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UTOPIE (arts et architecture)

Publiée en 1516 , L'Utopie, ou le Traité de la meilleure forme de gouvernement (trad. franç., 1550) de l'humaniste anglais Thomas More codifie pour plus de deux siècles et demi les principes du genre. Se présentant généralement comme un récit de voyage, l'utopie décrit une société parfaitement organisée, dont le fonctionnement régulier contraste avec les errements de la société réelle. Plus encore qu'un projet politique réalisable, le récit utopique représente une critique aux accents volontiers satiriques. Il appartiendra à Jonathan Swift de tirer pleinement parti de cette dimension satirique avec ses Voyages de Gulliver (1726, trad. franç., 1727). Il n'est pas fortuit que l'essor du genre utopique soit contemporain de l'exploration de l'Amérique. Avec ses terres lointaines et ses « sauvages » aux mœurs déconcertantes, le Nouveau Monde découvert par Christophe Colomb stimule l'imaginaire européen.

Pendant longtemps, les beaux-arts n'entretiennent avec l'utopie que des relations distantes, même si des peintres comme Lucas Cranach l'Ancien (1472-1553) consacrent certaines de leurs toiles à des thèmes utopiques comme l'âge d'or. Il en va différemment de l'architecture et de l'art urbains : les villes idéales des utopistes font en effet largement appel à leurs ressources. La Cité du soleil (1602, trad. franç., 1840) du philosophe italien Tommaso Campanella est par exemple construite sur un plan radioconcentrique, qui n'est pas sans rappeler les réflexions des architectes et des ingénieurs de son époque sur la ville régulière. Plus généralement, des liens nombreux unissent l'utopie aux projets de ville idéale de la Renaissance et de l'âge classique. Les deux registres fusionnent parfois à l'occasion de projets comme Freudenstadt, conçue en 1599 par l'architecte allemand Heinrich Schickhardt pour le prince de Wurtemberg, afin d'accueillir les réfugiés protestants de France, ou encore Philadelphie, fondée en 1682 par le quaker anglais William Penn.

Art et utopie au siècle de l'industrie

Les liens entre l'utopie et la production artistique commencent à se renforcer avec la première révolution industrielle. À cette époque, l'utopie change de nature, rompant avec les caractéristiques que lui avait imprimées Thomas More. Elle se présentait sous la forme d'une fiction littéraire, décrivant un pays situé littéralement nulle part – le terme d'utopie avait été en effet forgé par More à partir des mots grecs ou et topos, signifiant respectivement la négation « non » et le « lieu ». Située donc nulle part et investie d'une fonction critique, plutôt que d'une valeur de modèle à l'égard de la société existante, l'utopie se concevait en revanche au présent. L'impossibilité géographique et l'irréalité sociale trouvaient leur contrepartie dans l'actualité du récit utopique. Ces traits distinctifs s'inversent presque terme pour terme à la charnière des xviiie et xixe siècles. Du présent, l'utopie passe au futur, celui d'un projet politique et social censé s'appliquer désormais à tous et en tous lieux. Imaginé dans les années 1790, le Fragment sur l'Atlantide de Condorcet se présente déjà comme un projet politique et social de portée universelle. À travers cet ensemble de mutations, la démarche utopique se met en accord avec la foi dans le progrès qui se fait jour dans les pays gagnés par l'industrialisation (comme en témoigne l'exemple de la manufacture des salines d'Arc-et-Senans, conçue par Claude-Nicolas Ledoux et réalisée entre 1775 et 1779 en bordure du Jura). L'utopie perd alors son caractère littéraire pour devenir synonyme de mouvement social. Au cours des premières décennies du xixe siècle, de tels mouvements[...]

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Écrit par

  • : professeur d'histoire de l'architecture et des techniques à la Graduate school of design de l'université Harvard, Cambridge, Massachusetts (États-Unis)

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