UN ROI SANS DIVERTISSEMENT, Jean Giono Fiche de lecture
Le poison de l'ennui
À sa parution, Un roi sans divertissement déconcerta les lecteurs. Cette œuvre, dont la construction est complexe, demeure difficile à appréhender. Le narrateur cédant la parole à divers intervenants, on ne sait plus toujours très bien qui parle ni d'ailleurs à quel moment se situe l'action, en raison d'oscillations continuelles entre le xxe siècle, temps du récit, et le xixe siècle, temps de l'action.
L'œuvre est également composite dans son ton et dans son style. Giono voulait que ses chroniques ressemblent à des opéras-bouffes, qu'elles mélangent farce et drame. Passant sans cesse du coq à l'âne, Un roi sans divertissement fait se succéder goguenardise et gravité, débraillé et précieux, tragique et burlesque.
Enfin, le roman cultive l'implicite et le non-dit. Ni le narrateur ni l'auteur ne proposent de commentaire. Langlois lui-même, introverti, mystérieux, ne livre rien de ses pensées. Aussi la clé de l'histoire est-elle à chercher dans la citation de Pascal qui conclut le roman et lui donne son titre : « Un roi sans divertissement est un homme plein de misères. »
Qu'est-ce ici que l'absence de divertissement ? C'est le carcan de l'hiver, le paysage désespérément blanc et gris. Tout le contraire de la messe de Noël, avec l'or de son ciboire et de ses chasubles, de la chasse avec ses tenues d'apparat et ses sonneries de cors, ou encore du sang d'une oie égorgée qui s'égoutte sur la neige.
Tous ces « cérémonials » fascinent Langlois parce qu'ils comblent le vide d'un monde sans substance. Meurtrier à deux reprises, le héros prend peu à peu conscience que l'ennui fait naître chez lui les mêmes pulsions sadiques que chez M.V. C'est pourquoi il veut connaître son épouse et même ses objets familiers, pour saisir sa personnalité. Pour lui aussi, la mort peut être un spectacle divertissant et la souffrance de l'autre un plaisir esthétique. Parce qu'il sent monter en lui ce besoin de cruauté, il met fin à ses jours.
Livre pessimiste, un des plus noirs que Giono ait écrit avec Les Âmes fortes (1950), Un roi sans divertissement, traversé de visions fulgurantes et oniriques, porté par le lyrisme de l'écriture, témoigne d'une extraordinaire puissance d'imagination. Le grand hêtre aux cadavres, la traque du loup dans le val de Chalamont ou la mort de Langlois sont autant de pages qui hantent à jamais la mémoire du lecteur.
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Écrit par
- Philippe DULAC : agrégé de lettres modernes, ancien élève de l'École normale supérieure
Classification
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