Abonnez-vous à Universalis pour 1 euro

VACUITÉ, notion de

Double vérité

Un autre processus dialectique est également proposé pour aboutir à un dépassement complet de toutes les catégories habituelles de raisonnement et définir le concept de double réalité, également appelé double vérité, qui va de pair avec la vacuité, mais ne doit pas être confondu avec le principe de non-dualité. Ce concept s'éclaire au terme d'un processus dialectique en quatre étapes : être /non-être, ni être /ni non-être, ni ni-être /ni ni-non-être, ni ni ni-être /ni ni ni-non-être. L'être de la première assertion correspond à la vérité ordinaire, le non-être à la vérité supérieure. La deuxième assertion sera considérée comme touchant à une vérité supérieure au regard de la première, qui est ordinaire. Mais, à son tour, cette deuxième assertion est qualifiée de vérité ordinaire au regard de la troisième. On procède ainsi jusqu'à la quatrième assertion, par dégagement successif, par raisonnement apophatique, le seul à rendre compte de la vacuité universelle et de la double vérité.

Suivant ce principe, l'existence et l'absence du soi ne peuvent s'interpréter correctement en dehors de la double vérité. Il existe, en effet, une réalité ou vérité « de surface » ou « d'enveloppement » (saṃvṛti et saṃvṛtisatya), qui est la vérité ordinaire ou vulgaire d'une part, et une réalité ou vérité « absolue » (paramārtha et paramārthasatya) considérée comme la vérité du sens ultime ou vérité vraie d'autre part. La « réalité de surface » exige une rationalité, un effort de conscience pour s'imposer comme une entité souveraine. Cette double exigence de réalité et de rationalité correspond à l'expérience empirique, notamment celle de la douleur (duḥka) ; mais, en son essence, elle est impersonnelle et universelle. Toutefois, pour le Mahāyāna, cette réalité ressemble à un rêve, un mirage, une illusion, et, pour échapper à la dissolution, elle a besoin de son opposé, la réalité absolue. Cette combinaison d'être de surface et d'absolu est proprement la vacuité : elle est une Voie moyenne entre l'être et le non-être, l'un et l'autre s'incluant mutuellement. Seule la sapience (prajñā) peut appréhender cette universelle vacuité, puisqu'elle analyse le niveau empirique de la réalité, sur un mode discursif, afin de dissoudre l'ātman, la substance personnelle, pour mieux discerner l'erreur qui consiste à croire en son existence, par opposition à un monde objectif et extérieur au sujet. Toutefois, la sapience parfaite est celle qui dépasse toute expérience noétique.

Dans une intuition globale, au-delà d'un processus discursif, la perfection de sagesse (prajñā-pāramitā) souligne l'insuffisante rationalité du monde empirique, c'est-à-dire de la « réalité de surface ». Ne voir que cette réalité ordinaire c'est, sous l'effet de l'ignorance (avidyā), n'avoir qu'une vérité conventionnelle qui conduit à l'affirmation d'une substance personnelle (ātman) illusoire, et qui masque la vérité absolue.

Pour le Mādhyamaka, il existe deux sortes de « substantialisation » : l'une fait des dharma des choses en soi ; l'autre construit la réalité absolue en annulant la réalité de surface. Par un procédé dialectique, on évite toute substantialisation et tout Absolu en soi : celui-là est défini comme étant « vacuité de vacuité », vide de toute détermination, de manière à échapper à toute substantialisation, sauvegardant par là même le relativisme de la tradition canonique développée dans le bouddhisme ancien. L'Absolu n'en est pas moins proclamé sous de multiples vocables ignorés des textes anciens : l'Être en soi accompli (pariniṣpannaḥ-svabhāva), la Vérité au sens ultime (paramārtha-satya[...]

La suite de cet article est accessible aux abonnés

  • Des contenus variés, complets et fiables
  • Accessible sur tous les écrans
  • Pas de publicité

Découvrez nos offres

Déjà abonné ? Se connecter

Écrit par

  • : directeur de recherche au C.N.R.S. (Groupe de sociologie des religions et de la laïcité), sinologue, spécialiste du bouddhisme

Classification