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UNE FILLE, QUI DANSE (J. Barnes) Fiche de lecture

Né en 1946 de parents professeurs de français, diplômé d’Oxford, l’écrivain britannique Julian Barnes commence sa carrière comme lexicographe, avant d’être critique de télévision et journaliste littéraire. En 1980, il publie son premier roman, Metroland, qui dépeint avec humour et ironie une éducation sentimentale à l’anglaise. Quatre années plus tard paraît Le Perroquet de Flaubert, un ouvrage insolite qui renouvelle à la fois les modes romanesques et les codes de la biographie. Dans le domaine de la fiction, la production de Barnes alterne les romans de facture classique (Avant moi, Le Soleil en face, Arthur et George) et les ouvrages plus innovants qui oscillent entre réalisme et expérimentation formelle (Une histoire du monde en 10 chapitres ½, Love, etc.). À partir des années 2000, ses œuvres vont prendre une coloration plus nostalgique, intimiste et mélancolique. Les nouvelles du recueil La Table citron (2004) et certaines qui figurent dans Pulsations (2011) traitent des aléas de la maladie, de la vieillesse et de la mort ; l’essai autobiographique Rien à craindre (2008) propose une méditation sur la peur de la mort et la religion. Ouvrage hybride, Levels of Life (2013) retrace, dans sa troisième partie, le lent travail de deuil de l’écrivain après la mort de son épouse. Au fil d’une carrière foisonnante, Julian Barnes a vu quatre de ses romans sélectionnés pour le prestigieux Booker Prize en Grande-Bretagne : Le Perroquet de Flaubert, England, England, Arthur et George et Une fille, qui danse (2011). C’est ce dernier, ouvrage tout en nuances sur les imperfections de la mémoire, qui lui a valu d’être finalement récompensé.

Les failles de la mémoire

Publié en 2011 en Grande-Bretagne, Une fille, qui danse (traduit de l’anglais par Jean-Pierre Aoustin, Mercure de France, 2013) met tout d’abord en scène un groupe de lycéens londoniens dans les années 1960. Rappelant les jeunes héros de Metroland, Tony et ses condisciples manient sarcasme et ironie à la perfection, et admirent tout particulièrement Adrien pour son esprit et sa verve. Tony découvre l’amour et ses frustrations avec Veronica qui, quelques années plus tard, deviendra la compagne d’Adrien avant que celui-ci ne se suicide à l’âge de vingt-deux ans. Le roman fait alors un brusque bond de quarante ans : Tony est à présent à la retraite après avoir mené une existence plutôt terne, rythmée par un mariage, un enfant, un divorce. On l’informe que la mère de Veronica est décédée et qu’elle lui a légué une petite somme d’argent ainsi que le journal intime d’Adrien, dont Veronica peine pourtant à se défaire. Elle lui envoie néanmoins une copie de la lettre pleine de rancœur et de dépit que Tony avait adressée à Adrien après avoir appris leur liaison. Intrigué par les ellipses du journal d’Adrien, mais aussi par les tours que lui joue sa propre mémoire, Tony s’aperçoit que ses souvenirs approximatifs compliquent la lecture du passé.

Si le titre anglais du roman (The Sense of an Ending) pointait du doigt le temps qui passe et la mort qui approche, tout en soulignant la capacité de Julian Barnes à offrir au lecteur une fin percutante et inattendue, le titre français, Une fille, qui danse, est un clin d’œil à un des souvenirs les plus émouvants de Tony : celui de Veronica dansant dans sa chambre d’étudiant. Pourtant, Veronica corrobore très rarement les souvenirs de Tony, et celui-ci doit bien reconnaître qu’il a parfois reconstruit le passé, tout comme il a idéalisé les moments heureux, effacé les actes honteux : « Ce qui reste finalement en mémoire n’est pas toujours ce dont on a été témoin », annonce-t-il dès la première page du roman. Les failles de la mémoire sont un sujet de réflexion récurrent dans l’œuvre de Barnes. L’historien atteint de jalousie rétrospective d’Avant moi, le passionné de l’ermite de Croisset dans[...]

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Écrit par

  • : habilitée à diriger des recherches en études anglophones, professeure des Universités à l'École normale supérieure de Lyon

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