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URANUS, Marcel Aymé Fiche de lecture

Une comédie noire

En évoquant, dès 1948, la France de la Libération et de l'épuration, Marcel Aymé abordait un sujet sensible, sinon tabou, et beaucoup pensaient que l'ouvrage ferait scandale. Le but de l'auteur, toutefois, n'est pas de prendre parti et de montrer du doigt les « bons » et les « mauvais » Français. Sa répugnance à l'égard de tout manichéisme ne l'incite pas à rédiger une œuvre qui aurait des allures de pamphlet. Son récit évite même de mettre en place un narrateur ou un personnage principal qui, de témoin de l'histoire, s'érigerait en juge de celle-ci. Fondé sur une juxtaposition de saynètes qui font se succéder rapidement les protagonistes, c'est du côté du théâtre que regarde ce roman qui a son unité de lieu, la ville de Blémont, et d'action, la recherche du collaborateur.

Dans ce théâtre prédominent les personnages « bouffe », telle la famille Archambaud, qui suffirait à elle seule à la distribution d'un vaudeville : Marie-Anne, jeune première favorisant les marivaudages ; sa mère, qui tente de séduire Loin ; son père, notable proférant des sentences plaisamment amorales : « Il faut absolument éviter d'avoir des enfants ; ça coûte cher, c'est un embarras. » À leurs côtés, Wattrin, béat d'optimisme et d'amour du monde depuis qu'il a miraculeusement réchappé à un bombardement qui l'a surpris dans son lit au moment où il lisait une description d'Uranus. Il vit chaque nuit dans le cauchemar de l'astre noir et se réveille dans l'adoration de la vie. Enfin, il y a Léopold, l'ancien lutteur « avec une énorme tête chauve, écarlate et comme tuméfiée par l'alcool » qui, à force d'écouter les cours de français donnés dans son café s'est pris de passion pour Racine et écrit la suite d'Andromaque.

À ce premier groupe se mêlent des figures plus strictement modelées par les avatars de l'histoire : Monglat, le trafiquant, qui ne sait que faire de sa fortune honteuse et hurle sa haine du genre humain ; Loin, le « collabo », jeune homme chétif et mou, venu au fascisme afin d'affirmer son identité ; Jourdan, le communiste, intellectuel bourgeois qui ne voit dans le marxisme qu'une théorie glacée et ne comprend pas ses camarades ouvriers qui ont du poil aux bras : « Rien de plus dangereux chez le travailleur français, songeait-il, que ce sens de l'humour et du pittoresque qui vient affaiblir les réactions normales de la conscience de classe. »

À travers l'analyse de ces personnages, Aymé ne cherche pas à dessiner des portraits-charges. Restant dans la demi-teinte, le roman ne met pas en avant des héros impeccables ou des « salauds » absolus. Mais la compréhension, voire l'indulgence, qu'il manifeste envers les individus ne s'exerce pas à l'égard du collectif. En contrepoint d'un récit le plus souvent drolatique, les épisodes chargés de cruauté et de violence, comme le lynchage de Laignel ou l'assassinat de Léopold, viennent souligner la lâcheté, l'hystérie ou l'hypocrisie qui ont marqué, à un moment donné, l'histoire d'un peuple. Chronique mi-amère, mi-amusée des années sombres, Uranus justifie à elle seule la formule de Roger Nimier : « C'est le pessimisme de La Rochefoucauld dans l'univers velu et rapiécé de Dubout. »

Après l'avoir rédigée, l'auteur resta douze ans sans écrire de roman.

Uranus a été adapté au cinéma par Claude Berri en 1990.

— Philippe DULAC

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Écrit par

  • : agrégé de lettres modernes, ancien élève de l'École normale supérieure

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Autres références

  • AYMÉ MARCEL (1902-1967)

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    ...allemande, le sourire de Marcel Aymé se crispa : il découvrit, non pas que les « salauds » existent (il le savait certainement déjà), mais qu'il fallait tout de même en parler. Uranus et Le Chemin des écoliers présentent une vision beaucoup plus noire, cruelle et désespérée de l'espèce humaine.