UN JOUR DE COLÈRE (A. Pérez-Reverte) Fiche de lecture
Le 2 mai 1808 : cette date s'est imprimée dans la conscience des Espagnols. L'armée impériale de Napoléon, sous prétexte de faire respecter le blocus continental, vient d'envahir le royaume d'Espagne. Murat, duc de Berg, qui réside avec son état-major dans le palais Grimaldi, représente l'Empereur qui retient à Bayonne Charles IV, la reine María Luisa et leur fils Ferdinand VII, le nouveau roi. La junte espagnole de gouvernement cherche en vain à contenir l'exaspération du peuple provoquée par les exactions des Français, l'hostilité contre Murat, la rumeur enfin selon laquelle Napoléon remplacerait la dynastie des Bourbons par une dynastie française ouverte aux idées des Lumières. Le soulèvement populaire du 2 mai 1808, à Madrid, marque le début de la guerre d'Indépendance. Ferdinand VII, revenu en Espagne, s'empressera d'annuler la Constitution libérale des Cortès de Cadix et de rétablir l'Inquisition. La guerre d'Indépendance inaugure aussi l'opposition qui se manifestera en Espagne entre les partisans des idées libérales et les adeptes d'une conception autoritaire de la monarchie et de l'Église.
Le récit de Pérez Reverte, Un jour de colère (traduit de l'espagnol par François Maspéro, 2008) s'attache à retracer, avec minutie, le déroulement d'une seule journée. Depuis l'aurore du lundi 2 mai jusqu'à l'aube du jour suivant, selon la succession des heures discrètement suggérée, l'auteur se livre à la reconstruction des événements. Avec une érudition remarquable, le romancier des Aventures du capitaine Alatriste (1996-2011), du Hussard (1986) ou du Peintre de batailles (2006) évoque, recomposées dans son imagination, rigoureusement fondées sur des faits ou des personnages réels, l'action et les paroles des protagonistes de cette journée mémorable. L'art de la mise en scène, la vivacité et le naturel des dialogues, le talent du portrait ou de l'esquisse sont les qualités romanesques les plus remarquables de cette chronique « d'une sauvagerie indescriptible ». L'avant-propos de l'écrivain dit modestement ce qu'a été ici son rôle : « L'auteur se borne à réunir dans une histoire collective un demi-millier d'histoires particulières consignées dans les archives et les livres. La part de l'imaginaire se réduit donc à l'humble tâche de cimenter entre elles les pièces du dossier. »
Réunissant des émeutiers et des partisans de Ferdinand VII, la rébellion, partie de la place du Palais, va se propager jusque devant le parc d'artillerie de Monteleón où l'on distribue des armes. Injures proférées contre les gabachos(ou franchutesou mosiús, termes méprisants désignant les Français) , autant que contre les afrancesados (partisans de la France et des réformes démocratiques) ou les protégés de l'ancien ministre Godoy (dont le dramaturge Moratín), passivité de la junte de gouvernement, assignation dans leurs casernes des soldats espagnols, interdits de fraterniser avec la population, rumeur du départ de la reine d'Étrurie (la fille de Charles IV) et de l'infant don Francisco de Paula. Autant d'éléments qui viennent se conjuguer, au lendemain du jour où Murat a été conspué par la foule, pour faire éclater la révolte et, par contrecoup, la répression. Le massacre à coups de canons ou de fusils de la foule désarmée, amassée devant le palais Grimaldi, inaugure, vers dix heures du matin, une fureur qui s'enflamme. Le « vent de folie collective » qui s'est emparé du peuple (la classe aisée, la noblesse, le clergé brillent par leur absence presque totale) va être réprimé par un carnage sans merci de la part des troupes françaises. Dix mille soldats de l'armée impériale sont à l'intérieur de Madrid ; vingt mille aux alentours. Les factieux madrilènes sont innombrables. La guérilla fait couler[...]
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Écrit par
- Bernard SESÉ : professeur émérite des Universités, membre correspondant de la Real Academia Española
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