UN ÉCRIVAIN AUX AGUETS (P. Pachet) Fiche de lecture
Volume d’œuvres choisies paru chez Pauvert, Un écrivain aux aguets (Pauvert, 2020) rassemble neuf essais parmi les vingt-deux publiés du vivant de Pierre Pachet (1937-2016). Il est accompagné d’une préface d’Emmanuel Carrère et d’une postface de Martin Rueff, et ponctué de précieuses notices introductrices de Yaël Pachet. Un romancier, un philosophe et poète, une essayiste : le dispositif éditorial suggère d’emblée le statut intermédiaire de cet écrivain singulier, philosophe de formation, traducteur de La République de Platon, auteur d’essais et de critiques littéraires. Ce que confirme le récit qui ouvre le livre, Autobiographie de mon père, qui invente un genre hybride provocant : l’autobiographie d’un autre que soi.
Cette anthologie illustre diverses facettes de l’œuvre de Pachet, sans les présenter toutes : elle privilégie les essais fondés sur les relations aux proches (Autobiographie de mon père, Devant ma mère, Adieu – à l’épouse –, amours de L’Amour dans le tempset de Sans amour), mais en retient également la part politique (l’Europe de l’Est et le rapport au judaïsme dans Conversations à Jassy, Sartre et Beauvoir dans Bêtise de l’intelligence), et cette manière d’anthropologie ou d’éthique du quotidien à laquelle on reconnaît cet écrivain (Le Grand Âge, L’Œuvre des jours).
Questionner l’intime
Présentée par ordre chronologique de publication, entre 1987 et 2011, cette sélection montre la persévérance d’un style de pensée qui, loin d’opposer une première période à une seconde, la matière intellectuelle à l’intime, ou le privé au politique, vise dès le début l’intime de la pensée et la politique de la vie privée.
L’Œuvre des jours est sans doute, parmi les neuf essais retenus, celui qui donne le mieux à comprendre cette visée singulière, qu’aucun « -isme » – pas même le stoïcisme mis en lumière par Martin Rueff – ne suffit à inféoder à une philosophie maîtresse. Ni théorie ni phénoménologie pure, ni simple confidence ni fiction franche, l’écriture de Pachet hérite de l’ambition de l’essaidepuis Montaigne, qui entend décrire au plus juste et à la première personne la vie intérieure déployée dans le temps, sans la brutaliser par des abstractions et en acceptant la « désorientation du présent ».
C’est pourquoi Conversations à Jassy, par exemple, n’élabore pas de thèse générale sur les régimes d’Europe de l’Est, mais témoigne du regard d’un observateur « aux aguets », pris dans son histoire singulière, un voyage vers la Bessarabie disparue – autrefois partie de la Roumanie –, origine de sa famille paternelle. Là comme ailleurs, il s’agit de rendre compte de l’expérience, y compris d’ordre historique, par l’émotion ressentie devant des données ténues : les canalisations apparentes de la ville, le décalage géopolitique entre deux interlocuteurs, les plaques effacées du cimetière juif, le souvenir de la lecture de Kaputt, de Malaparte.
Car Pierre Pachet refuse à la fois la théorie surplombante et le détail « touristique », tels que les caricature un essai de ton acide, Bêtise de l’intelligence, rédigé pour accompagner une sculpture de Jean-Louis Faure mettant en scène en 1994 l’hostilité de Sartre et Beauvoir envers Arthur Koestler à la suite de ses critiques contre le régime soviétique. Ce texte d’humeur, non seulement contre l’aveuglement politique mais aussi contre les « analyses généralisantes » de Sartre, livre en creux la pensée de Pachet, qui ne définit au contraire l’individu que par la différence toujours possible avec soi-même.
La suite de cet article est accessible aux abonnés
- Des contenus variés, complets et fiables
- Accessible sur tous les écrans
- Pas de publicité
Déjà abonné ? Se connecter
Écrit par
- Florence DUMORA : maître de conférences, université Paris-Diderot
Classification