Abonnez-vous à Universalis pour 1 euro

VACCINATION

Construction d’attitudes antivaccination : une nouvelle ère du soupçon

Pendant cette sorte d’âge d’or de la vaccination – ces « Trente Glorieuses médicales » –, la France se distingue : la première Ligue nationale contre les vaccinations voit le jour en 1954, près d’un siècle après les ligues anglaises. Le contexte est alors celui d’une politique sanitaire plus volontariste en matière de vaccins, marqué par l’obligation du BCG inscrite dans la loi en 1951 (s’ajoutant à celles contre variole, diphtérie et tétanos) pour tous les enfants, avec contrôle scolaire et amendes aux parents récalcitrants. La Ligue réunit des adhérents divers, parents qui voient dans cette « obligation de trop » une entrave à la liberté individuelle ou à la « puissance paternelle », médecins défendant leur liberté de prescription, militants soutenant des théories alternatives à celle des germes ou de l’immunologie en plein essor. Une partie importante des opposants à la vaccination se trouve aussi dans des courants de pensée issus du « naturisme », très critiques vis-à-vis de la médecine moderne et de la société industrielle, dont certains préfigurent la diversité de l’écologisme à la française : on y rencontre Henri-Charles Geffroy, fondateur de La Vie claire, André Louis, à l’origine de Nature et Progrès, les Freinet, défendant une éducation « naturelle » au sens large, ou encore Pierre Fournier, qui dessine pour Hara-Kiri. On peut sans doute reconnaître à la Ligue, devenue en 1964 « Pour la liberté de vaccination », un certain rôle dans la levée de l’obligation vaccinale variolique, elle aussi très tardive en France. Malgré son nouveau nom, c’est une méfiance globale contre la vaccination que la Ligue entretient pourtant, et ses militants argumentent par des discours peu différents de ceux déjà entendus. Pointant des accidents post-vaccinaux très rarement avérés, ils dénoncent un risque d’affaiblissement des individus (voire de l’espèce humaine), et soutiennent systématiquement le rôle du « terrain » plutôt que du germe dans la survenue des maladies.

Au cours des années 1980-1990 émerge plus largement dans la société une nouvelle inquiétude face aux « effets induits » de la modernisation et de l’industrialisation : la peur de la bombe est peu à peu remplacée par celle de l’incident nucléaire après la catastrophe de Tchernobyl (26 avril 1986), érigée en symbole d’un ensemble de « technologies » et de transformations de la nature qui pourraient conduire à un désastre planétaire. Cette mentalité renforce la suspicion manifestée auparavant envers les vaccins. Dans la nouvelle « société du risque », les États en viennent à appliquer un « principe de précaution », y compris et surtout dans le domaine de la santé publique (médicaments, alimentation, pollution des sols, etc.). Un principe qui est parfois délicat dans son application comme l’a montré en France « l’affaire du vaccin contre l’hépatite B ». En 1994, en conformité avec les préconisations OMS, le ministre délégué à la Santé Philippe Douste-Blazy tient un discours assez anxiogène dans les médias sur le risque pour tout un chacun d’être exposé à ce virus, dont les voies de contamination, surtout sanguines et sexuelles, et de la mère à son enfant lors de l’accouchement, sont pourtant encore incertaines. Environ 20 millions de Français se font vacciner, des adolescents en milieu scolaire, et beaucoup d’adultes jeunes, à l’âge des premières poussées de sclérose en plaques… Un lien est fait entre la vaccination et la survenue de cette maladie auto-immune neurologique, d’origine mal connue, mais de mieux en mieux diagnostiquée dans ces années 1990. Ce lien suggère vite une causalité, et induit tout aussi vite une forte méfiance du public et d’une partie des professionnels de santé.[...]

La suite de cet article est accessible aux abonnés

  • Des contenus variés, complets et fiables
  • Accessible sur tous les écrans
  • Pas de publicité

Découvrez nos offres

Déjà abonné ? Se connecter

Écrit par

  • : docteure en pharmacie, docteure ès sciences, maître de conférences en immunologie, université de Bourgogne
  • : enseignant-chercheur, maître de conférences en histoire moderne, université de Bourgogne

Classification

Médias

<em>The Cow-pock</em>, J. Gillray - crédits : Library of Congress, British Cartoon Prints Collection

The Cow-pock, J. Gillray

Révolte contre la vaccination antivariolique au Brésil - crédits : IEA São Paulo

Révolte contre la vaccination antivariolique au Brésil

File d’attente devant un centre de vaccination antivariolique à New York - crédits : Bettmann/ Getty Images

File d’attente devant un centre de vaccination antivariolique à New York

Autres références

  • CALENDRIER VACCINAL

    • Écrit par
    • 2 597 mots
    • 1 média

    Depuis la « vaccine », élaborée par Edward Jenner en 1796 pour prévenir la variole, on dispose d’une multiplicité croissante de vaccins contre nombre de maladies infectieuses. Chaque vaccin possède ses particularités d’activité et de prescription. Médicaments de prévention contre...

  • ANTHROPOLOGIE DES ZOONOSES

    • Écrit par et
    • 3 954 mots
    • 4 médias
    ...avec les animaux, étudiés par l’ethnozoologie, font partie des modes d’interaction mobilisés dans une crise sanitaire causée par une zoonose. Ainsi la vaccination contre la brucellose en Mongolie implique de connaître les conceptions locales de l’élevage pastoral en fonction des transformations du paysage...
  • BACTÉRIOLOGIE

    • Écrit par , , , et
    • 18 329 mots
    • 11 médias
    ...possibilité d'immuniser contre une maladie par l'injection du microbe atténué : des cultures vieillies d'une bactérie entraînent, chez l'animal, une maladie peu grave ; mais cet animal est devenu réfractaire au microbe virulent : il est immunisé. C'est le principe desvaccinations.
  • CANCER - Cancer et santé publique

    • Écrit par
    • 14 762 mots
    • 8 médias
    ...la lenteur de l'évolution des lésions, il est inutile de le pratiquer plus souvent) et leur traitement permet d'éviter l'apparition de cancer invasif. Des vaccins existent contre les variétés de papillomavirus les plus fréquemment en cause. Cette vaccination peut avoir un rôle préventif important,...
  • CANCER - Cancers et virus

    • Écrit par , et
    • 5 660 mots
    • 6 médias
    Pour les tumeurs viro-induites, quand le lien est très fort, des vaccins dirigés contre le virus peuvent être efficaces pour combattre la tumeur. On distingue des vaccins prophylactiques et des vaccins curatifs.
  • Afficher les 53 références