URBANISATION DANS LE MONDE GRÉCO-ROMAIN
L'hellénisation
Les villes neuves hellénistiques et romaines sont issues pour une part de l'adaptation des sociétés tribales limitrophes (Macédoniens, Illyriens, autres...) à la civilisation de la polis. Le processus – hellénisation des élites, le cas échéant sédentarisation des tribus, création de villes, centre de royaumes ou de fédérations, enfin éventuelle accession de celles-ci au statut de cité –, commencé au ive siècle (sinon plus tôt), se continuera bien après. En effet, la communauté grecque est dès lors éparpillée, implantée de manière plus ou moins dense parmi des peuples non grecs. Très consciente de sa supériorité, elle exhibe à ses voisins sa culture et son mode de vie. L'hellénisation se fait par les institutions, les rites et les fêtes, notamment les concours sportifs, dont l'organisation incombe à des magistrats, les gymnasiarques, et qui réclament des espaces et des monuments propres ; toutes ces activités sont de puissants facteurs d'intégration.
Cette situation incite les princes locaux, satrapes et dynastes d'Asie Mineure, princes hellénisés de Phénicie, à s'inspirer toujours davantage du modèle grec dans les décennies qui précèdent la conquête d'Alexandre. Ce sont les indigènes eux-mêmes qui, dans un premier temps, mènent à bien leur propre hellénisation. Au nord-ouest de l'Asie Mineure, les Bithyniens en offrent un exemple. Alors qu'Alexandre et ses généraux ont été incapables de soumettre la région, ces irréductibles, autour de leur massif-refuge qui recevra le nom d'Olympe, transforment en 297, sous leur chef Zipoitès, leur dissidence en royaume. Zipoitès fonde une ville, Zipoition, au pied d'une montagne – tentative sans lendemain : on ne connaît plus ni l'emplacement de la ville ni celui de la montagne. Son fils Nicomède (qui porte, lui, un nom grec) est plus heureux : il conquiert Nicée, bâtit Nicomédie (Izmit) qui absorbe une vieille colonie mégarienne, la cité d'Astacos dont le site, tout proche de Nicomédie, reste néanmoins habité (en 264), installe ses mercenaires gaulois sur de nouveaux territoires... Prusias Ier, petit-fils de Nicomède, complète la carte en fondant trois autres villes, Prousa au pied de l'Olympe (Bursa) à l'ouest et, au nord-est, Prousias de l'Hypios (près de Düzce) et Bithynion (Bolu) dans des plaines intérieures ; il reçoit de Philippe V de Macédoine deux ports conquis par ce dernier, Myrlea (débouché de Prusa) et Kios (débouché de Nicée). En moins d'un siècle, le cadre urbain de la région a été constitué à peu près tel qu'il subsiste aujourd'hui. Des fondations semblables sont dues à des dynastes en Commagène (Haute-Mésopotamie), en Syrie chez les Arabes Ituréens infiltrés dans la Bekaa, à Émèse, en Judée à Hérode qui donne, en hommage à son allié et protecteur romain, le nom de Césarée à une « ville neuve » de son royaume, sur la côte.
Il subsiste cependant des « poches » rétives au système de la polis à l'intérieur du monde gréco-romain ; en Asie Mineure ou en Syrie, de grands sanctuaires jouissent d'une large autonomie. Les Cappadociens éleveurs de chevaux, pourtant déjà urbanisés, le refusent lorsque les Romains le leur proposent en 95 avant J.-C. ; ils demandent un roi. Mais plus tard, au cœur de la province, Anisa, ville indigène dont le nom perpétue celui d'une importante agglomération hittite, Kanech, possède des institutions grecques ; ses fêtes, au nom grec, célèbrent l'ancien dieu hittite Sandas, identifié à Héraclès.
Le processus d'hellénisation à l'époque impériale a été étudié par Maurice Sartre dans le massif montagneux du Hauran (Syrie du Sud). La population des agglomérations n'ayant pas le statut de village porte des noms sémitiques ; ce sont des Arabes Nabatéens intégrés[...]
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Écrit par
- Pierre CHUVIN : professeur des Universités, université de Paris-X-Nanterre
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Médias