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UN CŒUR INTELLIGENT (A. Finkielkraut) Fiche de lecture

L'ouvrage d'Alain FinkielkrautUn cœur intelligent (Fayard, 2009) se propose de déchiffrer les énigmes du monde à travers la lecture de neuf œuvres littéraires : La Plaisanterie de Milan Kundera, Tout passe de Vassili Grossman, Histoire d'un Allemand de Sebastian Haffner, Le Premier Homme d'Albert Camus, La Tache de Philip Roth, Lord Jim de Joseph Conrad, Les Carnets du sous-sol de Fedor Dostoïevski, Washington Square de Henry James et Le Festin de Babette de Karen Blixen. Dès le titre du livre, qu'il emprunte à l'Ancien Testament, Alain Finkielkraut laisse entendre ce qu'apporte ou devrait susciter la littérature. Après son mariage avec la fille du pharaon, Salomon entretient en rêve un dialogue insolite avec Dieu : « Accorde à ton serviteur, lui dit-il, un cœur intelligent pour juger ton peuple, pour discerner le bien du mal ! ». Cette prière a l'heur de plaire à Dieu qui lui octroie, selon l'Ancien Testament, « un cœur sage et intelligent ».

L'exégète juif Radak précise que le « cœur sage » est celui qui bat dans l'homme « habile à faire vivre la sagesse dont il s'imprègne ». Hannah Arendt, commentant ce même passage, complète la définition du cœur humain, en précisant qu'il trouve sa force dans son aspiration à « assumer le fardeau que nous a légué le don divin de l'action, ce don d'être un commencement et, partant, d'être capable de commencer ». La seconde gratification faite à Salomon, le « cœur intelligent » est, toujours selon Radak, propre à celui qui « saisit les choses celées à l'intérieur des choses ». Ce cadeau de Dieu confère à Salomon une sagesse agissante, à la recherche du sens occulte ou allusif d'une réalité objective entièrement déployée en direction du peuple, ce qu'Hannah Arendt traduit par la « faculté d'imaginer ». Car à la différence de la fantaisie qui rêve les choses, « l'imagination a trait aux ténèbres particulières du cœur humain et à cette curieuse densité qui entoure tout ce qui est réel ». Seule l'imagination, poursuit Hannah Arendt dans La Nature du totalitarisme, nous permet d'examiner les phénomènes selon la perspective qui convient, c'est-à-dire « de mettre à distance ce qui est trop proche, afin de le voir et de le comprendre sans préjugé ni déformation » ou au contraire de rapprocher « ce qui est trop éloigné comme s'il s'agissait d'une affaire familière ».

Ce « cœur intelligent » capable de sonder la complexité du réel, que la littérature se propose de nous transmettre tout en espérant qu'il continue d'agir en nous, doit cependant faire face à l'amer et éternel constat formulé par un professeur de lettres classiques, Coleman Silk, dans La Tache de Philip Roth : « Vous savez comment commence la littérature européenne ? Elle commence par une querelle... ». L'Iliade en effet porte sur une querelle, aussi sûrement que le récit autobiographique de Sebastian Haffner, Histoire d'un Allemand, débute par un duel : « un duel entre deux adversaires très inégaux : un État extrêmement puissant, fort, impitoyable – et un petit individu anonyme et inconnu. » Le thème de l'individu qui s'oppose à la collectivité est également présent dans La Plaisanterie de Milan Kundera (« la révolution est trop préoccupée du bonheur universel pour laisser chacun vaquer à ses affaires ou à ses aventures ») ou dans le chapitre que Finkielkraut consacre à Camus et à son roman posthume, Le Premier Homme. « C'est là, sans doute, dans cette folie et dans ce chaos pré-originel, que s'enracine le refus camusien si vivement critiqué par Sartre d'abandonner l'existence humaine à l'Histoire. »

La vengeance n'est cependant pas toujours au rendez-vous. Toujours dans [...]

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