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UTILITARISME

Les caractéristiques du mouvement

Un dénominateur commun caractérise les utilitaristes du xixe siècle. Tous visent le plus grand bonheur du plus grand nombre, quitte à décanter ces « quantités » en essayant de les affranchir de leur éventuelle ambiguïté et de surmonter leur fatal antagonisme. De statique qu'elle était chez Bentham, l'utilité devient plus dynamique, plus axiologique avec Mill. Défenseurs, depuis Bentham, d'un individualisme libéral (chacun doit compter pour un et personne ne peut compter pour plus d'un), les utilitaristes en viennent à un certain conservatisme (la sécurité prime) qu'il est nécessaire à chaque fois de situer dans son contexte historique, politique et social, et dont il faut voir qu'il est travaillé par des tendances réformatrices réelles, destinées à constituer un vaccin contre-révolutionnaire (Rousseau, Saint-Just, Babeuf) et à déboucher prudemment sur des projets d'institutions nouvelles, des mœurs nouvelles, assez orientées finalement vers des solutions socialisantes et solidaristes, plus conformes à l'équité et, pour une part, aux aspirations égalitaires du temps. L'utilité globale et marginale justifie tout amendement à venir.

L'utilitariste valorise l'esprit d'entreprise, le goût du risque et de la compétition en vue de l'optimisation de l'ensemble de la vie en société. Une tendance en découle à accorder une primauté à la productivité, à la croissance, au développement, et à ne leur trouver de restrictions justifiées que s'ils en venaient à brimer les talents, à dégrader le mérite et à décourager la promotion des qualités morales. Pour la même raison, l'utilitariste tend, d'autre part, à rechercher un correctif aux abus individuels ou collectifs dans le principe de l'égalité des chances au départ et dans un effort, qui n'est pas toujours triomphant, pour en assurer les conditions politiques. Cette option retentit sur un programme de limitations à imposer à la propriété privée, et conduit à recommander la progressivité de l'impôt et à restreindre la légitimité accordée à l'héritage. Les crises sont tenues pour utiles et symptomatiques.

Politiquement, les utilitaristes œuvrent, par des voies légales et sans violence, pour l'instauration progressive d'une démocratie parlementaire qui paraît encore timide sur le chapitre du suffrage universel et sur celui des adoucissements éventuels à apporter à la condition subalterne des femmes, mais qui porte en germe l'émancipation de ces dernières et celle des travailleurs les plus qualifiés.

Malthusiens, les utilitaristes sont en faveur du contrôle des naissances ; ils estiment que c'est un moyen de pallier la loi du nombre (en cas de suffrage universel) et de combattre la misère, par la réduction et l'amélioration de la main-d'œuvre prolétarienne. Ils partagent avec les positivistes la conviction selon laquelle le progrès ne peut être assuré qu'avec l'instauration de l'instruction publique et grâce aux bienfaits de l'éducation des meilleurs. Celle-ci sera gratuite et généralisée, au point d'assurer la formation d'une élite, compétente et qualifiée, d'hommes libres. La liberté leur est chère ; non pas une liberté romantique absolument dépourvue de contrainte sur soi, mais une liberté instruite, respectueuse de celle d'autrui. La dignité est à ce prix. Ils souhaitent promouvoir une sorte de « capacitariat », chargé de faire disparaître insensiblement certaines couches d'un prolétariat jugé récupérable, et par le moyen duquel les talents les plus divers pourraient s'épanouir au maximum pour le plus grand profit de tous. Au fond, ces « radicaux » se déclarent prêts à s'efforcer d'assurer une perpétuelle « optimisation conjoncturelle » par tous les moyens légaux créés par un Parlement[...]

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Écrit par

  • : membre de l'Académie royale de Belgique, professeur aux universités de Liège et de Bruxelles, président du Centre national de recherche de logique

Classification

Autres références

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