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URBANISME Théories et réalisations

Critique de l'urbanisme progressiste. L'urbanisme en question

Après une phase d'euphorie, le triomphe de l'urbanisme progressiste suscite une critique qui porte d'abord sur ses réalisations, puis sur sa démarche, pour finalement mettre en question le statut de la discipline même.

À quelques exceptions près, dont celle de Gaston Bardet, en France, la critique des réalisations naît aux États-Unis, pays le premier touché par cet urbanisme. Elle porte essentiellement sur les effets sociaux provoqués par la stéréotypie, le gigantisme, la pauvreté formelle et sémantique des nouveaux ensembles. Lewis Mumford (1961), Jane Jacobs (1961) puis C. Abrams (1964) s'accordent pour dénoncer le caractère totalitaire, l'indifférence à l'égard des problèmes sociaux et le mépris de l'individu qui marquent les réalisations de l'urbanisme progressiste. Ils stigmatisent l'obsession de l'hygiène physique aux dépens de l'hygiène morale, font l'apologie de la rue, dans une perspective parfois nostalgique. De son côté, K. Lynch oppose les nouveaux espaces aux quartiers urbains traditionnels dont il entreprend une analyse morphologique pionnière. Tous ces thèmes sont repris en Europe, avec un léger décalage, à la fin des années 1960. Le psychiatre A. Mitscherlich leur donne une ampleur particulière dans Vers une société sans père (1969).

Toutefois, la critique de l'urbanisme progressiste prend une autre dimension lorsque, au lieu d'attaquer ses effets, elle s'en prend à leur cause, le simplisme de la démarche progressiste. Le groupe d'avant-garde anglais Archigram, fondé en 1961, fait aux C.I.A.M. un procès en archaïsme, milite pour l'intégration de nouveaux savoirs et des techniques de pointe, contre toute rigidité modélisante, en faveur de l'expérimentation permanente de structures mobiles et précaires. Parallèlement, Christopher Alexander préconise une analyse factorielle complexe, tandis que la théorie de l'information et l'analyse systémique sont mises à contribution pour la conception urbaine.

Dans le droit fil de ces idées, la recherche urbaine se développe aux États-Unis et en Europe, investissant les champs de la sociologie, de l'anthropologie culturelle, de la linguistique, mais aussi ceux de l'écologie, de la géographie urbaine. Pourtant, ces critiques et ces recherches laissent intact le postulat qui fait de l'urbanisme une science autonome.

En revanche, à partir de 1965, un questionnement épistémologique radical de la discipline va aboutir, par étapes, à la contestation de ce statut. Les soubassements idéologiques et utopiques de l'urbanisme sont mis en évidence, avec les choix de valeurs que suppose tout aménagement (F. Choay, 1965) : l'urbanisme ne peut pas être une science. La dimension politique inéluctable des options urbanistiques est analysée et ses conséquences développées par H. Lefebvre (1968), M. Castells et la recherche marxiste. De façon plus générale, le mouvement de l'advocacy planning aux États-Unis (R. Goodman, 1971) et des travaux sur la participation comme ceux de C. Alexander (1975) rappellent la nature dialogique de l'aménagement de l'espace, son insertion dans la temporalité et dans un permanent processus de sémantisation.

Dès lors, l'urbanisme cesse d'apparaître comme une discipline autonome. Perdant son statut scientifique propre, sa relation avec la science s'affirme à travers des disciplines servantes, toujours plus nombreuses. En outre, de par ses choix mêmes, il s'avère solidaire de l'ensemble des autres planifications (sociale, économique, culturelle...). Les temps de l'architecte démiurge sont terminés.

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Le Panopticon de Jeremy Bentham - crédits : d'après Jeremy Bentham, The works of Jeremy Bentham vol. IV, 172-3

Le Panopticon de Jeremy Bentham

Brasília - crédits : Atlantide Phototravel/ Corbis/ Getty Images

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