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ELISSEEFF VADIME (1918-2002)

La carrière de Vadime Elisseeff est intimement liée à la vie du musée Cernuschi à Paris – l'un des rares musées en Occident dont les collections soient exclusivement consacrées à l'art chinois – qu'il dirigea de 1956 à 1982. Et pourtant, ses activités professionnelles, entre l'U.N.E.S.C.O. et le Centre de documentation pour la Chine contemporaine, comme ses sujets d'intérêt (le dialogue Orient-Occident, les arts de l'Asie depuis la préhistoire jusqu'aux artistes vivants, l'art russe, entre autres) l'amenèrent à avoir un champ d'expertise beaucoup plus large. Directeur du musée Guimet de 1982 à 1986, il devait imposer l'idée d'y entreprendre des travaux d'envergure, ce qui fut fait par Jean-François Jarrige, son successeur.

Les ouvrages grand public de cet admirable vulgarisateur furent consacrés aux civilisations chinoise et japonaise, sujets également de son enseignement (École du Louvre, Institut national des langues orientales, École des hautes études en sciences sociales). Digne émule de René Grousset (1885-1952), il appartenait ainsi à la dernière génération des savants ayant eu une approche généraliste de l'Extrême-Orient, quand les orientalistes d'aujourd'hui se retranchent dans des domaines de plus en plus étroits.

Sans doute son histoire personnelle le prédisposa-t-elle à s'intéresser aux civilisations extrême-orientales : né en Russie à Petrograd, comme se nommait alors Saint-Pétersbourg, peu après la révolution d'Octobre, fils d'un éminent professeur spécialiste du Japon qui fut le tout premier directeur du Harvard Yenching Institute à Cambridge aux États-Unis, et ayant entamé une carrière diplomatique qui l'amena en Chine dès 1944, puis au Japon à partir de 1949, il commença tôt à apprendre les langues de ces pays. Tant dans ses recherches personnelles, les expositions dont il eut l'initiative ou dont il fut le commissaire que dans les ouvrages qu'il a consacrés à ces civilisations, l'histoire de l'art tient une place de choix. À partir des années 1970, plusieurs de ses travaux, qui contribuèrent en France au rayonnement des civilisations de l'Asie, furent réalisés conjointement avec son épouse, Danielle Elisseeff, archiviste-paléographe également spécialiste de la Chine et du Japon.

Les bronzes archaïques chinois ont la particularité de présenter d'infinies variations à partir d'éléments unitaires fixes. Ayant identifié ces éléments, et les ayant ramenés à des catégories de base, V. Elisseeff les a reformulés grâce à une analyse binaire : ses fameux « scalogrammes » ont été appliqués à l'iconographie et à la facture des bronzes. L'informatique naissante des années 1960 a dû lui inspirer cette direction de recherche car, pensait-il, seule une étude systématique ne négligeant aucun détail permettrait d'appréhender l'art chinois du bronze, ou du moins d'en renouveler l'approche. Ce travail de longue haleine ne devait jamais être achevé, sans doute parce que ce domaine complexe ne saurait se laisser enfermer dans de telles combinaisons et que, à partir des années 1980, la documentation devenue foisonnante, toujours plus dispersée, a rendu difficile cette démarche pour le chercheur isolé. Toujours est-il que son analyse devait faire école, en inspirant, mais selon un axe différent, les recherches d'un autre historien de l'art sur l'existence de « modules » dans l'art chinois (Lothar Ledderose, Ten Thousand Things. Module and Mass Production in Chinese Art, Princeton, 2000).

À côté du savant, l'homme d'action fut responsable de plusieurs dizaines d'expositions qui ont familiarisé le public à des arts jusqu'alors mal connus en France, et parfois sur des sujets originaux. Certaines firent date : on pense en particulier à l'ambitieuse[...]

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Écrit par

  • : directeur d'études émérite à l'École pratique des hautes études, section des sciences historiques et philologiques, membre de l'Institut

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