UN BEAU SOLEIL INTÉRIEUR (C. Denis)
Depuis Chocolat (1988), tous les films de Claire Denis mettent en scène des relations de désir qui franchissent et souvent transgressent les frontières culturelles. Les liens qui se tissent entre les êtres relèvent moins de la société ou de l’idéologie que d’émotions, de pulsions, de forces quasi médiumniques. Claire Denis croit à un cinéma dont la forme rendrait perceptibles des liens ténus que les mots seuls sont impuissants à communiquer. La pugnacité de ses héroïnes et son travail de mise en scène concourent à libérer les personnages de leur enfermement, adoucissent leurs souffrances et les ouvrent aux autres.
L’amour en miettes
Un premier projet portait sur un film collectif qui se serait inspiré des Fragments d’un discours amoureux, de Roland Barthes, un livre qui passionne Claire Denis depuis longtemps : non un roman au sens propre du terme, plutôt une méditation sur les avatars du sentiment amoureux. Un beau soleil intérieur (2017), imaginé et écrit par la réalisatrice en étroite collaboration avec la romancière Christine Angot, est né de ce projet abandonné pour des questions de droits.
Comme le livre de Barthes, Un beau soleil intérieur est lui aussi composé de fragments, c’est-à-dire de scènes presque indépendantes les unes des autres, centrées sur le personnage central d’Isabelle (Juliette Binoche). N’était cette construction, la matière première est la même que celle de quantité de films : le sentiment amoureux ou plus précisément son besoin, l’envie insurmontable de la relation avec l’autre, avec un autre.
Femme mûre et libre, artiste peintre, Isabelle ne manque pas d’amants, qu’il s’agisse de liaisons anciennes ou passagères. Elle ne cherche pas le confort de bras (trop) accueillants, mais l’aventure d’une passion qui pourrait, espère-t-elle, s’inscrire dans la durée. L’échantillon de ses relations est chaotique, aussi bien psychologiquement et socialement que sexuellement. Mais chaque rencontre fait problème, car tous les partenaires de l’héroïne ont des défauts rédhibitoires et Isabelle s’épuise à y faire face. Le plus grossier des amants, le banquier (Xavier Beauvois), se montre hédoniste et cynique. En même temps, Isabelle confesse à une amie que c’est précisément la vulgarité du personnage qui la fait jouir. Quant à l’acteur interprété par Nicolas Duvauchelle, il ne cesse de se dérober et multiplie explications lacunaires et contradictoires, incapable de traduire en mots ce que laissent deviner ses gestes et ses regards. Isabelle surjoue elle aussi son rôle en le bombardant de mises en demeure aussi répétitives qu’inutiles : « on » ne sait ce qu’il veut, mais « on », c’est lui, c’est elle, et c’est nous, spectateurs. Mathieu (Philippe Katerine), dans sa drague appuyée et sa fatuité, n’est pas moins agaçant, mais il est plus attendrissant.
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Écrit par
- Joël MAGNY
: critique et historien de cinéma, chargé de cours à l'université de Paris-VIII, directeur de collection aux
Cahiers du cinéma
Classification
Média