochine coloniale française correspondant au sud du Vietnam actuel – des années 1920-1930. Une femme âgée d’une quarantaine d’années, « la mère », toujours ainsi nommée, vit dans un bungalow misérable au milieu d’une plaine marécageuse, avec son fils, Joseph, vingt ans, et sa fille, Suzanne, dix-sept. À la mort de son mari, avec lequel elle avait vécu dans une relative aisance depuis leur installation en Cochinchine, elle s’est retrouvée sans ressources. Après avoir travaillé pendant dix ans comme pianiste à l’Éden Cinéma, elle a investi toutes ses économies dans l’achat d’une concession afin d’y créer une plantation. Mais le terrain que lui ont vendu, en toute connaissance de cause, les agents corrompus du cadastre s’est révélé incultivable. Il est envahi chaque année par la montée des eaux du Pacifique – en réalité la mer de Chine – qui ravagent les récoltes. La mère a mobilisé les paysans des alentours pour construire des barrages, mais ceux-ci n’ont pas résisté aux puissantes marées.
Lorsque s’ouvre la première partie du roman, tous trois vivent là dans un extrême dénuement et un profond découragement, Joseph menaçant régulièrement de partir, au grand effroi de sa mère. À l’occasion d’un déplacement dans le village voisin de Ram, ils font la connaissance de M. Jo, un jeune homme contrefait et un peu sot mais fortuné, fils d’un riche planteur du Nord. Celui-ci est immédiatement séduit par Suzanne. Dans les mois qui suivent s’instaure une relation étrange et perverse entre M. Jo, qui se rend chaque jour au bungalow dans l’espoir obsessionnel de conquérir Suzanne, et la jeune fille et sa mère, bien décidées à ne lui céder qu’en échange d’un mariage. Faute de pouvoir – son père, dit-il, s’y opposerait – ou de vouloir accéder à cette exigence, M. Jo s’efforce de parvenir à ses fins en offrant à Suzanne toutes sortes cadeaux – des produits de beauté, une robe, un phonographe et finalement une bague sertie d’un diamant –,[...]
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Écrit par
- Guy BELZANE : professeur agrégé de lettres
Classification
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