UNE MAISON POUR Mr BISWAS, V. S. Naipaul Fiche de lecture
Dès sa jeunesse, V. S. Naipaul (1932-2018) rêvait de voir son milieu d'origine, la Trinidad de la diaspora indienne, représenté en littérature car, selon lui, « la fiction sanctifie son propre sujet ». Il y parvient brillamment dans la série de textes brefs intitulés Miguel Street (1959). Le roman Une maison pour Mr Biswas (A House for Mr Biswas) va lui permettre de réaliser l'ambition frustrée de son père, devenir un écrivain consacré par la critique métropolitaine, puis se voir anobli par la Reine. C'est d'ailleurs grâce au fils que les nouvelles écrites par Seepersad, le père, seront publiées, malheureusement après sa mort, sous le titre The Adventures of Gurudeva and Other Stories (1976).
Les ambitions impossibles
Le protagoniste d'Une maison pour Mr Biswas échappe à la pauvreté de ses origines lorsqu'il épouse malgré lui la fille d'une riche propriétaire indienne trinidadienne qui impose à sa famille une soumission sans faille. Tour à tour en révolte contre cette servitude et heureux de s'y réfugier en cas de nécessité, Mr Biswas finit par décrocher un emploi de journaliste dans la gazette locale.
Dès le prologue, on apprend qu'il meurt, à quarante-six ans, d'une crise cardiaque ; il laisse sans ressources sa femme et ses quatre enfants. Biswas venait juste de réaliser son rêve, posséder sa propre maison. Mais l'acquisition de cet édifice, mal conçu et peu confortable, l'avait plongé dans un endettement désastreux.
Ce personnage, voué à une existence médiocre et pourtant hanté par des rêves de grandeur, a souvent été perçu comme une allégorie de la situation coloniale aux Antilles. Biswas, qui lutte pour donner sens à son existence dans un univers absurde, n'a pourtant rien d'un héros épique. Ses seuls espoirs demeurent l'éducation de son fils et la création imaginaire. Artiste à sa manière, il devient peintre d'enseignes avant d'oser appréhender le monde à travers l'écriture. À ses débuts dans le journalisme, il rédige des chroniques sur les personnes les plus surprenantes ou les plus monstrueuses. Dans ce milieu étriqué, l'excentricité tend à remplacer l'ambition, l'imitation tient lieu d'originalité.
Mr Biswas singe les modèles empruntés à la « mère patrie ». La recherche de l'authenticité vise aussi à retrouver les schémas culturels de l'Inde traditionnelle. Malheureusement l'émigration a creusé un fossé entre l'Amérique et l'Asie. L'hindouisme est désormais mâtiné de christianisme, et la religion se réduit à des rituels qui confinent à la superstition. Sous le regard d'un auteur épris de pureté brahmanique, ces tentatives semblent autant d'assemblages hétéroclites et aliénants.
Seule la volonté d'indépendance et de promotion sociale qui anime Mr Biswas résiste au jugement sévère du narrateur. Les efforts désespérés qu'il déploie pour échapper à sa condition subalterne sont régulièrement réduits à néant par son entourage ou par le mauvais sort qui s'acharne sur lui. Cet anti-héros prisonnier d'un monde trop étroit pour ses ambitions n'en demeure pas moins attachant, tant il persiste à créer malgré les obstacles. Le point de vue narratif incite d'ailleurs le lecteur à s'identifier à ce personnage que l'on peut apparenter aux tricksters, figures classiques du décepteur, que l'on trouve surtout dans les cultures dominées ou minoritaires.
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Écrit par
- Jean-Pierre DURIX : professeur émérite, université de Bourgogne, Dijon
Classification
Autres références
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NAIPAUL VIDIADHAR SURAJPRASAD (1932-2018)
- Écrit par Jean-Pierre DURIX
- 1 936 mots
- 1 média
A House for Mr. Biswas (1961,Une maison pour M. Biswas) est souvent considéré comme une œuvre allégorique de la situation de l'Antillais pauvre qui, à force de persévérance et de chance, parvient à « bâtir sa propre maison ». Avec ses rêves de grandeur, Mohun Biswas se trouve pris au piège d'une...