UN SIÈCLE DE SCULPTURE ANGLAISE (exposition)
Daniel Abadie, le commissaire de l'exposition présentée à la Galerie nationale du Jeu de Paume en 1996, a opéré une sélection radicale des artistes et des œuvres pour mener à bien un projet ambitieux : montrer au public français un siècle de sculpture anglaise. Dix-neuf artistes furent ainsi retenus, et quatre vingt-six œuvres, dont sept grandes sculptures placées dans le jardin des Tuileries, pour rendre compte des grandes articulations de la sculpture anglaise. Si l'on écarte d'emblée les reproches qui accompagnent ordinairement ce genre d'entreprise, qui comporte inévitablement des lacunes, l'ensemble donnait une vision assez objective de la richesse et de la spécificité de l'art sculptural anglais du xxe siècle, depuis l'œuvre qui ouvrait l'exposition, Rock Drill (1915-1916) de Jacob Epstein (1880-1959), jusqu'à celles de jeunes artistes, nés dans les années 1960 : Cathy de Monchaux, Grenville Davey, Rachel Whiteread ou Damien Hirst. Les différents textes publiés dans le catalogue citaient une cinquantaine de noms, et les notices monographiques comportaient quatre-vingt-quatre entrées. Le catalogue complétait ainsi à merveille ce que les salles n'exposaient pas ; ajoutons que, en plus de ces textes commandés spécialement pour l'exposition des documents d'époque, une brève anthologie de textes critiques, des écrits d'artistes ou des entretiens font de ce catalogue un précieux instrument de travail. Bref, les principales tendances de la sculpture anglaise étaient représentées, malgré l'option drastique de départ, à la fois par le catalogue et par l'exposition.
La modernité fait son entrée dans la sculpture anglaise avec Rock Drill d'Epstein (immigrant américain installé à Londres), un torse en plâtre, moitié être humain, moitié machine, monté sur un marteau piqueur ; l'œuvre originale a été malheureusement détruite par l'artiste et il ne reste qu'une version en bronze, moins puissante. Les années 1930 sont marquées par les œuvres abstraites de Henry Moore, Ben Nicholson et Barbara Hepworth, lesquelles ouvrent la voie à ce qui sera la tendance dominante, jusqu'à nos jours. Moore n'adoptera pas une abstraction aussi radicale que celle de ses deux amis, puisqu'il n'abandonnera jamais la figure humaine. Les années 1950 (époque de l'apparition du pop art en Angleterre) étaient représentées par des collages et des photomontages d'Eduardo Paolozzi – véritable curiosité, car cet artiste est rarement exposé ; il fut le premier à utiliser, autour des années 1947-1950, l'imagerie de la culture de masse qui sera celle du pop américain dix ans plus tard (pin-up, Coca-Cola, Mickey). Ses sculptures, jouant volontairement sur le kitsch par des couleurs criardes et des juxtapositions d'objets hétéroclites rappelant ceux de la vie courante ou les jouets d'enfant, n'ont pas la force de ses collages. Paolozzi fut d'ailleurs influencé par le retour à la couleur en sculpture effectué par Anthony Caro au début des années 1960, ainsi que par le concept d'assemblage, renouvelé par ce dernier au détriment du modelage et de la taille directe.
Ce qu'il convient d'appeler le formalisme de Caro (proche à cette époque des idées du critique américain Clement Greenberg) marque une étape décisive pour les trouvailles des années 1970, véritable pépinière d'artistes d'où jaillissent, entre autres, Tony Cragg, Michael Craig-Martin, Richard Deacon, Barry Flanagan. Avec eux déjà s'effrite ou disparaît même la notion de « sculpture ». Les représentants du Land Art que sont Hamish Fulton et Richard Long font de l'acte de marcher dans la nature un élément constitutif de leur œuvre, laquelle pourrait être résumée par la formule de Fulton « No walk, no work » (« Pas de[...]
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Écrit par
- Jacinto LAGEIRA : professeur en esthétique à l'université de Paris-I-Panthéon-Sorbonne, critique d'art
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