URBANISATION DANS LE MONDE GRÉCO-ROMAIN
Des idoles pour la ville
Il fallait des statues divines. On s'attacha avec ingéniosité à doter les cultes nouveaux d'emblèmes qui fussent aussitôt vénérables. Laodicée de Syrie reçut une idole d'Artémis, de style archaïque, emportée par les Perses lorsqu'ils avaient pillé l'Attique en 480 et récupérée par les Macédoniens à Suse, quelque cent cinquante ans plus tard. À Alexandrie d'Égypte, on fit venir de la lointaine Sinope, sur la côte sud de la mer Noire, une statue de Zeus susceptible de donner une figure hellénique à Sérapis, une forme d'Osiris. Au bord de l'Oxus (Amou-Darya), en pleine Asie Centrale, on a retrouvé une statuette qui représente le puissant dieu-fleuve sous les traits d'un satyre jouant de la double flûte. C'est exactement le type du dieu Marsyas qui incarnait, en Phrygie, à des milliers de kilomètres, la source principale du Méandre ; il a été apporté par les colons grecs de Bactriane, qui venaient de la vallée du Méandre.
Il y a peu d'exemples de créations d'idoles, en dehors de la Tyché (la « Fortune ») d'Antioche sur l'Oronte, œuvre du sculpteur Eutychidès vers 300 avant J.-C., qui servit de modèle pour représenter d'innombrables autres patronnes de cités durant le reste de l'Antiquité. C'est une femme portant une couronne faite d'une ligne de remparts flanqués de tours, à l'image de l'Aphrodite qui protégeait déjà Salamine de Chypre, dans la même région qu'Antioche. Elle est assise sur un rocher, tenant à la main une poignée d'épis qui évoque la prospérité du territoire ; à ses pieds nage la personnification du fleuve Oronte. Même ici l'innovation reste prudente. Vers 330 après J.-C., la fondation de Constantinople, décidée par un empereur favorable aux chrétiens, mais menée à bien par de hauts fonctionnaires païens pour la plupart, s'accompagne de bricolages analogues. La nouvelle Tyché fut fabriquée avec une antique statue de Cybèle qui, disait-on, avait été dédiée à l'époque légendaire des Argonautes dans la cité voisine de Cyzique. Au long de six cents ans, mentalités et comportements étaient restés tenaces.
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Écrit par
- Pierre CHUVIN : professeur des Universités, université de Paris-X-Nanterre
Classification
Médias