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VAIŚEṢIKA

L'ensemble de la tradition hindoue est divisée en « systèmes » (darśana) qui sont, en fait, des « points de vue », des « façons de considérer le réel », et dont chacun tend à se spécialiser dans un certain domaine : le Védânta (vedānta), par exemple, se voue à l'exposé de la métaphysique ; le Yoga enseigne les moyens concrets d'atteindre au salut (la « délivrance » : mukti) ; Le Nyâya (nyāya) s'occupe de logique. Dans cet ensemble, le Vaishéshika (vaiśeṣika, « qui concerne les spécifications ») occupe une place originale, car il semble se cantonner dans une « physique » (au sens aristotélicien du terme) au lieu de proposer, comme tous les autres, une voie de salut. Il semble cependant que, sous sa forme la plus ancienne (à l'époque où prêchaient le Buddha et le Jina, soit dès le ~ vie siècle, le Vaishéshika ait été un atomisme quasi matérialiste, à la façon de celui de Démocrite. Dans cette hypothèse, il aurait ensuite été récupéré par le brahmanisme et intégré au système des darshanas pour représenter « celui qui s'occupe de l'organisation naturelle des choses ». C'est bien ainsi, en tout cas, que se présente cette doctrine dans le plus ancien texte qu'on en possède : les sûtras attribués à un certain Kanâda (vaiśeṣikasūtra, début de l'ère chrétienne).

Ce texte, qui a une valeur normative, est divisé en dix chapitres ; ainsi l'on y enseigne successivement la grandeur du Dharma, la division de la matière en substances, leur organisation à partir d'atomes, la possibilité pour l'homme de la connaissance sensible, le raisonnement par inférence, les devoirs de l'individu selon le Dharma. Le contenu de ce texte est donc assez disparate : à la physique proprement dite se mêlent des considérations « morales » et même de la métaphysique (ce qui correspond à la définition initiale du Dharma, entendu comme « ce par quoi l'homme parvient au plus haut dans l'échelle des êtres »). On y pose en principe l'autorité des Livres sacrés (le Véda) ; la fin tout entière du recueil (livres VIII et IX) concerne en fait la logique. Il est difficile d'échapper à l'impression que les sûtras sont composites et résultent d'un compromis entre une école matérialiste et un groupe de logiciens brahmanistes, sans doute influencés par la Mîmâmsâ (ce qui expliquerait la doctrine des actes, la référence au Dharma...). Il est d'ailleurs remarquable que les commentateurs s'intéressent plus à la logique du système qu'à sa physique, à tel point que les œuvres principales sont, dans ce domaine, des traités se référant explicitement au Nyâya (la logique en tant que darshana) autant et plus qu'au Vaishéshika. La doctrine de celui-ci n'était cependant pas dépourvue d'originalité : elle pose en principe l'existence de neuf substances correspondant aux cinq éléments classiques auxquels s'ajoutent le temps, l'espace, l'esprit, l'âme. Les quatre premiers éléments (terre, eau, air, feu), et eux seuls, sont constitués d'atomes éternels qui se combinent selon une énergie, éternelle elle aussi, et purement mécanique, appelée l'« Invisible » (adṛṣṭa). C'est de ces combinaisons, en nombre indéfini, que naissent les objets des sens, dont l'interaction rend compte de toutes les activités observables (contraction, expansion, déplacement...). La connaissance se fait par contact : le sujet en est l'âme (ātman) et l'objet tout ce qui existe, l'esprit jouant le rôle de moyen terme (il choisit les objets de connaissance). Mais l'âme et l'esprit (manas) sont aussi capables de raisonnement en dehors de toute connaissance sensible : c'est le système de l'inférence (anumāna), grâce à laquelle on peut connaître[...]

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Écrit par

  • : docteur ès lettres, professeur à l'université de Lyon-III

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