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UT PICTURA POESIS

Traditionnellement désigné par un apophtegme emprunté au vers 361 de l'Art poétique d'Horace (65-8 av. J.-C.), ut pictura poesis, qui invitait le poète à comparer son art à celui du peintre, l'appariement de la peinture à la littérature a connu une fortune étonnante à partir de la Renaissance. Il tient en effet un rôle prépondérant dans le discours sur la peinture jusqu'au milieu du xviiie siècle, et régit une part importante de la production picturale jusqu'au milieu du xixe. Il procède pourtant, au départ, d'un hasard et d'un contresens.

Une recréation humaniste

Présente chez divers auteurs de l'Antiquité, la comparaison entre littérature et peinture est réactivée par raccroc au xve siècle. Les premiers humanistes italiens, soucieux de produire de belles phrases latines, imitent les périodes bipartites dans lesquelles Cicéron (106-43 av. J.-C.) ou Quintilien (30-96), pour éclairer un point de rhétorique, comparaient le discours aux arts visuels. Ils développent ainsi des comparaisons entre la littérature et la peinture (ou la sculpture), qui ne présentent qu'un faible intérêt en raison de la médiocre importance qu'ils accordent aux arts visuels.

Au xvie siècle, la peinture ayant progressé en dignité aux yeux des lettrés, les arts visuels font l'objet de véritables traités. Le registre antique du parallèle entre les disciplines (ou entre les personnalités) s'étant enraciné dans les habitudes de pensée, les auteurs de traités abordent volontiers les rapports entre peinture et littérature. Ils se réfèrent donc régulièrement à la formule d'Horace, lui ajoutant souvent un mot du poète grec Simonide de Céos (556 env.-467 av. J.-C.) : « La peinture est une poésie muette, la poésie une peinture parlante. »

Au hasard initial se substitue maintenant un contresens. Horace recourait à une comparaison avec la peinture (« Une poésie est comme un tableau »), afin d'expliquer un point relatif à la littérature – une œuvre littéraire appelle une réception différente selon sa longueur, de même que chaque œuvre peinte appelle un regard et un éclairage spécifique. Mais, à l'époque moderne, la comparaison est systématiquement comprise à rebours : désormais, c'est la peinture qui s'apparente à la littérature.

Il est difficile de comprendre pourquoi l'ut pictura poesis est resté si longtemps en vigueur : aujourd'hui, peinture et littérature n'ont pas grand-chose en commun. Or, si en 1755 le critique allemand Gotthold Ephraim Lessing affirme la spécificité respective de la peinture et de la poésie dans le Laocoon, en France, l'abbé Du Bos écrivait encore, en 1719, des Réflexions critiques sur la peinture et sur la poésie. Auparavant, très peu d'auteurs avaient insisté sur les différences entre les disciplines artistiques réputées « sœurs ». Ainsi, au milieu du xvie siècle, l'humaniste florentin Benedetto Varchi relève bien que la poésie a pour objet le di dentro (les passions de l'âme) et la peinture le di fuori (les formes des corps), mais il ne remet nullement en cause l'ut pictura poesis. Les deux arts, explique-t-il, « imitent la nature » (Due lezzioni, 1549). Seul Léonard de Vinci (1452-1519) aura rejeté avec force l'appariement : il soutient que seul le peintre a le pouvoir de restituer une bataille ou de rendre amoureux (mais ses Carnets seront longtemps restés inédits). Force est donc d'admettre que la persistance de l'ut pictura poesis et, plus encore, de son interprétation à contresens, répondait à des enjeux capitaux. De fait, rapporter la peinture à la littérature a longtemps présenté de multiples avantages.

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Écrit par

  • : agrégé de lettres classiques, ancien élève de l'École normale supérieure, professeur d'histoire de l'art moderne à l'université François-Rabelais, Tours

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