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UN CONTE DE NOËL (A. Desplechin)

On dirait à première vue l'archétype d'une grande famille bourgeoise (trois générations Vuillard, soit une bonne dizaine de personnages principaux) exceptionnellement réunie pour Noël autour de Junon, la mère (Catherine Deneuve), dont l'état de santé nécessite une greffe de la moelle osseuse. Mais c'est plutôt à un agrégat d'êtres excentriques occupés à quelque règlement de compte d'esprit bergmanien – Fanny et Alexandre, par exemple – que l'on a affaire. Comme toujours chez Arnaud Desplechin, il sera donc question de lignage (le bon ou le mauvais fils, le bâtard ou le légitime, la fille fâchée et le fils enragé), de rapports de couples et de folie : celle qui habitait Rois et reine s'est transmise cette fois au petit-fils, Paul (Émile Berling), mais les borderlines, suicidaires et fabulateurs hantent ce groupe fondé dans le souvenir de Joseph, mort à six ans. En fait, le vernis des apparences recouvre les haines, passions, extravagances et secrets cachés dans la ville natale du cinéaste, Roubaix, nourrissant des divagations généalogiques à base de ressentiment et de jalousie. Le film s'ouvre (presque) et se ferme (pas tout à fait cependant) avec Abel, le père (Jean-Paul Roussillon), sur la tombe de ce fils dont la disparition, il y a plus de trente ans lui avait donné de la force davantage que de la tristesse. Ce n'est là que la première attitude déroutante de ces personnages qui ne sentent, ne pensent et donc ne réagissent jamais selon les schémas attendus. Tout au long du Conte de Noël (2008), le spectateur ira par conséquent de surprise en surprise et le hasard s'inscrit avec audace dans le scénario. Ainsi lorsque Faunia (Emmanuelle Devos), compagne d'Henri (Mathieu Amalric), rencontre brusquement Junon au musée de Roubaix.

L'aspect sériel qui caractérise la filmographie de l'auteur, avec le retour des mêmes acteurs toujours très proches de leurs personnages, est ici compliqué par les prénoms « impossibles » du vieux couple – Abel et Junon – qui ne sauraient être uniquement évocateurs (mais de quoi ?), pas plus que Simon, Elizabeth, ou Joseph... On se croirait dans la Bible, et en tout cas dans la mythologie que façonne tout roman familial. C'est ainsi qu'à la télévision, le soir du réveillon, les protagonistes regardent Moïse (Charlton Heston) dans Les Dix Commandements. Quant au titre du film, il est déjà d'un cynisme jubilatoire. Car cette histoire n'a rien d'un conte de Noël, tous les rituels convoqués étant en effet massacrés : les cadeaux sous le sapin (celui d'Elizabeth – Anne Consigny –, la sœur gardienne implacable de l'honneur familial, consiste à renvoyer à son frère haï sa lettre vengeresse, tandis que Junon reçoit de son époux le Journal d'Emerson, d'où Desplechin a tiré les phrases les plus dérangeantes prononcées par Abel à la mort de son fils), les dîners de famille (Henri a sans doute vu Festen et en joue une variante de la scène principale), la trêve (le pugilat avec Claude – Hippolyte Girardot –, époux démissionnaire d'Elizabeth), la messe de minuit (ils ne sont que trois à y aller et Sylvia – Chiara Mastroianni – couche avec Simon – Laurent Capelluto – le cousin de son pâle époux et bon père Ivan – Melvil Poupaud). Quant à Faunia, dernière pièce rapportée de la tribu, elle est juive et part se réfugier dans sa propre famille pour la non-célébration d'une anti-fête.

Le 1er janvier ne sera pas non plus la journée des vœux mais celle de la greffe de tous les dangers. Car cette thérapie visant à mettre fin à la myélodysplasie dont souffre Junon risque de se révéler plus destructrice que le mal. C'est l'idée maîtresse du film, trouvée dans La Greffe, entre biologie et psychanalyse (2004), étonnant livre à deux voix – celle du psychanalyste[...]

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Écrit par

  • : professeur honoraire d'histoire et esthétique du cinéma, département des arts du spectacle de l'université de Caen

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