UNE IMAGE PEUT EN CACHER UNE AUTRE (exposition)
En introduction à l'expositionUne image peut en cacher une autre, organisée par Jean-Hubert Martin, assisté de Dario Gamboni (Galeries nationales du Grand Palais, Paris, 6 avril-10 juillet 2009), figure une œuvre intitulée Canard-Lapin. Paru en 1892 à Munich, ce dessin incite à une double lecture : si vous voyez un bec, c'est un canard, si vous voyez des oreilles, c'est un lapin. Il fut reproduit par le psychologue américain Joseph Jastrow pour démontrer que la perception visuelle n'est pas seulement une affaire de rétine, mais engage également « l'œil de l'esprit ». Un lapin à nouveau vient clore l'exposition lorsque Markus Raetz métamorphose la silhouette de Joseph Beuys en lièvre, animal fétiche de l'artiste. Dans l'un et l'autre cas, il s'agit bien d'une « double image, écrit Jean-Hubert Martin, caractérisée par une même forme, volontairement ambivalente qui offre plusieurs interprétations visuelles ». En s'efforçant de troubler nos habitudes de lecture, la manifestation entend solliciter, « un public lassé de se voir asséné un historicisme de plus en plus pesant, comme si l'œuvre ne trouvait sa valeur que dans son histoire ».
Pour ce faire, les commissaires proposent aux visiteurs un cheminement à travers deux cent cinquante œuvres de toutes périodes et de toutes cultures. Le regard est alors invité à se déterminer entre « visible et invisible, perception et imagination ». Images cachées, images doubles, images réversibles, images composites, anamorphoses ou paysages anthropomorphes sont, en effet, au cœur du propos de nombreux artistes qui les utilisent, en toute conscience, pour délivrer un message qui peut être d'ordre moral, symbolique, religieux, politique ou sexuel. À cela s'ajoutent ces phénomènes de la nature que sont les coraux et les racines, ou encore ces pierres imagées qui inspirèrent Roger Caillois.
C'est à Jurgis Baltrušaitis que l'on doit d'avoir réhabilité bon nombre de procédés marginalisés ici considérés, dont les anamorphoses. Ainsi, regardée frontalement, l'œuvre réalisée en 1525 par Erhard Schön s'apparente à un paysage abstrait, tandis que si on se place sur le côté, on découvre les portraits de Charles Quint, Ferdinand Ier, le pape Paul III et François Ier qui, en termes symboliques, sont les personnages clés des conflits autour du Saint Empire romain germanique. Salvador Dalí, qui a également pratiqué l'anamorphose, a fait de la double image l'outil principal de sa méthode paranoïaque-critique, qui apparaît, écrit-il « si l'on regarde pendant quelque temps avec un léger recul et une certaine fixité distraite ». Ainsi dans L'Énigme sans fin (1938), où six scènes différentes apparaissent ou disparaissent selon la focalisation du regard. Dalí ne fut pas le seul parmi les surréalistes à s'approprier le procédé de la double image. Citons notamment L'Europe après la pluie (1942) de Max Ernst, Viol (1934) de Magritte ou Le Rébus (1938) de Man Ray.
À travers l'ensemble des œuvres rassemblées par les auteurs, l'exposition propose une véritable histoire mondiale de la double image. Ainsi une figure de la population Baga (Guinée), qui offre plusieurs niveaux de lecture : une tête humaine, une tête de pélican ou un objet rituel, voisine avec La Vénus des Milandes, datée du paléolithique supérieur et qui réunit dans un même corps deux entités, féminine et masculine. Celle-ci semble trouver un écho dans la sculpture de Constantin Brancusi, La Princesse X (1957), dont la forme associe un phallus et un portrait féminin. Même si l'image composite remonte à la nuit des temps, c'est à la Renaissance que les artistes vont recourir à elle de manière récurrente. Dans le tableau de Mantegna, Minerve chassant les Vices du jardin[...]
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Écrit par
- Gérard STREIFF : journaliste, écrivain
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