- 1. De l’inoculation à la vaccination
- 2. Hauts et bas de la vaccination jennérienne
- 3. Vers l’obligation vaccinale et sa contestation
- 4. Extension de la vaccination à d’autres maladies que la variole
- 5. Vaccination et développement d’une politique universelle de santé
- 6. Construction d’attitudes antivaccination : une nouvelle ère du soupçon
- 7. Bibliographie
VACCINATION
Vers l’obligation vaccinale et sa contestation
La donne change lorsque, à la fin des années 1810, la variole ressurgit dans le monde et fait des ravages y compris en Europe au sein d’une population censée être au moins partiellement vaccinée depuis une bonne décennie. Les cas de contamination par la syphilis et autres incidents sont statistiquement ignorés, les médecins produisent dans l’urgence des atlas dermatologiques permettant de différencier la vraie vaccine de la « fausse vaccine » dont les effets protecteurs sont nuls et les États finissent par se résoudre au rappel puis à l’obligation. C’est chose faite en Bavière dès 1807, suivie par la Suède en 1816 puis l’Angleterre en 1853, dans le cadre des grandes réformes de l’assistance offerte aux pauvres (Poor Laws). Alors qu’il est toujours aussi difficile de garantir la « pureté » du vaccin, ces États n’exercent cependant de contrôle strict que sur les populations les plus dépendantes (soldats, adultes et enfants assistés, employés, ouvriers, esclaves, indigènes des colonies, etc.) à qui on ne laisse guère le choix et qui font parfois tout pour échapper à la scarification salvatrice qu’ils assimilent à une marque de soumission. Dans les colonies, baïonnettes et lancettes sont rejetées d’un même mouvement. On soupçonne le colon de vouloir stériliser les femmes et paralyser le bras des hommes, quand ce n’est pas de les christianiser de force avec du sang de « mécréant » ; de graves émeutes éclatent ainsi à Philippeville (aujourd’hui Skikda), en Algérie, dans la décennie 1860.
Quoi qu’il en soit, la vaccine reste à cette époque le seul exemple d’une prévention vaccinale efficace. Aucun des autres maux (fièvre jaune, syphilis, choléra, typhoïde, tuberculose, etc.) qui font des ravages parmi les populations du xixe siècle ne trouve remède. Les hygiénistes, partagés entre contagionnistes et anticontagionnistes, améliorent lentement les conditions de vie au fur et à mesure que l’industrialisation et l’urbanisation galopantes les dégradent. Certaines maladies comme la peste régressent et d’autres comme la tuberculose prospèrent selon un processus dynamique – et pour des raisons loin d’être toutes biologiques – auquel l’historien de la médecine Mirko Grmek donnera bien plus tard le nom de « pathocénose ».
Après la guerre franco-prussienne de 1870, la variole est toujours là et les gouvernements décident de renforcer leur législation vaccinale – la vaccine est toujours le seul vaccin disponible. Les jeunes nations comme l’Allemagne et l’Italie adoptent des lois coercitives respectivement en 1874 et 1888, et la Grande-Bretagne renforce la sienne en 1871 – la France prend son temps puisque l’obligation n’apparaîtra que dans l’article 6 de la grande loi de santé publique de 1902. Ces lois sont conçues comme un moyen de modernisation à marche forcée de la part de gouvernements qui se veulent « éclairés », à une époque très largement marquée par un scientisme exalté. Mais, lorsqu’on demande au peuple, en l’occurrence le peuple suisse, en 1882, de se prononcer sur une obligation, la proposition de loi fédérale est rejetée à près de 80 % !
L’ère de la contestation de rue contre la vaccination commence ; elle s’étendra des années 1870 jusqu’au lendemain de la Première Guerre mondiale. Auparavant, le mouvement « vaccinophobe » (le mot est d’époque) a surtout été le fait de médecins en marge de l’enseignement académique, partisans des médecines alternatives qui foisonnent depuis le début du xixe siècle. Les lois d’obligation politisent le mouvement, en même temps qu’elles l’internationalisent et le démocratisent. Ces manifestations ont surtout lieu dans les pays anglo-saxons (Angleterre, Canada, États-Unis) mais aussi en Amérique du Sud (Rio de Janeiro, 1904) et plus sporadiquement dans les colonies[...]
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Écrit par
- Françoise SALVADORI : docteure en pharmacie, docteure ès sciences, maître de conférences en immunologie, université de Bourgogne
- Laurent-Henri VIGNAUD : enseignant-chercheur, maître de conférences en histoire moderne, université de Bourgogne
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Médias
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