WIDMER URS (1938-2014)
C'est une pièce de théâtre, Top Dogs, qui fit connaître cet écrivain suisse né le 21 mai 1938 à Bâle. Féroce satire sur le licenciement des cadres dynamiques, elle fut jouée sur plus de cinquante scènes de Lausanne à Tōkyō et valut à l'écrivain d'être sacré en 1997 auteur de l'année en Allemagne. Tout à tour, éditeur, journaliste, réalisateur pour la télévision suisse pendant de nombreuses années, il a procédé pour l'écriture de cette pièce comme un ethnologue, rencontré et interrogé de nombreux cadres au chômage : « Au théâtre, j'aime être dans le processus de création : je ne remplis pas des pages pour les donner au metteur en scène en attendant tranquillement à la maison de voir ce qui se passe. Pour moi, le théâtre est un travail collectif, un lieu social ou des gens qui ont du cœur se réunissent pour partager une expérience. »
Bien que le succès international soit venu tardivement, Urs Widmer n'en est pas moins un écrivain reconnu depuis longtemps dans les pays germaniques. Après des études en Suisse et en France, il s'installe à Francfort, enseigne à l'université la littérature moderne allemande, devient l'un des éditeurs des éditions Suhrkamp, avant de prendre la direction des éditions Walter à Olten (Suisse). En 1968, il crée avec quelques collègues une sorte de coopérative éditoriale des auteurs, le Verlag der Autoren, et publie dans la foulée le récit Alois. En 1974, son roman d'aventuresForschungsreise(Voyage d'études) aborde sous une forme d'une grande drôlerie, et avec un clin d'œil à sa propre biographie, le thème de l'identité sur lequel il reviendra dans plusieurs autres romans, notamment dans Der Geliebte der Mutter (2000[L'Homme que ma mère a aimé, 2001]), et DasBuch des Vaters (2004[Le Livre de mon père, 2006]). La question de l'origine et le retour à l'origine (Der blaue Siphon, 1992[Le Siphon bleu, 1994]) sont très tôt des fils conducteurs de l'œuvre de Widmer. Dans ce roman, le narrateur remonte le temps dans l'espoir de se faire reconnaître de son père mort avant que lui-même ne soit devenu écrivain. Le père, lui se projette dans un futur où il ne reconnaît pas son fils, devenu adulte entre-temps. Widmer maîtrise avec virtuosité le jeu avec les ruptures des temporalités et les identités floues, voire mutantes.
Connu pour son regard provocateur, Urs Widmer, installé maintenant à Zurich, bouscule dans ses pièces de théâtre l'histoire suisse. « Je n'ai jamais été dans un parti, dit Urs Widmer dans un entretien avec le critique littéraire suisse Heinz Schafroth, mais j'ai un passé politique qui a commencé lorsque j'étais très jeune. En 1968, j'étais critique littéraire à la Frankfurter Allgemeine Zeitung, qui n'était pas tout à fait à gauche. Je n'écrivais évidemment pas des articles orientés à droite, mais personne n'y voyait de contradictions. Aujourd'hui, cela me fait rire : d'un côté, j'étais intégré dans un milieu bourgeois tout à fait normal, même si je pouvais y être considéré comme un chien un peu bizarre, et, de l'autre, je connaissais des gens de la R.A.F. [Fraction armée rouge] sans avoir jamais participé à leurs activités, parce que moi, je ne tue pas. Pour moi, 68 est le symbole d'un temps optimiste. Maintenant, nous vivons une époque apocalyptique, peut-être excitante, mais avec moins de gaieté, de spontanéité. Notre potentiel d'espoir a bien diminué. » Dans Jeanmaire. EinStück Schweiz (1992, Jeanmaire. Une pièce de Suisse), Urs Widmer n'hésite pas à remettre en cause le procès du brigadier Jeanmaire, accusé d'espionnage pour le compte de l'Union soviétique et condamné en 1977, laissant entendre qu'il aurait été un bouc-émissaire. C'est ce thème qui apparaît aussi dans [...]
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Écrit par
- Nicole BARY
: directrice de l'association
Les Amis du roi des Aulnes , traductrice
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