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UNE ÉPOQUE EN RUPTURE. 1750-1830 (W. Hofmann) Fiche de lecture

L'Univers des formes (Gallimard) franchit avec Une époque en rupture une étape capitale. Jusqu'alors cantonnée aux époques anciennes, la collection n'avait en effet jamais dépassé l'orée du xvie siècle. C'est donc un nouveau chapitre qui s'ouvre ici, chronologiquement et méthodologiquement. La peinture et plus généralement les arts graphiques y prennent en effet le pas sur l'architecture et la sculpture quant à la définition de l'évolution stylistique. L'artiste, en tant qu'individu, y joue de surcroît un rôle beaucoup plus considérable, alors qu'il était, le plus souvent, rejeté dans l'anonymat pour les périodes antérieures. Si l'on met à part les volumes, déjà anciens, dirigés par André Chastel et consacrés à la Renaissance, il y a là un changement radical par rapport au reste de la série. Un autre facteur est aussi à prendre en considération : la familiarité plus grande du lecteur avec l'histoire de l'art occidental moderne et contemporain, un lecteur pour lequel David et Delacroix appellent peut-être plus de réminiscences que les chefs-d'œuvre des Scythes ou des Mayas. L'auteur de ce volume devait donc se mesurer à un défi difficile. Il l'a, à une réserve près, brillamment relevé.

Le choix de Werner Hofmann était déjà en lui-même un gage de réussite. Peu connu du grand public français (il a pourtant été le commissaire, à Paris, de deux des principales rétrospectives d'art allemand de ces dernières années, La Peinture allemande à l'époque du romantisme au musée de l'Orangerie en 1976 et Symboles et réalités. La peinture allemande, 1848-1905 en 1984 au Petit Palais), il est considéré comme l'un des meilleurs spécialistes de la fin du xviiie et du début du xixe siècle. Conservateur durant de nombreuses années de la Kunsthalle de Hambourg, il y a organisé, entre 1974 et 1981, une suite d'expositions monographiques, sous le terme générique Kunstum 1800, qui ont fait date par l'ambition et la nouveauté du propos, sensibles dans le choix des thèmes et des artistes retenus : Ossian et les peintres, l'Europe en 1789, Caspar David Friedrich, Johann Heinrich Füssli, William Blake, Johann Tobias Sergel, Philipp Otto Runge, John Flaxmann, Turner et Goya. À cela s'ajoute chez lui une conception de l'histoire de l'art, relativement habituelle en Allemagne et en Italie, mais moins naturelle en France, qui cherche à dépasser la simple érudition dans des textes très écrits où transparaît souvent la réflexion théorique et parfois philosophique. L'audace intellectuelle s'accompagne aussi, chez Werner Hofmann, d'une certaine provocation, comme l'a montré l'exposition qu'il consacra, en 1987, au maniérisme européen : Le Charme de la Méduse (Zauber der Medusa), au Kunsthistorisches Museum, à Vienne. L'hommage que lui a rendu la communauté intellectuelle en 1988, concrétisé dans les mélanges qui lui ont alors été offerts, témoigne de sa diversité d'intérêts et, s'il en était encore besoin, de la position éminente qu'il a acquise au fil des ans. Son travail sur l'art néo-classique et romantique y compte pour beaucoup, puisqu'il a été l'un des protagonistes de l'évolution historiographique qui, depuis vingt-cinq ans, en a profondément bouleversé et renouvelé l'approche, avant de donner l'essai récapitulatif que constitue d'une certaine façon Une époque en rupture, aboutissement personnel autant que synthèse des développements récents de la recherche.

La perspective choisie est ainsi délibérément européenne et polycentrique, même si David et l'art en France sous la Révolution et l'Empire occupent une large place dans le corps de l'ouvrage. La Grande-Bretagne, l'Allemagne et l'Europe du Nord, l'Italie et l'Espagne[...]

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Écrit par

  • : ancien élève de l'École normale supérieure, professeur à l'université de Paris-IV-Sorbonne