URBANISATION DANS LE MONDE GRÉCO-ROMAIN
Ville, tu n'es qu'un nom !
Que subsiste-t-il de toutes ces villes ? Il arrive que la dénomination moderne révèle une rupture complète. En même temps que ses habitants gagnaient un plateau verdoyant et frais propice à l'estivage, Denizli, « l'endroit aux sangliers », a supplanté une Laodicée dont le souvenir persistait dans le nom d'une étoffe locale, le lâdik. Geyikler, « les cerfs », a été le nom médiéval d'Apamée du Méandre. Rien ne symbolise mieux que ce changement la disparition d'une ville, perdue dans une marche forestière entre Byzantins et Seldjoukides. Mais les persistances sont beaucoup plus frappantes. Certains noms, parmi ceux qui nous paraissent les plus artificiels, se sont imposés : le nom arabe de Jérusalem, Élia, était celui qui lui avait été attribué par Hadrien, Aelia Capitolina. Des villes restées importantes de manière ininterrompue (Smyrne) ou des sites désertés (Séleucie en Pisidie, aujourd'hui Selef) ont préservé leur identité. Mais il n'y a pas eu de règle : assez souvent on assiste à la résurgence du nom le plus ancien, pour Beyrouth, Alep, Urfa ; ailleurs, c'est le nom hellénistique qui est préservé : Silifke (une Séleucie), Antakya (Antioche), Antalya (Attaleia, nom dynastique de Pergame) ; la période romaine a laissé son contingent, soit dynastique (Edirne/Hadrianoupolis), soit administratif (Geyre, de « Caria », nom de la province pour le village héritier de son chef-lieu, Aphrodisias). Jusqu'au bout, les empereurs s'attacheront à laisser leur nom à des villes qu'ils rénovent. Constantin donne le sien à Byzance, et d'autres cités se réclament de sa dynastie (Constantia/Salamine de Chypre) ; enfin, au ve et au vie siècle, Anastasioupolis/Dara, Justinianoupolis attestent la sollicitude impériale ; mais, en dehors de Constantinople, peu de ces noms tardifs ont survécu.
La grande crise de la cité survient beaucoup plus tard qu'on ne l'a cru ; elle marque la fin de l'Antiquité et la dislocation d'un monde qui, de toute manière, n'était jamais devenu vraiment homogène. Tandis qu'à l'ouest triomphe un mode de vie agricole et seigneurial, l'est, et même la Cyrénaïque, préserve sa prospérité urbaine ; mais, à partir de la conquête islamique, cette dernière se reflète dans une nouvelle forme de ville ; alors sonne le glas de la polis hellénique qui servait de cadre et de référence à la vie civilisée du monde méditerranéen depuis un millénaire.
La suite de cet article est accessible aux abonnés
- Des contenus variés, complets et fiables
- Accessible sur tous les écrans
- Pas de publicité
Déjà abonné ? Se connecter
Écrit par
- Pierre CHUVIN : professeur des Universités, université de Paris-X-Nanterre
Classification
Médias