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V., Thomas Pynchon Fiche de lecture

Une machine célibataire

Ainsi, l'identité multiforme de V. domine : elle est une femme sereine, toujours jeune et belle, même à soixante-seize ans. Elle est Victoria Wren, une adolescente du Yorkshire déflorée par un agent britannique au Caire pendant l'incident de Fachoda en 1898 ; puis elle séduit le père de Stencil au consulat britannique à Florence. Sous les traits d'une lesbienne, elle est à Paris en 1913 et amoureuse d'une danseuse qu'elle habille en garçon. Devenue Verona Manganese à Malte en 1919, elle a un saphir incrusté dans le nombril et un œil de verre avec une horloge comme pupille ; mais, sous l'identité de Vera Meroving de Munich dans le Sud-Ouest africain en 1922, elle décervelle un poisson rouge. Enfin, déguisée en prêtre à Malte en 1919, elle meurt au cours d'un bombardement aérien, quand des enfants retirent le saphir de son nombril – sans compter toutes les autres incarnations que rapporte Stencil. Elle est le principe féminin, incarné dans la déesse et la planète Vénus, la vierge, la ville de Valetta, le pays imaginaire et volcanique de Veishu, le Vésuve, le Venezuela, le V des cuisses écartées, de la vulve et du vagin. C'est une sorte de machine auto-érotique qui se suffit à elle-même, un axe porteur de vie qui permet de durer éternellement. La technologie semble la source de tous les maux dans V., où les images de la cybernétique donnent forme aux sentiments religieux et amoureux.

Le message de Pynchon est ambigu : veut-il dire que l'homme maîtrise ses instincts destructeurs par le détachement et la passivité, tandis que la femme triomphe de sa vulnérabilité en devenant une machine ? La lettre V incarne-t-elle l'identification de l'explication intellectuelle à l'expérience subjective ? Leur convergence se révèle plutôt fausse et illusoire. Dans sa théorie du complot, Stencil ne peut élaborer que des hypothèses, sans parvenir à reproduire la réalité. L'Histoire le déçoit mais sans la quête qu'il mène, la vie n'a pas de sens. Privée de l'expérience, pourtant, elle reste lettre morte.

— Michel FABRE

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  • PYNCHON THOMAS (1937- )

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    • 1 864 mots
    ...duplicité. Dès 1963, après avoir vécu dans le New York beatnik et publié plusieurs nouvelles, puis travaillé comme rédacteur technique pour Boeing à Seattle, il exerce dans V., son premier roman, « le droit à l'anxiété de l'imagination ou au souci historique ». Alors qu'il est installé à Mexico, il « disparaît...