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UN TRAMWAY NOMMÉ DÉSIR, film de Elia Kazan

Regards perdus et t-shirts mouillés

Lorsqu'au début du film elle descend du train, un peu hagarde au beau milieu d'un essaim de jeunes mariées en robes blanches qui s'égaient au milieu des volutes de vapeur, Vivien Leigh semble incarner le produit exact de ses deux plus grands rôles au cinéma, Scarlett O'Hara dans Autant en emporte le vent (Victor Fleming, 1939) et Myra Lester dans La Valse dans l'ombre (Waterloo Bridge, de Mervyn LeRoy, 1940). Comme Scarlett, Blanche est une Southern belle (une dame du sud des États-Unis) à qui la vie n'a pas tout à fait apporté ce qu'elle désirait. Comme Myra lorsqu'elle se prostitue dans Waterloo Station, Blanche porte des robes un peu tapageuses et fait de pauvres sourires. Les beaux yeux écarquillés – une spécialité de Vivien Leigh – ne sont plus, alors, les marques d'étonnement d'une jeune fille devant le spectacle chatoyant du monde qu'elle découvre, mais les marques d'un dépit, sinon d'un dégoût, devant la violence des rapports humains. « Blanche, qui tenait tant à demeurer une lady », disait l'affiche américaine du film...

Quoique à cette époque de sa carrière, Kazan ait déjà la réputation d'un metteur en scène qui entend parler du monde réel et des rapports de classes à travers des œuvres de fiction (ce qu'on appelle aux États-Unis un socially-conscious director), il ne fait pas de Blanche le produit direct d'un monde imparfait, et la préfère manifestement en malade mentale. Des « sons subjectifs », sous forme de mots montés en boucle avec une forte réverbération (technique utilisée deux ans plus tôt par Mankiewicz dans Chaîne conjugales, A Letter to Three Wives), résonnent ainsi dans sa tête. Et comme Norma devenue folle dans Sunset Boulevard (Billy Wilder 1950), il faut lui raconter une jolie histoire pour qu'elle accepte de sortir de sa maison... La déchéance de Blanche a pourtant pour point de départ l'hostilité de la société – on l'a exclue d'un lycée pour être tombée amoureuse d'un élève, nous explique Stanley, et Kazan aurait pu la montrer comme une sorte de Gabrielle Russier avant l'heure (Mourir d'aimer, André Cayatte, 1971)...

En face, Brando fait l'animal. Une savante collection de t-shirts échancrés, mouillés, tachés ou déchirés dévoile sa musculature. Tous les spectateurs du film se souviennent du véritable pas de deux qu'il danse avec Kim Hunter après avoir hurlé « Stella ! » à la lune, lorsqu'elle descend lentement l'escalier et qu'il tombe à ses pieds. Alors les rôles s'inversent doucement et il l'emporte sur son épaule comme un trophée.

— Laurent JULLIER

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Écrit par

  • : professeur à l'université de Paris-III-Sorbonne nouvelle

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Autres références

  • BRANDO MARLON (1924-2004)

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    • 1 646 mots
    • 1 média
    ...hommes (The Men), où Marlon Brando compose le portrait à la fois saisissant et sensible d'un jeune militaire que la guerre a rendu paraplégique. Mais la gloire n'arrive que l'année suivante, avec Un tramway nommé Désir (A Streetcar Named Desire, 1951), porté à l'écran par Elia Kazan,...