UT PICTURA POESIS
Une matrice de la critique d'art
Pour les autorités de l'Église, l'ut pictura poesis, s'il est entendu au sens d'une peinture dépendant strictement de la littérature, donne une caution humaniste à l'exigence de fidélité absolue au texte source, que Giovanni Andrea Gilio da Fabriano formulait en 1564 dans un traité venant concrétiser le décret du concile de Trente sur les images. L'auteur y dénonçait, parmi les multiples impropriétés que Michel-Ange aurait commises dans le Jugement dernier de la chapelle Sixtine, les écarts par rapport aux passages de la Bible qui traitent des fins dernières, et soutenait que « le peintre d'histoire n'est qu'un traducteur qui transpose l'histoire d'une langue dans une autre, de l'écriture à la peinture ». Même rigueur, deux siècles plus tard, chez le pape Benoît XIV : dans la lettre officielle Sollicitudini Nostrae (1745), condamnant les images du Saint-Esprit en beau jeune homme qui se répandaient alors en Bavière, il affirme qu'il n'est licite de représenter les personnes de la Sainte Trinité que sous les formes attestées par la Bible.
Pour les amateurs, théoriciens de l'art et critiques, l'ut pictura poesis offre un tout autre intérêt. Il leur permet d'élaborer des critères d'appréciation : si « un tableau est comme une poésie », les traités anciens ou modernes de poétique (et de rhétorique) fournissent des catégories – l'inventio, la dispositio, etc. –, des registres – édifier, plaire, toucher – ou des normes – la convenance, la vraisemblance, etc. – qui, moyennant quelques ajustements, s'appliquent aisément à la peinture. De fait, durant toute l'époque moderne, les connaisseurs ont en commun, par delà les querelles esthétiques qui les divisent, d'emprunter leur langage à la critique littéraire beaucoup plus qu'au jargon des ateliers.
L'ut pictura poesis contribue ainsi à mettre en place un horizon d'attente privilégiant une appréhension proprement artistique des œuvres : il favorise ou entérine la régression des fonctions traditionnellement religieuses de l'image. Il en résulte par exemple le débat exclusivement esthétique que déclenchent, lors de leur exposition au Salon de 1767, deux tableaux d'autel également destinés à l'église Saint-Roch à Paris, mais radicalement opposés dans leurs partis stylistiques : le Saint Denis prêchant la foi en France de Joseph-Marie Vien (1716-1809) et Le Miracle des ardents de Gabriel-François Doyen (1726-1806).
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Écrit par
- Maurice BROCK : agrégé de lettres classiques, ancien élève de l'École normale supérieure, professeur d'histoire de l'art moderne à l'université François-Rabelais, Tours
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