UN SUBLIME XIXe SIÈCLE : LA PEINTURE SOUS LA RESTAURATION ET LA MONARCHIE DE JUILLET (expositions)
Le xixe siècle n'est pas tout entier au musée d'Orsay dont les collections commencent en 1848. Ce xixe siècle est celui de la montée de l'industrie, des trains qui remplacent les canaux, de l'aluminium concurrençant la fonte, des impressionnistes, de l'affaire Dreyfus : c'est le « stupide xixe siècle », pour reprendre le titre de Léon Daudet. Même la librairie du musée d'Orsay, où vous trouverez Baudelaire et Huysmans, se refuse à proposer Balzac, relégué dans les ténèbres antérieures. Comme si l'on pouvait comprendre le réalisme ou le symbolisme en faisant abstraction de l'époque romantique.
Difficile à voir, partagée au Louvre entre les dernières salles de peinture française et les grands formats installés dans les salles Daru, Denon et Mollien, la peinture des années de la Restauration et de la monarchie de Juillet témoigne d'un autre xixe siècle. Une série d'expositions à Paris a permis de mieux voir des tableaux de cette génération oubliée. Le bric-à-brac des châteaux de Hugo, des romances troubadour ou des fantaisies celtiques inspirées d'Ossian nécessite, pour être goûté pleinement, une culture que les commissaires de ces diverses manifestations se sont employé à reconstituer. Du coup, le visiteur pouvait mieux comprendre aussi comment le néo-classicisme de la fin du xviiie siècle portait en lui l'éclectisme qui se déploie dans les années 1820, jusque vers 1850.
Le premier oublié ainsi ressuscité, grâce à une exposition au musée de la Vie romantique – rénové depuis quelques années –, est le plus productif des élèves de David, Georges Rouget (1783-1869). L'exposition (12 sept.-17 déc. 1995) retraçait d'abord l'histoire de sa collaboration avec le maître (catalogue d'Alain Pougetoux, Paris-Musées, 1995). On n'avait jamais compris comment David, exilé à Bruxelles par le gouvernement de Louis XVIII, avait eu la force de peindre une réplique de son immense Couronnement de l'Empereur et de l'Impératrice. Rouget était venu l'aider. Il peint de mémoire, avec une imperceptible nostalgie, cette romanesque collection de portraits stendhaliens, où coexistent un fils d'aubergiste devenu maréchal et bientôt roi, un évêque devenu ministre, où le pape bénit les anciens conventionnels régicides et où l'on reconnaît des altesses qui auraient eu, par leur naissance, quelques chances de vendre des oranges sur les quais d'Ajaccio. Dans des couleurs à la Rubens, avec des costumes dignes d'un drame au Français, David et Rouget inventaient, sans le dire, le romantisme. Rouget, médiocre quand il peint seul, eut de la peine à oublier David, mais il tira de son Sacre le sens historique qui lui permit de peindre Saint Louis, François Ier, Henri IV, et, d'une main vieillissante, en 1853, la jeune impératrice Eugénie.
Ce goût du premier xixe siècle pour l'histoire, on le voyait à l'œuvre, au musée des Beaux-Arts de Nantes (6 déc. 1995-17 mars 1996) puis au Grand Palais à Paris et au Palazzo gotico de Plaisance dans les salles de l'exposition Les Années romantiques. La peinture française de 1815 à 1850 (catalogue établi par Isabelle Julia et Jean Lacambre, avec des contributions remarquables, en particulier, de Jacques Foucart, Georges Brunel, Arlette Sérullaz, RMN, 1995). Des œuvres vouées d'ordinaire aux réserves retrouvaient un public : des noms comme ceux d'Eugène Lepoittevin, Claudius Jacquand ou Guillaume Bodinier – qui valent bien les pompiers, leurs fils, exposés en permanence au musée d'Orsay – sont réapparus sous les yeux, parfois amusés, des visiteurs. La poésie du Peau d'âne de Jean-Antoine Laurent, le tumulte en costume de la Scène de la Saint-Barthélemy de Joseph-Nicolas Robert-Fleury accompagnaient, comme un commentaire, quelques[...]
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Écrit par
- Adrien GOETZ : agrégé de l'Université, ancien élève de l'École normale supérieure, maître de conférences à l'université de Paris-IV-Sorbonne
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