UNE ODYSSÉE (D. Mendelsohn) Fiche de lecture
La quête du fils, le retour du père
Si la structure des deux livres est identique, les durées évoquées dans chaque partie ne sont pas les mêmes. D’abord des années, puis quelques mois, enfin une journée. Ce souci de la construction est constant et renvoie à l’œuvre d’Homère. À travers quelques mots-clés (« Éducation », « Aventures », « Retour », « Reconnaissance », « Signe »), la table des matières rappelle ce qui constitue L’Odyssée et oriente notre lecture, voire la désoriente : nous lisons cette épopée comme l’histoire d’un héros voulant retrouver son épouse ; Daniel Mendelsohn met l’accent sur la Télémachie, les quatre chapitres qui ouvrent l’œuvre d’Homère et relatent la quête du fils, d’un lieu à l’autre. Quête qui pose aussi l’une des questions essentielles du récit : « Pour un garçon qui n’a jamais connu son père, qu’est-ce qui est le plus dur ? Vivre sans père, ou bien le rencontrer à vingt ans et devoir apprendre à le connaître ? » Ce dernier verbe est au cœur de l’œuvre, mais aussi de toute existence, hier comme aujourd’hui. L’identité est en effet chose fragile, incertaine, que révèle une autre question : « Quelle est la différence entre ce que nous sommes et ce que les autres savent de nous ? » L’Odyssée est l’histoire d’un héros légendaire dont on parle souvent sans le voir, ou qu’on voit sans savoir qui il est. Et, quand il parle, comme Ulysse le fait à la cour d’Alcinoos, nul ne sait si ce qu’il raconte est véridique ou inventé. Le héros est celui qui a vécu des épreuves, pas forcément un être invincible et parfait. Mendelsohn oppose ainsi Achille et Ulysse, le premier mort très jeune après avoir connu la gloire au combat, le second devenu un héros de la survie. Des catégories qui restent valables à ce jour.
Le livre s’ouvre et se clôt sur l’histoire d’un lit, fabriqué par ce père ingénieux, économe par goût autant que par nécessité. Or le dernier épisode des reconnaissances est là encore l’histoire d’un lit fabriqué par Ulysse. Cette construction circulaire, essentielle, va de pair avec un certain usage des digressions. Ulysse est surnommé le polytropos, l’homme aux mille tours. On peut l’entendre au sens de « rusé », « habile », voire « fourbe », pour reprendre l’adjectif que lui applique Dante. Mais on comprendra aussi que le détour, dans le récit, n’est jamais gratuit ni innocent : il crée l’attente, mais permet aussi d’atteindre des vérités cachées, de comprendre ce que les plis recèlent. Comme pour Ulysse, dont le nom signifie « homme de douleur », les plis dans la vie de Jay Mendelsohn sont plus nombreux qu’il ne le laisse paraître. La lecture que propose Mendelsohn met en valeur la complexité de l’existence, les origines sombres du héros, contre la simplification dont nous sommes souvent victimes, en prisonniers des images et de la « fausse parole ». Les classiques ont connu ces méfaits. Leurs œuvres conduisent constamment à s’interroger sur le vrai et le faux.
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Écrit par
- Norbert CZARNY : professeur agrégé de lettres modernes
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