UNIVERSITÉ
Université et politique du savoir
L'Université n'est pas faite pour qu'une classe privilégiée se reproduise indéfiniment. Elle n'est pas faite non plus pour que le pouvoir des amphithéâtres se joigne au pouvoir de la rue contre le pouvoir des élus (mais la révolte étudiante est toujours le signe d'une crise plus générale, qu'elle exprime et qu'elle attise, sans la créer). Ni bastille de caste ni foyer d'insurrection, l'Université est faite pour l'élaboration critique du savoir, pour la transmission méthodique du savoir, pour la remise en question perpétuelle du savoir.
L'Université en France, l'une des plus libérales qui soient au monde, a failli périr non de son libéralisme mais de son archaïsme. C'est curieusement dans le domaine du savoir, de la conception et de l'organisation du savoir, non dans le domaine du prestige et de l'autorité, qu'elle a faibli, qu'elle aurait pu être emportée. Les contradictions de notre société se sont réfléchies en elle, s'y sont exacerbées, mais elle n'était nullement prête pour les résoudre.
Le vrai est qu'elle était désadaptée (et qu'elle n'est pas encore réadaptée). Insensiblement, elle avait décollé et du processus de production réelle de la science et du processus de diffusion réelle des connaissances.
Production de la science
Depuis des années, la production réelle de la science ne passe plus par la division des lettres et des sciences, ni même par la distinction des sciences humaines et des sciences exactes ou naturelles (maints épistémologues observent qu'un même « patron » logique tend à s'imposer pour les unes et pour les autres).
Surtout, ce qu'on appelle « culture générale » n'est plus qu'une culture résiduelle, à l'heure où l'essor des sciences et des techniques change le visage de l'homme et substitue au monde de la perception un monde du calcul (et des applications du calcul).
Enfin, par l'effet d'une spécialisation croissante, les tâches d'initiation et d'enseignement se laissent de plus en plus distancer par les tâches de recherche et d'approfondissement. D'où une triple nécessité : en premier lieu, articuler autrement les disciplines, ce qu'on a commencé à faire après 1968. En deuxième lieu, forger pour un nouveau type de savoir un nouveau type de sagesse : les notions d'université critique, de savoir critique postulent que les praticiens de la science soient aussi ses théoriciens et que ses théoriciens deviennent ses juges ; une philosophie de la vie personnelle et sociale est à réinventer, à partir de chaque science, de chaque branche ou de chaque forme du savoir. Enfin, redéfinir le rapport de deux fonctions distinctes : celle d' enseignant et celle de chercheur ; il est d'excellents pédagogues qui ne cherchent rien, pas même en pédagogie, et il est des chercheurs qui sont de mauvais pédagogues ; en admettant qu'un chercheur ait intérêt à enseigner, ne serait-ce que pour clarifier ce qu'il sait, il n'est pas sûr que chercher et enseigner doivent se faire dans le même temps : les deux tâches pourraient alterner au cours d'une même carrière.
Pratiquement toutes les sciences, mais aussi toutes les techniques, tous les arts et métiers et chacun des beaux-arts sont mûrs aujourd'hui pour une intégration à l'enseignement supérieur. Il devrait donc y avoir des universités de tout, et ces universités pourraient toutes être professionnelles (problème des débouchés) pourvu qu'aucune ne soit que professionnelle (chacune ayant à inclure son supplément critique et son secteur de pointe).
La difficulté est de faire voisiner dans une même université un conservatoire culturel (héritages du passé, sciences cumulatives et documentaires), des écoles d'apprentissage[...]
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Écrit par
- Henry DUMÉRY : professeur de philosophie à l'université de Paris-X-Nanterre
- Pascale GRUSON : attachée de recherche au C.N.R.S.
- René RÉMOND : président de la Fondation nationale des sciences politiques
- Alain TOURAINE : directeur d'études à l'Ecole des hautes études en sciences sociales (E.H.E.S.S.).
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