UN VIEIL HOMME ET LA TERRE (E. Pisani)
L'agriculture et le développement n'ont cessé d'être, tout au long du parcours politique d'Edgard Pisani, des préoccupations majeures, auxquelles demeure dédié son ouvrage Un vieil homme et la terre. Neuf milliards d'êtres à nourrir, la nature et les sociétés rurales à sauvegarder (Seuil, 2004).
Ministre de l'Agriculture de 1961 à 1966, sous la présidence du général de Gaulle, à une période clé où voient le jour à la fois la politique agricole française (loi d'orientation agricole de 1963) et la politique agricole commune européenne (PAC, signée le 14 janvier 1962), l'auteur a marqué de son empreinte toute la période allant de la Libération au début des années 1990.
Dans son livre, Edgard Pisani assume les responsabilités prises dans la PAC en 1962, en particulier le productivisme qu'on a tant reproché à cette dernière. Il convient toutefois de resituer le contexte de sa mise en œuvre. Après la Seconde Guerre mondiale, la France importait jusqu'à 26 millions de quintaux de céréales et 300 000 tonnes de viande. Un besoin d'autosuffisance alimentaire justifiait dès lors, au niveau français puis européen, l'orientation productiviste choisie. D'ailleurs, en termes de rentabilité, le bilan n'est pas accablant. De 1960 à 2000, la production de maïs a été multipliée par 7 et celle du blé par 3,5, avec une surface agricole utile en diminution et un nombre d'exploitants agricoles passant de plus de 2 millions à 663 milliers. De plus, la France s'est hissée, en 2000, au deuxième rang des exportations mondiales de produits agricoles et alimentaires – certes, au prix de subventions avoisinant 52 p. 100 du revenu agricole ou 12 p. 100 de la production réalisée.
Cela étant, le contexte a profondément changé et, à l'aune des enjeux actuels, l'ancien ministre de l'Agriculture avertit que « cela ne peut pas durer ! ». Dès le début des années 1970, au sein de groupes de réflexions sur l'agriculture (groupe de Seillac, groupe de Bruges), il préconisait de faire évoluer la PAC. La position qu'il défend aujourd'hui est celle d'une refonte complète. Les arguments en faveur d'une telle remise en question sont nombreux.
Tout d'abord, les inégalités entre les exploitations et entre les régions se sont accentuées. 80 p. 100 des aides (proportionnelles au volume de production) vont aux 20 p. 100 des unités de production les mieux placées pour produire le moins cher. Se trouvent donc exclus un grand nombre de produits et avec eux une grande partie du territoire français et européen. Ensuite, l'inquiétude de la société va croissant concernant la sécurité des aliments, les risques liés aux manipulations génétiques, le déclin de la vie rurale, la dégradation de l'environnement. Ce dernier thème aurait d'ailleurs nécessité de plus longs développements, vu l'importance des pollutions liées à l'agriculture. Par ailleurs, le développement rural, qui constituait pourtant l'un des piliers de la PAC est toujours resté très minoritaire, et il aura fallu les accords de Luxembourg de juin 2003 pour que le respect de certaines directives environnementales et de bonnes pratiques agronomiques soit rendu obligatoire par un système d'« écoconditionnalité » des subventions. L'élargissement de l'Union européenne de 15 à 25 membres, évoqué par l'auteur, justifie également à lui seul une profonde refonte de la PAC. Bien abordées dans l'ouvrage, les perspectives agricoles mondiales, avec la nécessité de nourrir près de 9 milliards d'habitants à l'horizon de 2050, soulignent aussi l'enjeu d'une politique agricole pensée à l'échelle planétaire. Pour l'Afrique, qu'il connaît bien, l'auteur préconise une aide au développement de l'agriculture impliquant notamment de protéger la production agricole vis-à-vis de la concurrence internationale ; ce résultat a été partiellement[...]
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Écrit par
- Michel ROBERT : directeur de recherche à l'Institut national de la recherche agronomique, chargé de mission auprès du ministre de l'Écologie, membre de l'Académie d'agriculture de France