UNE TÉNÉBREUSE AFFAIRE, Honoré de Balzac Fiche de lecture
Paru en feuilleton dans Le Commerce en 1841, puis en volume en 1843, Une ténébreuse affaire s'inspire d'un fait réel qui avait défrayé la chronique quarante ans plus tôt. Dans La Comédie humaine, le roman s'inscrit parmi les « Scènes de la vie politique ».
En septembre 1800, le comte Clément de Ris, sénateur, est enlevé dans son château par une bande de brigands. Ceux-ci, après avoir pillé sa demeure, le retiennent prisonnier dans un souterrain, avant de le relâcher subitement. Indigné, Bonaparte, alors Premier consul, exige du ministre de la Police que les coupables soient promptement découverts et châtiés. Fouché fait arrêter cinq personnes, dont deux gentilshommes normands, anciens chouans, qui ne sont pour rien dans l'affaire, mais qui, traduits devant un tribunal spécial, se voient condamnés à mort et exécutés.
Honoré de Balzac (1799-1850) possédait sur cet épisode des renseignements de première main, corroborés depuis par les historiens, et tendant à montrer qu'il s'était agi d'un stratagème inventé par Fouché. Avec Clément de Ris, il aurait comploté contre Bonaparte, mis en difficulté lors de la seconde campagne d'Italie. La victoire de Marengo (14 juin 1800) ayant conforté le pouvoir de celui-ci, il se serait alors empressé de faire détruire les documents compromettants détenus par son complice. L'enlèvement n'aurait été qu'un simulacre et les condamnés à mort de parfaits innocents.
Une telle histoire était idéalement faite pour Balzac, passionné par les intrigues policières et les sombres machinations qui constituent « l'envers de l'histoire contemporaine ». Mais, loin d'en faire le compte rendu rigoureux, il la transpose et lui invente des ressorts humains et psychologiques. Il fait ainsi précéder l'épisode de l'enlèvement d'un chapitre initial de pure fiction, lui permettant de donner à ses acteurs une solide existence romanesque. « L'auteur, écrit-il dans la Préface de l'ouvrage, a changé les lieux, changé les intérêts, tout en conservant le point de départ politique ; il a enfin rendu, littérairement parlant, l'impossible, vrai. »
La machination
L'action débute en 1803, dans le département de l'Aube, où la noblesse a payé un lourd tribut à la Révolution. Les Simeuse, notamment, ont péri sur l'échafaud, à l'exception de deux frères jumeaux qui ont pu fuir la France. Durant leur exil, ils reçoivent l'aide de leur cousine, Laurence de Cinq-Cygne, qui, restée au pays, continue de servir avec une farouche énergie la cause monarchiste.
Le conseiller d'État Malin, un roturier qui a fait fortune avec les biens nationaux et obtenu les faveurs de Bonaparte, est venu dans la région pour racheter le domaine de Gondreville, jadis propriété des Simeuse. Fouché, qui surveille ses agissements, l'a fait suivre par deux membres de sa police, Corentin et Peyrade. Il est également espionné par Michu, qui passe pour un révolutionnaire fanatique, mais n'a cessé de servir en secret les intérêts des Simeuse, dont il fut l'intendant. Celui-ci apprend que les jumeaux, qui regagnent la France, vont y être arrêtés pour avoir trempé dans un complot contre Bonaparte. Il alerte Laurence et l'aide à mettre ses cousins en lieu sûr. La police abandonne ses recherches, mais Corentin n'a pas dit son dernier mot.
Radiés de la liste des émigrés, les Simeuse reprennent une vie normale. Ils s'éprennent de Laurence qui, amoureuse elle aussi, ne sait lequel d'entre eux choisir. Mais le danger n'a pas disparu. Une nuit qu'ils sont allés dans la forêt déterrer l'argent que Michu avait caché pour eux, Malin, devenu comte de Gondreville, est enlevé par des hommes masqués. L'un d'entre eux ressemblait étrangement à Michu et les fers de leurs chevaux portaient la marque des Simeuse.[...]
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Écrit par
- Philippe DULAC : agrégé de lettres modernes, ancien élève de l'École normale supérieure
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