UNE HISTOIRE SYMBOLIQUE DU MOYEN ÂGE OCCIDENTAL (M. Pastoureau)
À l'heure où les disciplines tendent à se fragmenter dans un processus de spécialisation, l'historien Michel Pastoureau fait partie de ces irréductibles chercheurs pour lesquels un phénomène ne peut se comprendre qu'à travers ses multiples relations à un système. Depuis une trentaine d'années, les recherches de ce chartiste – aujourd'hui directeur d'études à l'École pratique des hautes études et à l'École des hautes études en sciences sociales, auteur d'un Traité d'héraldique dès 1979, de L'Étoffe du diable. Une histoire des rayures et des tissus rayés en 1991 et, en 2000, de Bleu. Histoire d'une couleur, devenu un best-seller – ont démontré la nécessité de décloisonner des domaines mal considérés (exemple la sigillographie), pour construire une véritable anthropologie historique. Elles ont ainsi permis de mettre en évidence les structures fondamentales des codes et des symboles produits par les sociétés médiévales. Une histoire symbolique du Moyen Âge occidental (coll. La Bibliothèque du xxie siècle, Seuil, Paris, 2004), qui reformule dix-sept articles parus entre 1976 et 2003, en fournit un échantillonnage significatif.
L'ouvrage s'organise en six sections. Les deux premières, consacrées aux mondes animal et végétal, se concentrent sur divers dossiers qui, en dépit de leur caractère apparemment anecdotique, révèlent d'importants enjeux. Ainsi les procès intentés aux animaux, dont le curieux rituel semble destiné à représenter une justice exemplaire, nous renseignent sur le statut de l'animal et son rapport à l'homme. La promotion symbolique du lion et du cerf, au détriment de l'ours et du sanglier diabolisés, trahit les stratégies de l'Église entre le viiie et le xiie siècles, pour réprimer certains cultes païens de l'Europe septentrionale ou canaliser la pratique de la chasse, dans un Moyen Âge qui conjugue trois traditions : biblique, gréco-romaine et « barbare ». C'est ce même triple héritage qui détermine la valeur symbolique des diverses essences de bois, dont le caractère vivant et la charge positive ou négative conditionnent les modes d'utilisation et la perception par ses utilisateurs. Enfin, l'adoption progressive du lys par le roi de France, entre la première moitié du xiie et le début du xiiie siècle, doit être mise en relation avec le succès croissant que rencontre le culte marial dans la monarchie française.
Le lys royal fait la transition avec les deux sections suivantes, dévolues à la couleur et à l'emblème. Comment le Moyen Âge perçoit-il les couleurs ? L'enquête est menée dans divers domaines, notamment ceux du vêtement (dont l'importance comme code social attire l'attention sur la profession réprouvée du teinturier), et de l'héraldique. Celle-ci, qui naît de la nécessité de produire un emblème correspondant à un individu, à une famille ou à une dynastie, avant que n'apparaissent les emblèmes de nations ou d'États, et nos drapeaux modernes, se met progressivement en place au cours du xiie siècle, avec une codification rigoureuse des couleurs. Elle contribue ainsi largement à façonner la sensibilité chromatique de l'Occident, notamment dans l'association de six couleurs de base réparties en deux groupes, la juxtaposition ne pouvant se faire au sein d'un même ensemble : d'un côté, le blanc et le jaune ; de l'autre, le rouge, le bleu, le noir et le vert. À partir de 1200 environ, certaines associations régressent, comme le jaune et le rouge, dont les aspects négatifs génèrent la couleur la plus dévalorisée du système, le roux, utilisé notamment dans la représentation de personnages tels que Judas. D'autres progressent, comme le blanc et le bleu, lequel devient, au cours du xiiie siècle, la couleur la[...]
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Écrit par
- Frédéric ELSIG : docteur ès lettres, maître assistant en histoire de l'art médiéval à l'université de Genève (Suisse)
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