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UTOPIE

L'utopie architecturale

L' architecture et l'utopie entretiennent des liens anciens, à la fois évidents et difficiles à démêler. À côté de multiples convergences, il convient de rester attentif aux distances qui se recréent constamment entre l'imaginaire architectural et la démarche utopique tout au long de leur évolution. Une évocation croisée de leurs transformations successives s'avère du même coup nécessaire afin de clarifier la nature générale de leurs relations avant de tenter de cerner celles-ci d'un peu plus près.

Convergences et distances

L'acte fondateur de l'utopie, sous sa forme moderne, se situe en 1516, date de parution de l'ouvrage éponyme de l'homme politique anglais Thomas More (1478-1535). Avec cette fiction consacrée à la description de l'île et des habitants d'Utopie, More jette les bases de ce qui va devenir très vite un genre littéraire à part entière. Jusqu'à l'aube de l'ère industrielle, l'utopie renvoie à une catégorie d'ouvrages ordinairement critiques à l'égard de la société existante à laquelle leurs auteurs opposent une société imaginaire parée de toutes les vertus, à commencer par une stabilité sans équivalent dans le monde réel. Dès le départ, l'utopie fait appel à l'architecture et à l'art urbain afin de renforcer sa crédibilité. L'île imaginée par More comporte ainsi des villes régulièrement agencées ainsi que des bâtiments caractéristiques de l'ordre social qui y prévaut, comme les salles à manger et les crèches collectives censées servir chacune à trente ménages.

Composée en 1602-1603 par le théologien italien Tommaso Campanella (1568-1639), La Cité du Soleil accorde une importance encore plus nette aux aspects urbains et architecturaux, avec sa ville concentrique qui fait songer aux projets d'architectes et d'ingénieurs de l'époque. Nombre de ces projets entretiennent d'ailleurs des liens avec des préoccupations de réforme sociale, comme la ville de Freudenstadt, conçue à partir de 1599 par l'ingénieur allemand Heinrich Schickhardt (1558-1635) à la demande de Frédéric Ier de Wurtemberg, afin d'accueillir des réfugiés protestants.

<it>Vue en perspective de la ville de Chaux</it>, C. N. Ledoux - crédits : AKG-images

Vue en perspective de la ville de Chaux, C. N. Ledoux

Entre le genre utopique et l'architecture, l'intérêt semble ainsi mutuel. Du côté des auteurs de fiction utopique, le recours à l'architecture permet de donner chair à ce qui risquerait autrement d'apparaître comme un discours abstrait sur la société idéale. Quant aux architectes et ingénieurs de la Renaissance et de l'âge classique, ils rêvent, au moment de concevoir de toutes pièces des villes et des bâtiments nouveaux, d'une sociabilité régénérée, en accord profond avec l'harmonie qu'ils cherchent à conférer à leurs créations. Ce rêve atteint l'une de ses expressions les plus achevées avec le projet de ville idéale de Chaux, imaginée à la veille de la Révolution par l'architecte Claude Nicolas Ledoux (1736-1806) autour d'un noyau industriel formé par la saline d'Arc-et-Senans dans l'est de la France.

Ces liens vont survivre à la transformation radicale du registre de l'utopie qui se produit au cours de la première moitié du xix siècle. Tandis que l'utopie faisait jusque-là figure de genre littéraire avec ses évocations d'îles et de sociétés idéales situées littéralement nulle part – More ayant forgé le terme utopie à partir des racines grecques ou et topos signifiant la négation et le lieu –, elle se transforme progressivement en un discours visant à réformer concrètement la société, discours dont sont susceptibles de s'emparer des militants afin d'œuvrer à sa réalisation. Avec Robert Owen (1771-1858) en Angleterre, Claude Henri de Saint-Simon (1760-1825), Charles Fourier (1772-1837) et Étienne Cabet (1788-1856) en France,[...]

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Écrit par

  • : directeur d'études à l'École des hautes études en sciences sociales
  • : docteur en médecine, docteur ès lettres, professeur émérite de sociologie à l'université d'Amiens
  • : professeur d'histoire de l'architecture et des techniques à la Graduate school of design de l'université Harvard, Cambridge, Massachusetts (États-Unis)

Classification

Médias

<em>Thomas More</em>, H. Holbein le Jeune - crédits : VCG Wilson/ Corbis/ Getty Images

Thomas More, H. Holbein le Jeune

<it>Vue en perspective de la ville de Chaux</it>, C. N. Ledoux - crédits : AKG-images

Vue en perspective de la ville de Chaux, C. N. Ledoux

Autres références

  • UTOPIE (arts et architecture)

    • Écrit par
    • 1 691 mots

    Publiée en 1516 , L'Utopie, ou le Traité de la meilleure forme de gouvernement (trad. franç., 1550) de l'humaniste anglais Thomas More codifie pour plus de deux siècles et demi les principes du genre. Se présentant généralement comme un récit de voyage, l'utopie décrit une société parfaitement...

  • ADORNO THEODOR WIESENGRUND (1903-1969)

    • Écrit par
    • 7 899 mots
    • 1 média
    Il en va de même de l'utopie divisée en deux figures contraires. Ou bien, habitée par le désir de réconciliation et d'harmonie, l'utopie peut aisément dégénérer en mythologie et donner naissance à des formes de domination d'autant plus funestes qu'elles se réclament du bonheur et de la ...
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  • ANGLAIS (ART ET CULTURE) - Littérature

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    ...poésie épique » (selon Boris Vian) et domaine où brillent quelques-uns des meilleurs auteurs anglais : Brian Aldiss, J. G. Ballard et Michael Moorcock ; le roman utopique enfin, qui exerça une influence considérable au début du siècle avec H. G. Wells, George Orwell et Aldous Huxley (Brave New World...
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