UNE AFFAIRE DE FAMILLE (H. Kore-eda)
Variations narratives
Kore-eda, formellement, est un virtuose discret. Il a déclaré, en souriant, que sa principale qualité de cinéaste était « d’avoir toujours eu de la chance avec la météo ». Cette plaisanterie cache un sens profond. Disponibilité de l’artiste, opportunisme lucide, détermination secrète. Sans appuyer aucun effet, Kore-eda modèle l’espace du supermarché ou « père » et « fils » doivent travailler sans être vus des employés. Leur ballet adroit est construit par des cadres et un montage très savant. Déjà, Robert Bresson avait montré comment le pickpocket peut fasciner l’art cinématographique. Kore-eda, dans cette magnifique séance d’ouverture, est fidèle à sa leçon. Parcourant ensuite la minuscule superficie habitée par la tribu, le cinéaste construit les perspectives réduites, l’étroitesse des passages. Il restitue la chaleur humaine et la promiscuité. Comme il examine l’étrange vitrine aveugle derrière laquelle le « client no 4 » examine la go-go girl, ou le logement devenu soudainement plus grand quand on y est assez seuls pour refaire l’amour. Comme il étend enfin l’espace dans la merveilleuse scène de plage mentionnée plus haut. Toutes ces variations spatiales sont aussi des variations narratives. Et on passe de l’éclat de rire, de la légèreté, à la froideur des réalités sociales, du rapport à l’argent exposé sans aucune pudeur à la finesse des bandits sentimentaux liés, comme l’a dit Kore-eda, « par le crime ». Mais des bandits en mesure de nous faire rêver à d’invisibles feux d’artifice. On passe ainsi de la blague rabelaisienne et de la péripétie macabre (volontiers pratiquées toutes deux en son temps par Imamura) à la tristesse de l’enfant brutalisé dans la bouleversante et incertaine conclusion du film. C’est cette variété de ton et de formes qui étonne dans cette œuvre qui paraît aujourd’hui la plus aboutie d’une carrière déjà semée de grandes réussites. Cette variété fait de Kore-eda un artiste complet, humaniste et malin, inventif et délicat, raffiné et libertaire.
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Écrit par
- René MARX : critique de cinéma
Classification
Média