URBANISATION DANS LE MONDE GRÉCO-ROMAIN
La civilisation gréco-romaine est partout présente aux yeux du voyageur qui parcourt aujourd'hui les rives de la Méditerranée et le Proche-Orient, grâce aux ruines majestueuses des villes antiques. Leur décor monumental manifeste une unité étonnante – le théâtre qui ressemble le plus à celui d'Orange (Vaucluse) se trouve à Bosra (Syrie) – et remonte largement à ce qu'on appelait naguère l'« âge d'or » de l'Empire romain, les deux premiers siècles après J.-C. Mais la grande période de dissémination du modèle urbain classique commence quatre siècles plus tôt, grâce à la conquête d'Alexandre à l'est (336-323 av. J.-C.) et à l'expansion de Rome qui fonde ses premières colonies vers la même époque. Et ce modèle a régné en Occident au moins jusqu'à l'effondrement de l'Empire romain (au cours du ve siècle apr. J.-C.) ; en Orient, le dernier grand bâtisseur dans la tradition antique fut Justinien (527-565).
Il ne s'agit pas seulement d'urbanisme, mais aussi d'organisation politique : en effet, toute ville bâtie aspirait au statut de cité, polis, entité « libre et autonome », qui offrait alors le cadre idéal pour une vie civilisée. Villes ou cités possédaient un territoire rural, nourrissant le chef-lieu, uni à lui par de forts liens économiques et administratifs ainsi que par le culte des mêmes divinités protectrices, célébrées lors des mêmes fêtes. La cité forme aussi, et ce n'est pas le moindre de ses aspects, une communauté religieuse, plus conviviale que mystique.
Ici comme dans toutes les sciences de l'Antiquité, les lacunes de la documentation imposent de s'appuyer sans cesse sur des exemples précis, qui seront pris pour l'essentiel dans l'Orient hellénisé, Asie Mineure et Syrie. Ce vaste Orient, qui s'étend de la mer Égée aux rives de l'Indus et aux grands fleuves d'Asie Centrale, a connu, après le passage d'Alexandre, un double mouvement très rapide d'urbanisation et d'hellénisation ; mouvement qui a inspiré tous ses voisins, y compris le conquérant romain, et c'est aux alentours de la Méditerranée orientale que le système a prospéré le plus longtemps.
Fondations et refondations
Alexandre le Grand, conquérant insatiable dont le règne ouvre la « période hellénistique », fut un prodigieux fondateur de cités. On lui en attribuait soixante-dix ; les historiens en retrouvent environ la moitié dont plus de vingt Alexandrie. Et il a été amplement imité par ses successeurs, immédiats (les « diadoques ») et lointains. Les souverains ont adapté un procédé qui avait été élaboré à l'époque archaïque (viiie-vie s. av. J.-C.), où la colonisation, issue de la surpopulation et du besoin de terres agricoles, était contrôlée par les cités et entraînait des migrations lointaines. Ces expéditions étaient menées par un individu, un oikistès qui réunissait des hommes provenant souvent de plusieurs cités auxquelles il empruntait cultes et usages ; ainsi, dans les fondations des Mégariens (Héraclée du Pont, Astacos, Byzance), une partie des colons et de l'organisation provenait de Béotie, limitrophe de Mégare.
Les créations de villes furent un phénomène constant de l'histoire grecque, au cœur égéen de la nation (l'agglomération du Pirée, vers 475 ; la cité de Rhodes, en 408-407) ou sur ses confins (Thourioi en Grande-Grèce [Calabre] en 444-443, sous l'impulsion de Périclès ; Philippes en Macédoine orientale, en 356, portant le nom du père d'Alexandre). Le plan du Pirée est tracé par un architecte dont le nom reste le symbole de l'urbanisme classique, Hippodamos de Milet. Mais il n'est pas facile de définir la nouveauté du « plan hippodamien » : le réseau de rues à angle droit, organisé selon deux grands axes perpendiculaires et s'adaptant au relief,[...]
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Écrit par
- Pierre CHUVIN : professeur des Universités, université de Paris-X-Nanterre
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Médias