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UNE TÉNÉBREUSE AFFAIRE, Honoré de Balzac Fiche de lecture

Un « roman policier »

Balzac prit manifestement plaisir à la rédaction de ce récit qui lui permettait, de par ses décors et son rythme de cape et d'épée, de renouer avec la veine romantique de ses romans de jeunesse, en particulier Les Chouans, qui mettait déjà Corentin aux prises avec une adversaire aussi belle qu'héroïque. « La Ténébreuse affaire fait un grand chemin, écrit-il à Madame Hanska. Mais aussi c'est une œuvre très forte, vraie comme événement, et vraie comme détail. »

En fait, en raison de ses excès et de ses nombreuses invraisemblances, les critiques accueillirent plutôt mal l'ouvrage et l'un d'eux le qualifia de roman policier. Cette expression, qui se voulait méprisante, résume précisément le projet de l'auteur : « peindre la police politique aux prises avec la vie privée et son horrible action ». Une ténébreuse affaire est sans doute le premier roman à mettre en scène ce pouvoir nouveau, né dans une France troublée, en proie à de multiples luttes de pouvoir. « On y aperçoit bien, écrit Roger Caillois, l'espèce de désarroi que jette dans les mœurs cette innovation diabolique – la police invisible – et le parfum d'étrangeté, le monde de méfiance et d'insécurité qu'elle apporte. »

Il se peut que Balzac, toujours enclin à voir des forces occultes à l'œuvre, ait un peu exagéré l'ampleur de ce phénomène, et les historiens reconnaissent que le mythe auquel Fouché a donné naissance lui doit beaucoup. Mais il l'enracine avec brio dans quarante ans de passions françaises. Commencé sous la Terreur, le roman s'achève sous Louis-Philippe, lorsqu'au cours d'une soirée, de Marsay, président du Conseil, révèle aux convives le fin mot de l'affaire.

Par-delà le triste destin des Simeuse, la grande Histoire s'invite dans le récit et ses plus hautes figures côtoient les êtres de fiction. Fouché, l'instigateur de la machination. Talleyrand, à qui Laurence vient demander appui : « Ne savez-vous donc pas, Monseigneur, qui nous a si bien entortillés ? ». Napoléon enfin, autour de qui tout le drame se noue. Celui-ci apparaît souvent dans La Comédie humaine, mais jamais comme ici, sur le champ de bataille, ce qui permet à Balzac de rivaliser enfin avec Stendhal et sa Chartreuse de Parme (1839).

On sent l'auteur heureux de convoquer ces grands hommes et de se mesurer à eux : n'est-il pas lui aussi, en tant que romancier omniscient et omnipotent, un véritable deus ex machina ? En tout cas, Une ténébreuse affaire aura bien des échos dans son œuvre. Le Député d'Arcis mettra en scène Laurence et le fils de Michu. Quant à Corentin, il livrera bataille, dans Splendeurs et misères des courtisanes, au redoutable Vautrin.

— Philippe DULAC

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Écrit par

  • : agrégé de lettres modernes, ancien élève de l'École normale supérieure

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