UN ÉCRIVAIN AUX AGUETS (P. Pachet) Fiche de lecture
Penser par empathie
Son écriture est d’ordinaire moins polémique que critique, ou curieuse au sens ancien : elle porte attention à ce qui pourrait être négligé, et qui pourtant nous concerne. Ainsi de l’incipit du Grand Âge : « Il y a dans la vie une dimension fantastique à laquelle nous sommes trop habitués et que nous ne cessons d’oublier… ». Cet essai constitue, avec Devant ma mère et Sans amour, un triptyque impressionnant sur la vieillesse. Le Grand Âge déploie avec un mélange de précision analytique et de spéculation humoristique l’imagination par un homme mûr d’un délabrement qu’il ne connaît pas encore (les difficultés devant le code d’entrée, l’escalator…). Le deuxième ouvrage s’appuie sur l’observation évidemment émue, mais aussi la plus exacte possible, de la perte progressive du langage et de la mémoire chez sa mère nonagénaire. Lecteur averti des neurosciences, Pachet illustre la valeur de l’expression individuelle et de l’introspection face à l’expertise ou au langage formalisé : « … branchements neurologiques réussis, imprégnations. Je n’ai rien à dire là-dessus ». Enfin, à nouveau par la force d’une imagination et d’une sympathie auxquelles le dernier chapitre donne une dimension autobiographique, Sans amour s’attache à ces femmes seules qui ont cessé de plaire et que la société rend invisibles : délicate composition sur un sujet rare que Pachet nourrit de portraits de femmes juives russes exilées qu’il a connues dans son adolescence, mais qu’il rapporte à une question qui, en traversant la différence des sexes, la rend entièrement partageable.
À cette constellation sur la vieillesse ont été joints deux essais contrastés sur l’amour : Adieu, œuvre de deuil et magnifique portrait de femme, et L’Amour dans le temps, qui aborde la vie sentimentale à la fois plurielle et solitaire du veuf, versant asymétrique de l’autobiographie amoureuse.
Toute anthologie appelle en écho les livres absents : on regrette la force politique d’autres essais, de De quoi j’ai peur (1979)à L’Âme bridée (2014), et l’originalité de l’approche du sommeil et du rêve, ou des critiques littéraires. Mais le livre suffit à éprouver le pouvoir qu’a cette œuvre de se rendre durablement intime et d’inviter à penser.
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Écrit par
- Florence DUMORA : maître de conférences, université Paris-Diderot
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