VALENTIN DE BOULOGNE (1591-1632)
Romain d'adoption, habitué des milieux louches, affilié à l'association des Bentvogels (la joyeuse compagnie des artistes nordiques), mais solitaire dans son art et fidèle à l'austérité passionnée de Caravage, Valentin de Boulogne est, en fait, un des peintres français les plus énigmatiques du xviie siècle.
Les données biographiques sont rares, souvent vagues : né à Coulommiers d'une famille de peintres, il arrive à Rome « avant Vouet », nous dit-on, donc avant la fin de 1613 ; mais son nom n'apparaît à nouveau qu'à partir de 1620. Ses tableaux, pourtant commandés parfois par de grands mécènes (les Barberini, Cassiano dal Pozzo, le cardinal Angelo Giori) et fort chers dès sa mort, ont été vite confondus avec ceux de Caravage ou de Manfredi ; aucun n'est signé ni daté, et c'est seulement de 1627 à 1631 que les documents en mentionnent quelques-uns. Dans l'obstination de Valentin à répéter les types et les sujets caravagesques — scènes d'une bohème volontiers crapuleuse, épisodes les plus violents de la Bible (Jugement de Salomon, Louvre ; Judith, musée des Augustins, Toulouse, et Musée national, La Valette, Malte) —, à faire surgir de l'ombre les personnages à mi-corps, aux visages fiers et mélancoliques, on décèlera sans hésiter non un manque d'imagination, mais la marque d'un tempérament. Des nuances permettent d'ailleurs de deviner une évolution.
Aux œuvres du début, jusque vers 1620-1622, appartiennent les compositions mouvementées, en diagonale (Christ chassant les marchands du Temple, Galleria nazionale, Rome), aux volumes fortement modelés par un éclairage contrasté, aux types populaires assez brutaux, à la manière de Manfredi et peut-être des Hollandais (Le Tricheur, Gemäldegalerie, Dresde). Peu à peu, la structure est clarifiée (Cène, Galleria nazionale, Rome), parfois selon un schéma d'horizontales et de verticales (Sacrifice d'Isaac, Museum of Art, Montréal) qui peut rappeler Le Martyre de saint Matthieu de Caravage, à moins qu'il ne reflète la tendance classique de l'époque, comme l'indiqueraient aussi certaines figures du Martyre des saints Procès et Martinien (1629, pinacothèque du Vatican) ou l'aspect archéologique de l'Allégorie de Rome (1628, villa Lante, Rome), traitée par ailleurs avec un naturalisme intransigeant ; la psychologie gagne en subtilité (Concert, Louvre), le clair-obscur en finesse, les chairs s'ombrent du réseau arachnéen gris bleuté si typique de Valentin et surtout une touche moins épaisse donne aux couleurs les plus claires des transparences chatoyantes (Bonne Aventure, Louvre). Peu sensible aux influences du milieu contemporain (les contacts avec Vouet sont incertains et on ne connaît à Valentin qu'un élève, ou plutôt un compagnon, Nicolas Tournier), on peut dire que ce grand artiste n'a fait qu'une seule et même œuvre, mais tellement puissante qu'elle força l'admiration de la postérité. Dans une France réticente au caravagisme, la célébrité de Valentin n'a jamais subi d'éclipse.
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Écrit par
- Claude LAURIOL : historienne d'art
Classification
Autres références
-
CARAVAGE (vers 1571-1610)
- Écrit par Arnauld BREJON DE LAVERGNÉE et Marie-Geneviève de LA COSTE-MESSELIÈRE
- 4 798 mots
- 7 médias
...enrichir, avec les nombreux tableaux encore anonymes, le catalogue des précédents et des maîtres dont le nom est oublié ou dont l'œuvre reste à définir. Valentin, à la suite de Manfredi, apparaît comme un disciple « inconditionnel » de Caravage, mais il est aussi l'élève de Vouet à Rome où celui-ci séjourne...