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UNIVERSAUX, linguistique

Comment se construit une langue

L'idée de rechercher des universaux de nature formelle ou fonctionnelle, plutôt que substantielle, est actuellement assez largement partagée par les linguistes. Jamais en effet de véritables universaux de substance communs à toutes les langues n'ont pu être dégagés, ni en matière de vocabulaire, ni en matière de grammaire. Les contenus lexicaux sont éminemment variables d'une langue à l'autre. Pour n'en prendre que quelques exemples parmi bien d'autres : l'anglais distingue les deux termes sheep et mutton, là où le français ne connaît que le mot « mouton » ; à l'inverse, le français est une des rares langues à faire une différence entre le « fleuve » et la « rivière ». Dans le même ordre d'idées, l'un des exemples favoris des ethnolinguistes pour illustrer la non-coïncidence lexicale et sémantique entre les langues est celui du spectre des couleurs, que les langues découpent de façon fort variable : le français considère le « bleu » et le « vert » comme deux couleurs distinctes, alors que les langues celtiques n'ont qu'un seul terme – glas – pour désigner indistinctement cette zone du spectre. La variation lexicale procède souvent de déterminations d'ordre socio-culturel : on s'explique aisément que le français puisse se contenter du seul terme générique de « riz », alors que dans la langue swahili, parlée dans une région d'Afrique où le riz constitue l'une des principales cultures et un aliment de base, il est décisif de pouvoir catégoriser les types de riz au niveau même des désignations nominales (mpunga : riz sur pieds ; mchele : riz récolté et décortiqué ; wali : riz cuit). Quant aux contenus grammaticaux, ils apparaissent eux aussi variables : certaines langues n'ont pas d'adjectifs, d'autres n'ont pas de relatives. L'idée même que toutes les langues auraient des noms et des verbes est sujette à caution, et une notion comme celle de sujet se révèle litigieuse dans certaines langues, telles le chinois ou le birman. Autant reconnaître, à la suite de Gilbert Lazard et des typologues qu'« il n'existe pas de catégories translinguistiques, [car] les catégories sont spécifiques aux langues ». C'est donc au niveau plus abstrait des processus mêmes de construction des catégories grammaticales qu'il convient de rechercher l'invariance entre les langues.

La recherche des invariants

Ce sont en effet les travaux des typologues qui ont conduit le plus loin la recherche d'universaux inscrits dans le fonctionnement même des langues, sans pour autant réduire la part de l'irréductible diversité des systèmes. Contrairement à la grammaire générative chomskienne, qui entend construire de façon déductive un modèle explicatif d'universaux grammaticaux, l'approche des typologues cherche à élaborer, de façon inductive et sur la base de l'observation et de la comparaison d'un échantillon de langues le plus large possible, certaines généralisations reflétant des comportements identiques qui se retrouveraient entre des langues non apparentées génétiquement. Plutôt que d'universaux, c'est d'« invariants » interlangues que les typologues préfèrent parler ; ces invariants révèlent des tendances, c'est-à-dire des échelles de préférences statistiquement attestées dans les langues et – contrairement aux universaux absolus postulés par Chomsky – sont susceptibles de connaître des exceptions.

Joseph Greenberg (1915-2001) a joué ici un rôle de pionnier, en proposant, dès les années 1960, l'idée qu'il existerait, s'agissant de l'ordre des mots dans la phrase, des « invariants implicationnels » entre les langues, définis comme des solidarités entre deux propriétés. Illustratives de tels invariants seraient,[...]

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